castle on the hill/nora.

l’air frais du planétarium lui tient compagnie, à la gamine. peut-être un peu trop. il l’enveloppe, la frigorifie dans son mince sac de couchage. putain. si elle avait su qu’elle passerait ses nuits gelées, elle aurait peut-être choisi un autre endroit où poser son sac quand la nuit vient et que les rues se vident. qu’il reste plus de bar à squatter, plus de toit sous lequel s’abriter. y a que les étoiles pour l’accompagner, nora, qu’elles pour veilleur sur elle. même ce soir alors que le ciel est noir, elle les observe de son sac de couchage, la tête rivée vers le dôme de verre. elle a perdu la notion du temps deux heures plus tôt, incapable de se résigner au sommeil. parce que c’est dès que la nuit vient que les démons s’en vont avec, dès que la lumière pâlit et que les âmes plongent qu’ils s’élèvent, puissants, qu’ils viennent la chercher. elle les entend presque murmurer, dans les coins de la grande salle. elle pourrait jurer les entendre oui, écouter le sifflement qu’ils font quand ils s’insufflent dans son oreille, viennent lui compter les malheurs dont elle est le rôle principal. c’est dans ces moments-là qu’elle revient, la brûlure de la chair, la pique incandescente qui traverse la peau de son bras quand les regrets l’assaillent. un poignet maintenu sous l’eau brûlante et une lame plongée dans le dos de la main. y a encore la large plaie qui fend la main d’la gamine en deux, celle qu’elle s’est causée quand elle a soutenu son regard, quand elle s’est jurée d’le faire tomber en même temps qu’elle. y a encore les souvenirs qui la hantent, cette soirée où ils sont allés trop loin. et puis celle où rien ne redeviendra comme avant, celle qui marque son esprit et celle de son frère, celle qui les changera sans doute à jamais. c’était sil qui tenait l’arme et pourtant c’est elle nora, c’est toujours elle qui a du sang sur les mains. ça résonne comme une balle de tennis entre les murs du planétarium jusqu’à ses oreilles et elle en peut plus nora, d’appréhender leur retour comme on craindrait le diable. elle a l’impression de glisser sur un terrain sombre qui ne l’inquiète même plus et elle sait bien que pour que les voix s’en aillent, il lui suffirait que d’une chose : lâcher prise. y a le téléphone qui vibre, qui s’illumine dans le noir du planétarium. y a un nom qui réchauffe son coeur meurtri sur l’écran et l’espoir qui renaît, un peu. elle suffoque ici nora, elle se laisse enterrer par le flots de doutes qui l’assaillent et elle voudrait ne plus penser, nora. alors il lui faut pas dix secondes pour replier son sac de couchage à la va-vite, d’enfiler le même sweat troué qu’elle met tous les jours et de planquer le reste de ses affaires derrière une grille d’aération qu’elle a su dévisser quand elle a fait son camp ici, le premier soir. elle met pas longtemps avant de le trouver, hyun, parce que hyun et nora ont ces endroits secrets qu’ils ne partagent que tous les deux. des endroits qui n’ont de sens pour personne d’autre que pour eux, et elle grimpe par dessus les grillades pour le rejoindre. l’escalade n’a plus aucun secret pour elle. ça fait longtemps qu’on est pas venu là. y a presque toujours ce même pincement au coeur quand elle y est, nora, parce que ça rappelle des souvenirs qu’elle a pas forcément envie de se remémorer. elle rejoint la balançoire voisine, étrangement elle rentre encore dedans. comme si le temps n’avait pas filé. y a un millions de questions qui fourmillent dans sa tête, le palpitant trop agité de ne jamais pouvoir s’endormir, de vivre toujours trop fort. mais ça marche pas comme ça avec hyun. elle mord sa lèvre pour ravaler la curiosité, sort du fond de sa poche un paquet de pépitos écrasé. cadeau d’un admirateur secret, elle en trouve un tous les jours ou presque, à côté de ses affaires dans la grille d’aération du planétarium. pépito ? paquet tendu entre les deux balançoires, elle croque déjà dans son délice interdit, presque les seuls repas qu’elle peut s’offrir aujourd’hui. des mots lancés dans le vide, ils comblent le silence mais ne berne personne : l’insouciance n’a d’air que les voiles sur leurs deux visages.