Un tic nerveux me crispe les mâchoires. Ce soir le Sinners est blindé ras la gueule et j’déteste ça. Faut que je me concentre vraiment sur le boulot sans pouvoir me contenter de zoner vaguement en périphérie d’la foule. J’suis obligé d’avoir l’œil sur tout : vérifier que les danseuses s’éclipsent pas en douce remorquées par un client. Ou que les bookmakers à l’arrière se fassent pas embrouillés par un joueur mécontent. Sans parler des simples piliers de bar à gérer en évitant qu’une bagarre se déclenche.
J’m’essuie le nez d’un revers de main. La trac de speed envoyée en début de service accompli encore parfaitement sa tâche : me maintenir dans un état de nerfs absolument remarquable. J’vais pouvoir enquiller jusqu’au p’tit matin sans sourciller.
J’m’approche du bar en virant à coups d’épaule tous ceux qui s’mettent en travers de mon chemin.
« Polly ! » J’interpelle la serveuse à queue de cheval blonde en hurlant dans les oreilles de mon voisin. Il me lâche un regard peu amène auquel se piquent immédiatement mes iris glacées. J’vois les siennes qui accrochent enfin le brassard écarlate autour de mon biceps et une lumière de compréhension s’y allument. Il se détourne pour se perdre au milieu des corps.
Polly arrive juste à c’moment là en penchant sa jolie frimousse par-dessus le comptoir.
« Un sec s’te plaît. »Elle s’exécute avec un demi-sourire. Le verre pèse presque rien entre mes doigts, alors il a tôt fait de m’être collé au bord des lèvres. La liqueur atteint presque mes papilles quand un attroupement s’agite dans on champ de vision.
J’hésite. Regarde avec regret le verre tout neuf. Puis finis par l’abandonner sur le zinc pour me diriger jusqu’à l’échauffement qui débute.
Une nana vient visiblement de s’vautrer au sol. Dans un enchevêtrement de tissus trop courts et sous l’mascara qui a légèrement bavé je distingue un visage angélique aux traits brouillés par l’alcool. J’refoule un ricanement moqueur en l’observant se remettre tant bien que mal sur ses longues jambes, alors que personne vient l’aider. Son balancement incertain n’empêche en rien de s’rendre compte qu’elle est foutrement bien gaulée.
J’attends quelques secondes pendant lesquelles la blonde essaie de faire la mise au point. J’soupire en réalisant que ça fait parti du taff de raccompagner à bon port les demoiselles murgées. Ou d’au moins les mettre dans un tacos pas trop glauque. Blondie a l’air d’être venue seule : j’peux pas refiler la corvée à son mec ou ses copines.
Fait chier.« Va falloir aller prendre l’air miss. »J’lui parle d’un ton autoritaire en appuyant une main sur sa hanche, presque collé contre elle. Y a pas d’mal à pas s’priver d’une proximité sympa.
Ses cheveux fous me caressent presque le bout du nez tandis que j’essaie de venir verrouiller mes pupilles agrandies aux siennes. Vu son état d’ébriété et la lumière quasi inexistante au sein du club, j’suis même pas sûr qu’on les remarque. Et sinon j’m’en fous pas mal.