she said 'spank me' and i slapped her with the word of the lord (liva)

- la tête tournée vers les étoiles -
Les premières années de la vie de Liva ont été bercées par le deuil et le ballottement. Le ballotement de pays en pays, de crises en accalmie, d’une vie luxueuse à deux repas par jour. Liva n’avait que trois ans lorsque son père est mort. Parti rejoindre Dieu, lui répétait sa mère pour la rassurer, comme si cette entité occulte et brouillée pouvait prendre meilleur soin de son père que sa famille. Elle, elle était restée à son chevet longtemps, à prendre la grande main familière dans les siennes, toutes petites empreintes qui laissaient des marques tant elle serrait fort. A planter des bisous sur son crâne et à lui raconter ses journées d’école – en danois et en anglais, parce que c’était comme ça dans la Haute. Déjà, elle doutait que Dieu en fasse autant. Et d'ailleurs, elle ne voulait pas qu'on lui vole son rôle.
Liva ne comprenait pas trop ce qu’il arrivait à son père, elle qui l’avait toujours connu à l’hôpital et tout pâle comme ses draps ; rien si ce n’est qu’elle ne le verrait plus jamais, un jour. C’était une réalité ancrée en elle, dans un langage inaccessible aux enfants et pourtant assez prégnant pour qu’elle le ressente. Alors ce n’est pas tellement la mort de son père qui a tout chamboulé dans sa vie. C’est la suite.

Le décès du père de famille retira à Anja Skov toute attache à son pays d’accueil. D’aucuns la qualifieraient de mauvaise mère – en un an, s’enchaînèrent un déménagement au bout du monde, un boulot de scientifique stable de perdu et de longs mois dans les bureaux pour obtenir une carte de résident permanent. Les années suivantes rongèrent le lien qui unissait Anja et ses deux enfants. Mans se tourna vers l’écriture, Liva vers sa sœur aînée et les études. Se succédèrent l’école où Liva brillait par ce multiculturalisme si prisé, le lycée qui faisaient de sa génitrice fière une matrone exigeante ; puis la faculté de droit qu’elle choisit, sans passion ni ardeur, pour les revenus et le prestige.
Matérialisme, détachement certain mais Liva avait la tête droite et le sens des réalités. Son bonheur se résumait à son succès, sa piété, et sa famille. La stabilité retrouvée, leur mère s’était rassérénée. Avait rouvert ses bras à son fils artiste et noyait la benjamine dans des éloges pour une réussite qu’elle lui avait entièrement dédiée, toujours à la recherche secrète de son approbation. Et celle-ci espéra que finalement, le trou créé par le décès de leur père, indicible et immuable, pourrait se refermer avec le temps. Qu’ils trouveraient cet équilibre qu’elle n’avait jamais connu, ses premiers souvenirs remontant à cette impression poignante d’abandon. Liva se raccrochait de toutes ses forces à cette idée d’un renouveau qui lui avait tant manqué, dont elle crevait tant d’envie.Elle qui s’était entièrement refermée sur son admiration pour sa sœur aînée, Hilda, et sur sa complicité avec son grand-frère regagnait l’espoir discret de former un foyer comprenant leur mère.
21 ans et Liva avait trouvé une toute nouvelle passion pour le droit, pour un stage en tant que secrétaire en cabinet. Elle n’était entourée que de très peu d’amis mais pour la première fois cela lui semblait dérisoire. Elle s’ouvrait à cette belle idée que sa famille suffisait, et retrouvait sa foi pour cette entité mystérieuse qui lui avait pris son père et qu’elle boudait depuis tant d’années.

C’est cette même année qu’il lui retira sa sœur, brutalement. Quelques mois de passages quotidiens à l’hôpital pour réduire tous ses espoirs en cendres, froides et amères sur le palais. Des heures passées à l’hôpital à essayer de se rassurer elle-même autant qu’elle calmait Hilda, main frêle entourant la sienne, veineuse et translucide, moult sourires offerts pour masquer un désespoir grandissant, irrévocable. Des semaines de distraction, une prière quotidienne pour que tout se passe bien – celle de la miraculeuse guérison, elle l’avait abandonnée il y a longtemps. Des journées à noyer le temps dans son boulot, à tuer dans l’œuf toute crainte qui pouvait surgir spontanément. Mais était venu un moment où passer une main rassurante dans les cheveux de sa grande-sœur n’avait plus suffi. Où tracer les sillons de plus en plus visibles sous ses yeux cernés faisait rejaillir le goût bien familier d’une impuissance douloureuse tant elle prenait de place. Alors les visites se raréfièrent, Liva prétextant toujours plus de travail, de sorties annulées au dernier moment.
Reine de l’escapisme, elle se monta un fort dans lequel elle était protégée de tout. Fuir la réalité s’était avéré un soulagement immense. Et égoïste.
Un soulagement assez fort pour l’éloigner définitivement de sa mère et l’isoler de toute relation au caractère sérieux et compliqué. Les liaisons vaines s’enchaînaient, dans ce mélange complexe de volonté de réussir et d’auto-sabotage dont elle développait l’art à son insu. La satisfaction de sa réussite professionnelle remplaça toute sorte de gratification personnelle ou sociale. Et elle, elle devint tout ce à quoi elle avait tourné le dos, parce qu’il n’y avait plus grand-chose à devenir d’autre.