la mécanique du coeur. (abel)

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la mort au cœur. funambule du destin.
bulle de rêve.
rêves éclatés.
chimères imagées qui dansent et se dessinent sur la rétine. sieste mouvementée, le corps qui défait les draps dans sa solitude imprégnée d’une présence réconfortante. la faiblesse du palpitant et de l’esprit muselé dans le corps trop petit pour un trop plein de sentiments néfastes.
niki déesse guerrière, les ailes déployées vers la victoire. valkyrie réincarnée. furie aux griffes acérées.
jolie poupée déchiquetée de l’intérieur depuis des années.
le penthouse offert comme énième cadeau pour ravir les attentes toujours plus hautes et pourtant une seule pensée, une seule idée : « ils essaient de m’acheter ». et dans tout ça, le cœur n’en sort absolument pas indemne. l’endroit trop grand, trop vide, quelques cartons éventrés dans une frénésie d’achat compulsif brimée pour retrouver les vêtements déjà possédés. des meubles à peine utilisés, niki qui ne demande qu’à être libérée de ce cimetière sous forme d’habitation huppée.
indépendance. c’est le seul mot qui compte.
mais l’indépendance c’est pas aussi drôle qu’il n’y paraît.
impression persistante de n’avoir été qu’une lubie dans la vie de papa et maman – un truc, un haut-fait à accomplir pour se sentir complet. sauf qu’aujourd’hui, ils se sont lassés. le penthouse, c’était pas vraiment un cadeau pour niki… c’était un cadeau pour eux. enfin débarrassés.
c’est pour ça que niki s’est jamais vraiment sentie bien chez ses parents. c’est pour ça que la fille de la lune a passé tant de temps chez rory. parce que papa et maman raynes sont pas parfaits mais qu’ils sont au moins un peu aimants. et qu’ils ont accueilli niki un peu comme leur fille.
mais niki c’est pas être la fille d’abel qu’elle voudrait.
c’est plus ça en tout cas. les sentiments qui changent, les lubies d’adolescentes qui ne se sont pas encore véritablement taries. et niki cesse de lutter pour garder le sommeil en son sein, repousse les couvertures avec hargne et se permet d’évacuer la frustration accumulée par un grognement puissant et bestial.
niki, elle mérite pas rory.
niki, elle mérite pas abel.
niki, c’est rien qu’éris : discordante. chaotique. destructrice.
c’est pas ce qu’elle veut niki, c’est pourtant que ce qu’elle fait.
alors elle écoute pas la logique et elle fonce jusqu’à chez rory. mais c’est pas pour la blonde qu’elle y va – c’est pour abel, ses mots réconfortants, sa présence forte, son odeur musquée. pour la légèreté qu’elle ressent quand elle est avec lui – comme si, avec quelques mots, ses problèmes allaient s’envoler.
alors elle tambourine à la porte de la bâtisse dix fois trop imposante, des paillettes pour les yeux fatigués. et quand une silhouette passe le nez par la porte, niki ne fait absolument pas attention au minois qu’elle contient.
- je dois parler à abel… s’il vous plaît…
elle dit presque jamais « s’il te plaît » niki. et pourtant là le sentiment écrasant d’asphyxier si abel n’arrive pas bientôt la force à courber l’échine. elle a le souffle court, essoufflée d’avoir tant couru. elle a le souffle court, essoufflée d’avoir trop vécu – en si peu de temps. elle a le souffle coupé, essoufflée des sentiments qui lui dévorent le palpitant. abel comme un père, abel qu’elle voudrait pourtant aimer à part entière.
sans doute de manière éphémère.
gamine impossible à satisfaire, l’estomac trop vide pour être sustentée.

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les nuits cruelles, tout le monde les connait.
des chaleurs ardentes mêlées à des frissons glacées. une vague tentative d'échappatoire à travers la fenêtre entrouverte, quand les brises se font plus désirables qu'un simple rêve. l'entre-deux est pratiquement détestable; l'envie de s'effondrer dans un sommeil rassurant, et ces yeux qui persistent à ne vouloir connaître aucun repos. le cerveau qui pèse trop lourd.
mais abel s'obstine, parce qu'il ne veut plus rien connaître de la journée, que la fatigue lui ronge assez le corps et qu'il n'avait aucune envie de hanter éternellement sa propre demeure. spectre trop peu effacé, il devait s'efforcer de prolonger la torture ennuyante. la contrariété ne le gagne même pas, comme s'il était habitué à repousser la somnolence involontairement. son regard se battait contre le plafond, bloqué sur la fadeur d'une surface livide.
à ses côtés, la silhouette muette n'aurait même pas faire vibrer son cœur. le vide des émotions et de la pièce se mêlaient dans une même harmonie, créant quelque chose de terriblement frustrant; un accomplissement incomplet. il fallait encore se cache à travers de laids masques et s'accrocher au nom de famille pour feindre la perfection sentimentale. il n'y avait que son affection pour rory, qui permettait à l'ensemble de ne pas s'effondrer misérablement. abel s'efforçait. et il refusait de perdre ce qui lui était cher à cause d'un mariage, d'âmes faussement reliées.
et c'est ce à quoi ces nuits cruelles servent. remettre en cause chaque détail, chaque idées et se questionner sur les fissures du cœur qui ne se ferment jamais. peut-être qu'abel pourra céder à l'épuisement uniquement lorsqu'il aura méticuleusement réorganisé sa vie entière, dans son esprit étouffant.
l'ombre à ses côtés s'agite. les bruits lourds à l'entrée intriguent également abel, qui se pensait tranquille pour une nuit au moins. c'est sa femme qui se lève en premier, avant même qu'il n'ait pu dire une chose, un murmure. le temps lui est laissé pour qu'il liste des suppositions de visiteurs à une heure si avancée. n'importe qui de son entourage le plus proche l'aurait prévenu, comme toute personne censée. abel se redresse lentement, toise madame raynes qui se réinstalle paisiblement. « c'est niki, elle veut te voir. » paroles légères. à la mention du prénom, il tâche de ne pas trop perdre de temps, enfile un tshirt et un pantalon ample avant de se rendre à l'entrée.
« niki? » l'inquiétude dans sa voix le trahit immédiatement. à travers les obscurités de nuit, il distingue les traits de son visage, à l'irrégularité inhabituelle. « qu'est-ce qui se passe? tout va bien? » ses mains se logent sur ses épaules tandis que ses yeux éclatent contre les siens. une panique timide s'installe, de crainte que quelque chose lui échappe, ou que niki soit en danger. la fatigue s'estompe en un rien de temps, et abel s'oublie derrière lui.
il n'y avait que niki et ses iris aux reflets de tristesses.

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niki ne se laisse que rarement aller à ses démons. ils s’additionnent au fur et à mesure des années – comme ces dernières, qui créent des stigmates dans l’âme de niki et même petit à petit dans son minois juvénile – sans qu’aucun ne laisse tomber l’âme dévoilée de la belle, repas sanguinolent qu’attendent avec impatience ces carnivores chronophages.
alors c’est sans réfléchir que niki s’est rendue chez les raynes. c’est sans réfléchir, mais avec un besoin intense, qu’elle a osé demander à madame raynes de voir abel. pas une once de surprise dans les opales de l’épouse, alors même que niki aurait trouvé étrange – si elle n’était pas elle, évidemment – de ne pas venir pour rory.
mais dans ces moments-là, ce n’est absolument pas rory dont elle a besoin. rory ne serait capable que d’enfoncer davantage le couteau dans la plaie, à pointer du doigt les joues creusées qui ne sont que le reflet de la lutte constante de niki contre ses démons. à pointer du doigt les côtes que l’on parvient à compter dès lors que niki soulève son t-shirt, à la pousser à grignoter jusqu’à en être malade et jusqu’à mourir sous la culpabilité. sous la vision déformée de son être avec des kilos inexistants qui la feraient se trouver laide.
le suicide n’a jamais été une option. niki n’est pas lâche. niki ne fait rien de plus que comme les fumeurs : se laisser mourir à petit feu.
« niki? »
la sollicitude et l’inquiétude qui brillent dans les opales d’abel parviennent à réchauffer la gamine lunaire. ce dont elle a besoin – depuis des années – c’est d’abel. il y a quelques temps maintenant qu’il a cessé d’être une figure paternelle aux yeux de niki. c’est une faim totalement différente de celle qui hante ses organes qui la grignote peu à peu quand elle laisse ses prunelles se balader sur son visage. si rory savait que niki nourrissait de tels envies pour son paternel, il ne fait aucun doute qu’elle aurait déjà assassiné sa meilleure amie. et ne parlons même pas de l’étreinte passionnée consommée avec nox dans la plus totale ébriété.
coupable.
coupable.
coupable.
histoire d’une vie, un mot unique qui la laisse pantoise et le cœur en berne.
« qu'est-ce qui se passe? tout va bien? »
quand les mains du père raynes trouvent ses épaules, niki se laisse aller contre son torse. les bras qui demeuraient le long du corps viennent enrouler le corps de l’homologue, les doigts se refermant sur le t-shirt. elle inspire fort pour imprégner ses narines de l’odeur ensommeillée d’abel, fantasme vivant qu’elle tient entre ses bras. elle hoche légèrement la tête, relève légèrement les yeux – l’embrasser serait d’une facilité ahurissante. peut-elle vraiment lui confier ce qui la pèse tant ?
- j’avais besoin de vous voir… je suis désolée… ça va… j’ai besoin de… je ne sais pas. de vous.
elle avoue en cachant à nouveau son visage. niki n’est absolument pas de ces effarouchées qui se contentent d’aimer quelqu’un en secret, mais face à abel, elle redevient pire qu’une adolescente amourachée. elle n’ose rien faire, peureuse jusque dans les os et les muscles. perdre abel serait tout perdre. ne rien tenter serait une erreur.
- on peut aller ailleurs ? se balader un peu ?
elle demande d’une voix faible avant de relever vivement la tête, les opales écarquillées.
- je vous réveille, je suis désolée. je comprendrais si vous ne vouliez pas… et madame raynes…
elle se mordille la lèvre inférieure jusqu’à s’arracher des bouts de peau. elle relâche – à contrecœur – abel pour faire quelques pas en arrière ; une manière comme une autre pour lui signifier qu’elle est prête à aller vivre sa peine ailleurs.