papier mâché. (tez&jem)

jem avait un problème. un problème que personne ne pouvait résoudre, quelque chose dont il n’avait parlé à personne et surtout pas aux membres du groupe, qui était pourtant ses amis les plus proches. sa seule famille. ce truc qui le démangeait jour et nuit n’avait aucun rapport avec les pilules bleues enfermées dans le petit sachet hermétique qu’il avait caché dans la poche de son jean ce matin avant de partir de l’appartement. c’était pour lui bien plus grave qu’un problème de dépendance, bien plus grave que de se défoncer à toutes les soirées. c’était sa priorité numéro une et personne dans son entourage ne comprendrait car pour les eux la priorité de jem aurait dû être d’arrêter les conneries. les drogues, les filles sans visage, les bagarres et les mauvaises fréquentations. avant c’était un gars sympa qui avait toujours le sourire, bien que discret on le remarquait parce qu’il avait cette aura, ce truc en plus. aujourd’hui, la flamme dans les yeux du gamin s’était éteinte et la plupart du temps quand il ouvrait la bouche, il était défoncé ce qui l’empêchait de paraître crédible aux yeux de tous ceux qu’il connaissait. jem était devenu l’ombre de lui-même et il ne s’en rendait même pas compte, de toute façon son problème était plus important que ça, plus urgent. il jeta un oeil dans le rétroviseur de sa voiture, un tacot qu’il avait réussi à s’acheter avec ses maigres économies, bien loin de la bagnole branchée qu’on voyait dans les publicités, il passa une main dans ses cheveux en bataille et soupira en voyant que ça n’arrangeait vraiment pas sa gueule d’être coiffé ou décoiffé. ouais, il avait une sale tête. les traits tirés, des cernes sous les yeux, le reste d’un coquart, et  à cause d’un autre coup, il avait son anneau à la lèvre qui saignait régulièrement. il sortit de l’habitacle de la voiture et claque la porte de celle-ci d’un geste sec avant de s’engouffrer dans son restaurant préféré, un genre de café ouvert vingt quatre heures sur vingt quatre. il aimait cet endroit parce que c’était toujours très calme, les gens ne criaient pas, les gamins ne sautaient pas dans tous les sens et les employés avaient toujours le sourire. bien que jem lui ne l’ait pratiquement plus, il était toujours agréable de voir les autres esquisser ce geste à sa place. il s’assit à sa table habituelle quand celle-ci n’était pas libre généralement il faisait demi-tour, ça faisait partie des habitudes dont il n’arrivait pas à se débarrasser. il attendit patiemment qu’une serveuse vienne prendre sa commande, il était presque onze heures, il pencha donc pour un brunch et quand elle revint avec son assiette fumante, il constata qu’il mourrait de faim. jem ne venait pas ici pour manger généralement, en fait il se contentait d’un café ou d’un soda selon l’heure qu’il était, et puis il écrivait. il écrivait pendant des heures parfois, il composait des chansons et quand il n’y avait vraiment personne, il osait même utiliser sa guitare, sinon il se contentait de gribouiller quelques mots. mais voilà, la vérité c’est que ça faisait des semaines qu’il n’avait rien écrit. des semaines qu’il s’asseyait ici comme depuis des années et que rien ne venait, des semaines que les pages restaient blanches et sa tête vide. il avait abandonné, il venait manger, il regardait par la fenêtre, il essayait de trouver le moyen d’expliquer ça aux autres. il devait leur avouer la vérité. il faisait croire à tout le monde qu’il était sur des super chansons, il faisait croire à keylan que les paroles fusaient, que le nouvel album serait génial. il mentait parce qu’il avait honte, parce qu’il ne savait pas quoi faire. cette panne d’inspiration était un incident de parcours qui durait depuis trop longtemps, des gens commençaient à repérer les gamins, ils allaient devenir célèbres et leur meilleur atout était en train de tout faire foirer. tout ce qu’il pouvait faire c’était s’asseoir à cette foutue table les yeux dans le vide, le bout du stylo qui ne griffonnait plus que sur des serviettes en papier, il avait l’impression que tout ce qu’il écrivait ne ressemblait à rien. ce n’était jamais assez à la hauteur. en prenant la serviette sous son assiette pour s’essuyer, il se rendit compte qu’elle était tâchée. une expression dégoûtée passa d’abord sur son faciès avant que son visage ne se déforme autrement, la surprise vint se figer sur ses traits. c’était SA serviette, la même que la dernière fois. une phrase avait été écrite avec son stylo, un bout sans queue ni tête, une impasse comme d’habitude. du moins c’est ce qu’il avait cru, mais sous ses pattes de mouche illisibles, une autre écriture était venue se glisser, une nouvelle phrase qui donnait un sens à la première. ses yeux s'illuminèrent alors que la prochaine lui vint en tête tout de suite, il appuya le bout de son stylo sur le papier et écrivit. mais son cerveau ne resta pas longtemps en éveil, quelques mots gribouillaient et l’inspiration le quitta presque tout de suite. il soupira de frustration avant de comprendre bien qu’avec une éternité de retard que quelqu’un avait écrit sur sa serviette, qu’on avait continué son travail et que c’était bon, poétique, doux. ça ressemblait à ce qu’il aurait pu lui même composer dans le passé. il resta assis là vingt minutes encore avant de se décider à partir, il laissa la serviette aussi. il espérait même si ça n’avait sûrement aucun sens, que le miracle recommencerait.