exhale (tez)

La vitre est sale, tâchée par les vents et les pluies, tâchée par les mains moites et les petits doigts crasseux. Cette fenêtre qui lui permet néanmoins de voir, au travers du flou, les immenses machines qui s’envolent et qui s’échappent, hautes dans le ciel, vers des destinations inconnues. À son emplacement, il imagine les vies qui se sont tenues, comme lui, à regarder l’extérieur. Les impatients. Les malheureux. Ceux qui regardent partir les avions avec confiance. Ceux qui les regardent terrorisés. Les fascinés. Les heureux. Il peut entendre les pleurs des proches inquiets et les exclamations des mômes qui voient les bêtes s’envoler. Il peut entendre le murmure discret des prières. Puis, s’imagine ceux qui fredonnent, la musique pour faire échapper les heures. Il ne fait rien de tout ça pourtant. Lui, il regarde les avions sans vraiment les voir, un peu comme des rêves qui s’évanouissent sitôt le sommeil éteint. Ils sont loin. Ils sont plus proches qu’ils ne l’ont jamais été. Wes qui s’est vu partir mille et une fois. Wes qui s’est imaginé partir sans un dernier regard, sans le moindre regret.  Wes qui n’a jamais pris la voie des airs, qui est toujours là, qui n’a jamais quitté. Qui ne s’envolera pas. Pas maintenant. Pas demain. Un jour, peut-être. Probablement pas. Pas aujourd’hui certain, parce qu'il n’est pas là pour ça. Même si la fuite sonne douce quand le monde cesse de tourner.
Mais non, la Terre tourne toujours, le soleil se lève encore, ce n’est que son monde à lui qui s’est soudainement mis sur pause. Quand la nouvelle est tombée et qu’elle a fait dérober le sol sous ses pieds. Quand un matin, un simple matin, il s’est réveillé et elle, elle n’était plus là. Et les annonces du genre, c’est un peu comme une bombe qui éclate, qui détruit tout sur son passage.  Et Wes, lui, il a été pulvérisé.
Instantanément. Soufflé dans les braises, mais forcé à devoir se relever parce que c’est tout simplement ce qu’il reste à faire. Parce que le deuil prend fin, un jour, et que la vie recommence ensuite avec le poids supplémentaire des morts sur la conscience.

Sauf qu’il n’est pas encore pleinement sur ses jambes Wes, pas tout à fait, à demi, plié, vieilli, le dos courbé par les regrets et la peine. Cette tristesse et cette colère retenues, enfermées, les grands airs pour parfaire la mascarade. Il doit rester fort comme il l’a toujours été. Fort pour les autres. Mais qui est fort pour lui ?

S’échapper semble délivrance. Semble lâche aussi, dans un certain sens, mais ça, il n’ose l’avouer. Avouer ses faiblesses, c’est pour les autres n’est-ce pas? Alors, quand la fuite est impossible, quand on se heurte à un mur, on trouve ailleurs le moyen d’apaiser le coeur. Et Wes, son coeur s’apaisait devant des cartes postales, des dizaines qui décorent un mur de sa chambre. Ces cartes qui le faisaient rêver, qui lui permettaient de perdre contact, un instant, avec sa réalité. Qui l’emmenaient, le temps d’une lecture, dans les champs de lavandes français. Par ses mots, tout semblait bien, bien mieux.

Et à cause de ses mots à lui, elle revenait.

Alors, il se tient, dans ce même aéroport qui l’avait vu quitter, pour l’accueillir cette fois. Il se tient, étrangement nerveux, à faire tâche dans le décor, dans ce fourmillement de voyageurs. Il n’a rien dans ses mains, rien à lui offrir, ni pancarte, ni fleurs, ni carte postal, seulement sa carcasse usée qui attend.

Et quand l’écran annonce que son vol est arrivé, qu’elle est vraiment là, le souffle se coupe. Retourne-toi, fait demi-tour Tez, j’avais tort de te faire revenir, c’est trop triste ici.