sometimes, i feel. /jake

Joan sort de la classe, la tête encore pensive. Elle a bel et bien lu le livre étudié, mais pour la première fois de sa vie, elle a l’impression d’être passée à côté. Comme si tous les détails importants étaient passés à côté de sa lecture, comme si elle avait lu quelque chose de différent. Elle est pensive, donc. Réfléchie. Elle ne fait pas attention à ce qu’elle regarde, elle marche la tête basse et les pensées troubles. C’est un coup sur l’épaule qui la réveille, faisant valser ses cheveux blonds mal attachés et faisant tomber ses cours sur le carrelage de la fac. Ses yeux se bloquent sur lui, son visage d’ange absolument pas désolé et sa main contre la hanche d’une nouvelle blonde. Joan passe une main dans ses cheveux, offre un sourire malgré elle et rattrape ce qu’il a fait tomber. Il n’a pas bougé, forcément. Il s’en fout, comme toujours. Elle souffle, Joan. Elle souffre, aussi. Fatiguée de cette situation avec lui, elle prend ses dernières affaires et court loin de lui, sans se retourner. Elle n’en a pas le courage. A bout de souffle, Joan grimpe dans le bus et se met tout au fond, cachée derrière ses cours et ses larmes douces. Elle ne peut pas croire qu’il apprécie autant lui faire du mal, l’éloigner de ce qu’ils ont vécu. Elle ne peut pas croire qu’il la repousse à ce point. Joan ferme les yeux et croise les doigts pour être seule lorsqu’elle poussera la porte de l’appartement familial. Elle n’a envie de voir personne, ce soir. Elle ne veut que sécher ses larmes face aux lignes de son livre préféré ou devant une série à l’eau de rose qui lui donnera une bonne raison de verser des larmes. Niki lui dirait qu’elle ne devrait pas pleurer, qu’il ne le mérite pas. Elle lui dirait qu’elle peut trouver bien mieux ailleurs, si seulement elle s’en donne les moyens. Mais le cœur de Joan sait bien qu’il ne veut rien d’autre. Rien d’autre que le souvenir d’un amour de jeunesse. Le bus s’arrête, le chauffeur regarde dans le rétro et croise les yeux tristes de Joan. Il pince les lèvres, voulant faire un commentaire mais Joan quitte le bus juste à temps. Elle ne veut pas parler, elle veut juste s’échapper et s’enfermer dans sa chambre sans même manger. Elle court jusqu’à l’immeuble, grimpe les escaliers quatre à quatre et fait tourner la clé dans l’appartement. Son cœur bat à tout rompre, elle prend une grande inspiration et pousse la porte. Le vide se crée, elle marche doucement. Joan tente d’éviter une présence, s’il y en a une. Mais du bruit dans la cuisine lui fait dire qu’elle ne pourra y échapper. La jeune blonde pose son sac, passe ses mains sur ses yeux pour qu’on ne remarque pas ses faiblesses et s’approche de la silhouette longiligne dans la cuisine. Jake. Joan sait qu’il est trop tard pour faire demi-tour, mais elle espère qu’il saura faire preuve de légèreté par rapport à elle, à son état. A ses larmes passées. « Salut. » qu’elle dit alors doucement, incapable de passer à côté d’un Fuentes – même triste et déchirée.

Il n'a pas passé une si mauvaise journée que ça Jake, pour une fois. A vrai dire il ne l'a même pas vue défiler, à croire qu'il s'est contenté d'effectuer les mêmes tâches avec cette désormais familière nonchalance. Personne n'a remarqué la moindre différence sur son comportement au bureau. Après tout tant qu'il continue à offrir de bonnes idées, pourquoi s'en inquiéter ? Pas mécontent qu'on ne se préoccupe pas de lui plus que de mesure, le brun trouve même un certain réconfort dans cet anonymat. Seul pour ressasser ses idées noires, sans besoin d'afficher un faux sourire rassurant sur ses traits un peu trop fatigués. Il finit enfin par s'extirper du boulot, retrouvant le cuir familier de son Audi. Il conduit jusqu'au quartier de night falls à une allure sûrement un peu trop vive : personne n'est là pour le juger. Il profite d'un départ anticipé du boulot pour passer dans l'appartement de Joan et Jimmy. Si Jake possède son propre logement à quelques rues de là, il a une fâcheuse tendance à passer sa vie chez eux - et ils savent lui rendre la politesse -. C'est pas qu'ils ne savent pas vivre seuls, les Fuentes. C'est juste qu'ils n'en ont jamais eu envie. Il glisse le double des clés dans la serrure et constate rapidement que personne n'est encore rentré. Ses pas le trainent naturellement jusqu'à la cuisine où il se décapsule une bière. Là encore, personne n'est là pour lui prêcher la bonne parole sur les méfaits de l'alcool. Un bruit de porte ne tarde pas à se faire entendre mais il reste là où il est, Jake. Ca fait bien longtemps qu'ils n'ont plus besoin de s'accueillir. Jimmy ou Joan ? Si c'est Jimmy, il y a des chances qu'il passe par sa chambre sans se donner la peine de vérifier si un autre Fuentes hante les lieux. C'est finalement Joan qu'il voit arriver dans son champ de vision. Elle le salut d'une petite voix et le brun comprend aussitôt que le coeur n'y est pas. Il me paraît bien faiblard, ce "salut". Une remarque qui va à l'encontre de toute la logique à laquelle il se cantonnait une demi-heure plus tôt au bureau. Mais la famille, c'est différent. Joan n'a jamais su faire semblant devant lui et il n'avait pas l'intention de la laisser essayer aujourd'hui. Adossé au frigo, sa bière dans la main, Jake jauge plus attentivement sa petite soeur. Il y trouve un regard fuyant, une moue peu convaincante et un manque de vivacité qu'il ne parvient pas à mettre sur le compte de la fatigue. Mauvaise journée ? interroge-t-il, scrutant Joan de son regard profond mais indulgent.

Joan s’en veut de ne pas avoir réellement envie de passer du temps avec son grand-frère. Ce n’est pas contre lui, ce n’est pas parce qu’il est souvent dans l’appartement familial alors qu’il a son appartement à lui – mais juste parce qu’elle n’a pas le courage de sourire et de dire que tout va bien, alors que ce n’est pas le cas. Joan a le cœur brisé et ça joue sur son humeur, sur sa joie. Elle aimerait pouvoir éteindre ces sentiments, elle aimerait pouvoir arrêter ce petit cœur qui bat pour la mauvaise personne – mais elle ne peut pas. Elle est coincée. Et ce soir, c’est Jake qui la coince aussi malgré lui. Elle prend donc une grande inspiration et s’approche de son frère. Elle tente un léger mot, qu’il comprend tout de suite. Joan pince les lèvres, démasquée. « Il me paraît bien faiblard, ce "salut". » Elle ose un sourire et hausse les épaules. Heureuse de voir qu’il n’insiste pas trop, elle prend une chaise et s’installe. Ses deux pieds contre ses cuisses, elle entoure ses genoux comme elle l’a toujours fait – et ça avait le don d’énerver maman au point qu’elle arrêtait de faire la cuisine. Mais maintenant qu’elle n’est plus là, Joan ne se gêne pas. Jake reprend, d’une voix plus douce qu’à son habitude. « Mauvaise journée ? » Joan ne le regarde pas, elle n’en a toujours pas le courage. Elle se contente de souffler et d’hocher la tête. Les larmes remontent, légères mais aussi tellement lourdes. Elle relève la tête pour les chasser, ne voulant pas pleurer de nouveau pour lui. « Disons que parfois, c’est mieux de rester sous sa couette. Tu vois ? » Joan sait que certaines journées ne sont pas faîtes pour être vécue. Qu’il vaudrait mieux se rendormir et attendre le lendemain. Mais hélas, les cours n’en ont que faire de ces humeurs, de ces sentiments. La roue continue de tourner. « Et toi alors, qu’est-ce que tu fais là ? » elle demande, intriguée de le voir de nouveau ici alors qu’il pourrait être tranquille chez lui. Joan rêve parfois d’être seule, d’avoir son endroit – son quartier. Elle rêve de pouvoir rentrer et vivre sa vie. Mais apparemment, même lorsqu’on essaye de s’éloigne du cocon familial, il revient toujours plus vite que prévu. Joan attrape un bout de pain, croque dedans avant l’heure du repas. Elle a besoin de réconfort et même si son habitude n’est pas dans la nourriture, ce soir elle pourrait manger un âne.