and all of my peaches are ruined (blair)

- la tête tournée vers les étoiles -

« Blair, j'veux bien que tu sois un homme de l'ombre mais t'es pas obligé de passer tes journées dans le noir. » C'est son petit frère qui vient ouvrir ses stores. Blair remonte la couette par-dessus sa tête en grognant. « T'es pas parti toi ? » Il croyait qu'il partait tôt ce matin pour son Spring Break. Putain ce qu'il aimerait venir aussi. Qu'on lui rende ses vingt-deux ans. Il se sent vieux, là, une gueule de bois terrible et la voix éraillée par la fête d'hier soir. Tout ça pour être rentré tout seul, en plus. « T'es sympa. Ça fait plaisir de me dire que je suis passé rien que pour toi. » Aubrey étudie à Brown (c'est une tête), autant dire à l'autre bout du monde, et ça lui donne une bonne raison pour rentrer à la maison le moins souvent possible. Pourtant il est là, et Blair sait qu'il ne lui ment pas, c'est juste pour lui. C'est pas qu'il déteste leurs parents, même si les relations sont plus tendues depuis qu'il a appris que leur père a voté pour Trump. Blair s'en fout un peu, il a même pas voté, mais il garde ça pour lui et fait semblant d'être du côté d'Aubrey quand le ton monte lors des dîners en famille. Il aime bien voir son père acculé entre sa mère qui prend ses grands airs et Aubrey qui démonte tous ses arguments foireux un par un. Bref, malgré tout Aubrey ne déteste pas leurs parents, ni Crescent Heights, c'est juste que pour lui la vraie vie est ailleurs.

C'était pareil pour Blair.

Il ne s'est jamais senti aussi libre que quand il a pris son premier aller simple pour Los Angeles, à dix-huit ans et des brouettes. Il pensait sincèrement qu'à partir de là, il ne reverrait plus ses parents que pour Thanksgiving, et encore. Pendant plusieurs années, c'était plus ou moins le cas. Entre les cours, son job et les fêtes à n'en plus finir, il ne trouvait jamais un weekend à leur accorder. À l'école, il est devenu pote avec le guitariste du groupe pour lequel il a fini par bosser trois ans plus tard, The Bird Bones. Ils se sont épaulés les uns les autres à leurs débuts, ils ont décollé ensemble, et Blair se voyait déjà parti sur une trajectoire ascendante, invulnérable. Ça le dérangeait pas de gagner des clopinettes, c'était le début. Et il y a deux ans, ils ont commencé à monter sérieusement, les manager est devenu un travail à plein temps, et même sa famille s'est mise à croire en lui. Peut-être qu'il n'en avait tellement pas l'habitude que ça l'a déstabilisé... Blair n'a jamais bien supporté la pression. Aubrey a raison, c'est un homme de l'ombre. La musique a beau être sa passion depuis gamin, il n'a jamais eu envie de monter sur scène. C'est pas pour rien qu'il a préféré décrocher un diplôme dans la branche business et juridique de l'industrie musicale. Là, tout à coup, c'est devenu trop pour lui. Le monde qui s'est mis à tourner trois fois plus vite une fois qu'il avait posé le pied dans la cour des grands, la drogue trop facile à choper devenue une nécessité pour réussir à suivre le rythme. Il a sauvé la face quelques temps, et puis il s'est écrasé. Ses os d'oiseaux à lui, ils sont pas solides. Et s'il croyait que sa relation avec le chanteur du groupe allait le sauver, il se foutait le doigt dans l’œil, ça a précipité sa chute. « T'as trop merdé, t'as vraiment trop merdé. On peut plus rien pour toi. » Il est pas sûr de ce qu'il a fait, mais c'est peut-être ça le problème. Il était même plus là les trois-quart du temps.

Retour à la case départ. Crescent Heights. Sa chambre d'adolescent même pas redécorée. Il a pas le courage d'enlever ses vieux posters. Il a même pas l'énergie d'en avoir quelque chose à foutre, même quand ça fait marrer le mec qu'il a ramené à la maison, profitant de l'absence de ses parents. C'est vraiment tout comme au lycée, sauf qu'il a vingt-huit ans et qu'il a l'impression d'avoir déjà foutu sa vie en l'air. Y a quand même Aubrey qui le secoue, littéralement à l'instant, métaphoriquement une fois par semaine (si Blair ne répond pas au téléphone, il se fait engueuler la fois d'après), mais il ne voit pas comment redécoller. « Laisse tomber Aubrey, j'arrive même pas à me lever. » Aubrey arrache sa couette sans vergogne et hausse le ton, « Putain mais t'as pas fini de t'apitoyer sur ton sort ?! » Mais nan, il a pas fini, il a rien de mieux à faire aujourd'hui. Ça ira peut-être mieux demain. Y a des jours où ça va. Y a des jours où il y croit... Jusqu'à ce que la réalité le rattrape.