(colby) only chains and broken bones

- la tête tournée vers les étoiles -
colby, il n'a jamais rencontré son père. c'était le gamin, dans la cour de récréation, qu'on toisait bizarrement. c'était celui qui ne comprenait pas pourquoi parfois c'était un homme qui récupérait ses camarades de classes, et pas leurs mères. c'était l'adolescent plein de questions auxquelles il ne trouvait jamais réponse. le fils d'une mère qui avait appris à détester les hommes, mais qui faisait un effort pour son fils. elle avait été très exigeante avec lui, sa sévérité était exemplaire, elle voulait à tout prix qu'il tourne bien. qu'il ne soit pas comme son enfoiré de père, à traiter les femmes comme des objets dont on pouvait disposer quand bon nous semblait. ☽ ses rêves se sont faits la malle. ses aspirations ne sont plus que des souvenirs lointains. enfant-colby était un contemplateur idéaliste, un illuminé qui croyait au romantisme et au karma. la tête dans les nuages, les yeux rivés vers les étoiles, il vibrait d'une mélodie particulière. un optimisme sans faille émanait de lui, un sourire à s'en damner et une pureté qu'on ne retrouve plus. mais ça, c'était avant. l'émanation de son caractère avait tout dénaturé. l'innocence de l'enfance s'était retrouvée malmenée, bousculée par des pensées sombres. l'avènement de l'adolescence n'avait pas été évident pour lui. La dureté de la vie avait fini par le forger, la situation précaire d'un parent abattu l'avait rongé petit à petit. disparu, l'être doux qu'on ne saurait ne pas aimer. il avait fini par se cacher derrière une carapace hermétique, un mur dressé pour éloigner toutes les frayeurs qui l'auraient englouti dans une spirale terrifiante. un égo mal placé qu'il avait cru bon d'entretenir lui sert désormais d'armure contre le monde extérieur. ☽ colby a vécu des années où la dévalorisation était le maître mot. elle était son quotidien, sa bouchée de pain lorsque sa mère le regardait et pleurait comme s'il était la cause de tous ses malheurs. il l'aime énormément, pourtant, blâme son père pour tout ce qui se tramait dans sa tête, ce traumatisme où elle se trouvait et dont elle ne voulait lui piper mot. il avait peur d'elle parfois. il y a plein d'ombres dans le tableau son existence, mais celle-ci devait être bien la pire. à chaque fois qu'il l'abordait, il avait le cœur en cage. il avait peur des conséquences de son geste. lorsqu'elle était dans son état léthargique et qu'elle souhaitait être laissée en paix, il insistait. il lui demandait si elle avait besoin de quelque chose. il ne pouvait s'empêcher d'avoir ce souvenir cuisant dans sa tête. la première fois où au lieu du silence habituel, elle l'avait giflé. pas une gifle toute gentillette, comme on en ferait à ses enfants, non. une vraie tarte à lui en décrocher la mâchoire. trop choqué au début, il n'avait même pas pleuré. malgré la douleur, il s'était contenté de fuir. il avait couru dehors, tout en sachant instinctivement qu'il ne pouvait pas aller chez les voisins. les services sociaux auraient débarqué, donc il a bien fait de ne pas faire. il avait juste erré un peu. il avait entre huit et neuf ans, et aujourd'hui, il se dit que n’importe qui aurait pu le rafler. sûrement qu'il aurait supplié des inconnus dans la rue de l'embarquer pour qu'il soit emmené loin de tout ça, de cette folie. après cet événement, il avait tout de suite retenu la leçon. il avait appris qu'il était plus rapide qu’elle, qu'il pouvait l'esquiver. une fois, elle l’a coincé dans la salle de bain. elle a commencé à le frapper. de plus en plus fort. il ne pouvait aller nulle part. il était juste là, un peu déconnecté. au fond, elle ne le blessait pas. pas vraiment. ou du moins, elle le faisait pas physiquement. mais ça faisait très mal à l’intérieur. il avait l’impression qu’elle broyait son cœur à chaque coup. putain, c’était sa maman. quand il les voyait dans les films, les mères, c’est des câlins qu’elles donnaient à leurs enfants. la sienne, elle était un peu spéciale. après avoir fini, elle s’était mise à chialer. à lui dire qu’elle était désolée. c’est vif dans son esprit, écrit en lettres de feu. si t’étais désolée, fallait pas le faire de base. mais il l’avait juste pensé. ou du moins il l’espère. aucune mère mérite que son fils lui parle comme ça. pas même la sienne. ☽ la question existentielle qui l'étreint pendant ses journées, c'est de trouver comment cesser d'être vide. parfois il fixe l'immensité du ciel, et on se demande ce qu'il regarde. la réponse qu'il donne, c'est rien. il a juste le regard ailleurs. on lui dit que c'est humain, la non-neutralité. que l'on pense toujours à quelque chose. pourtant lui, il lui arrive d'avoir le néant pour pensée. il lui arrive de juste éteindre les mécanismes du cerveau, de le plonger dans une hibernation momentanée alors qu'il apprécie la mort temporaire. ☽ c'est une implosion lente, qui part de la cage thoracique et qui monte aux dents, les changeant en crocs. cette colère qu'il ressent lorsqu'il voit quelqu'un maltraiter un animal ou une autre personne. ça le rend fou, il serre les poings et fonce dans le tas. jamais il ne sera spectateur silencieux face à une telle injustice. il se fera cogner, ou il gagnera le combat, mais en tous cas, il donnera tout ce qu'il a dans l'estomac pour corriger le méfait. ☽ même en étant aux premières loges sur les ravages de l’alcool, c’est un buveur d’exception, colby. ça remonte aux soirées de lycée où il finissait toujours comme étant le plus torché de ses potes. il ne connaît pas les freins, même lorsque tout son corps lui hurle qu’il en a déjà eu plus qu’assez. lorsqu’il décide de se lâcher, il ne s’arrête pas, s’entête à finir la bouteille et finit la tête dans les chiottes à se promettre qu’il ne boira plus que jamais. un refrain incessant auquel il manque de se conformer, encore et toujours.  ☽ sa mère, aujourd'hui, est dans un asile psychiatrique. il va lui rendre visite de temps à autre, mais c'est de plus en plus difficile. à chaque fois qu'il se pointe, c'est un amas d'insultes qu'il se prend en pleine gueule pour accueil. elle n'est plus elle-même, il n'est plus rien pour elle, qu'un défouloir, un punching-ball pour justifier la démence qui l'a emportée. elle lui manque parfois. mais il n'en parle à personne, il garde ça pour lui, ce secret pesant qu'il ne veut pas partager. ☽ d’aucuns diraient qu’il a l’air carrément désintéressé. au premier abord, on ne peut que penser qu’il est détestable. qu’il est de ces individus qu’on ne peut tout simplement pas apprécier, et qu’il mériterait juste d’être ignoré. mais il s’intéresse, colby. il s’intéresse à beaucoup trop de sujets d’ailleurs, au point où ça le frustre de ne pas pouvoir y changer grand-chose. c’est quelqu’un d’humain, qui pourrait facilement se dédier à une cause s’il s’en donnait les moyens. mais la grande part d’immaturité dont il ne s’est pas encore allégé l’empêche de battre des ailes, et représente le poids qui le retient sur terre. ☽ c'est une terrible phobie qu'il entretient que celle du vide. incapable de prendre l'avion, de montrer trop haut, ça lui donne des vertiges, des nausées, tout ce que vous voulez. il n'y a que les piafs qui ont le droit de parcourir les cieux selon lui, si dieu voulait que les humains s'envolent, il les aurait dotés d'ailes. ☽ colby avait toujours le nez plongé dans ses bouquins ou dans ses cahiers. lecteur avide de connaissances, plume réclamant de la reconnaissance. il dressait les poèmes comme certains bâtissaient les immeubles. la force qui lui manquait aux bras venait se fixer sur ses mots. un artiste complet, dont le talent n'a jamais été dévoilé au grand jour. des vers écrits avec sa lampe de chevet pour seule source de lumière. des sourcils froncés, un air concentré, une langue indiscrète sortant de sa tanière lorsque tout son être hurlait un besoin de créativité. ☽ il n'était qu'élève médiocre, qu'on croyait dénué d'intelligence. incapable de se concentrer lorsqu'il n'était pas passionné, l'école n'était pas faite pour lui. il lui suffisait d'une distraction toute bête pour perdre le fil. malgré tous les efforts du monde, il lui était impossible de suivre ses cours, de se concentrer sur ses profs. pourtant, il avait essayé, il s'était donné à fond. il voulait prouver que l'absence de moyens ne faisait pas forcément de lui un raté, qu'il pouvait être excellent également. mais lorsque ce n'était pas de l'art, il n'arrivait pas suffisamment à s'accrocher pour rendre fière une mère qui voulait le voir réussir.