les oubliées | ina

C’est sur un coup de tête qu’elle est venue ici, se perdre, peut-être, raviver les blessures, sûrement. Nephtys reste figée devant les grilles d’un cimetière où elle n’a jamais osé venir depuis plusieurs années maintenant. Tout lui rappel l’odeur des lys, les larmes contenus de sa mère, le peuple noir qui entourait le cercueil. Rien qui ne puisse faire jaillir de bons souvenirs. Ici, devrait être la maison de sa fille, selon des tas de langues qui se délient, sûrement selon son ex-mari. Elle se refuse à l’accepter, à jeter de la terre au visage peut-être encore animé de vie de sa fille. Entre ses bras est couché un bouquet de fleurs, sous prétexte d’aller se recueillir devant la tombe d’une grand-mère décédée depuis douze ans maintenant. Elle n’aura pas connu son enfant, n’aura pas eu à voir, non plus, la déchéance de sa petite fille. Baissant les yeux sur les tulipes qu’elle a ramené, elle hésite encore, ses yeux bien dissimulés derrière des lunettes de soleil, comme un rempart de plus entre elle et l’univers, pour n’avoir à croiser le regard de personne. Nephtys finit par avancer, ses chaussures crissant contre les graviers qui jonchent l’entrée avant que ses pas deviennent silencieux sur le béton qui sert de chemin entre les tombes. Le lieu a un silence que certains trouvent apaisants. Il l’oppresse, au contraire. Dans sa poitrine se contracte les douleurs de l’angoisse, véritable poison qui lui ronge la vie depuis quelques semaines. Si elle arrive à s’immerger totalement dans son travail, les mots de Ryker lui reviennent en boucles, lui battent aux tempes comme un deuxième cœur, pour lui rappeler qu’elle devrait lâcher prise. Ses doigts se resserrent contre le bouquet comme pour se forcer à s’accrocher à quelque chose, n’importe quoi. Ses yeux cachés par la teinte des verres se posent sur les photos coulés dans le marbre des tombes, des sourires figés à jamais, certaines images parfois usées par le temps qui est passé, les lettres d’or officialisant l’éteint des âmes partit depuis un long moment. Ses pas finissent par ralentir, comme automatiquement, s’accrochant au visage d’une enfant, à son nom et à la date récente qui y est gravée. Nephtys cille, s’y arrête malgré qu’elle ne connaisse même pas le corps couvé de terre à quelques mètres en dessous d’elle. La nausée la saisie violemment. Elle ne pourrait jamais enterrer sa fille, pas comme ça, pas sans être certaine que son cœur d’enfant ne bat plus, que ses doigts ne remueront plus jamais, que ses lèvres ne laisseront plus rien échapper. La douleur est vive, c’est toute une maladie qui lui étreint l’âme, celle du désespoir de ne jamais la trouver. Du coin de l’œil, elle sent bien la présence d’autres personnes dans l’allée, se perd un instant sur le profil d'une silhouette toute happée par la tombe devant laquelle elle reste figée mais toute son attention est braquée sur les traits respirant le bonheur de l’enfant que la mort a fauchée trop tôt. Pourtant, elle devrait savoir. Elle a vu des choses, entendu des choses et même défendu des victimes d’actes ignobles, des familles dévastées. Sauf que personne ne lui a jamais appris à se défendre contre son propre désastre.

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