De quelle étoile sommes-nous tombés pour nous rencontrer (cyrus)

La nuit tombée, les démons passé minuit, revenaient, débarquaient au galop. L'obscurité, le monde assombri, lui permettait d'évacuer peine et rancœur. Alors son cœur, son corps, son âme errait, là, dans les rues désertes, plongées dans l'immensité d'un silence aussi froid que pesant. Il comblait ses soirées de diverses manières, à partir du moment où son esprit ne divaguait pas vers des horizons épineux, dangereux pour lui-même, des terrains rocheux qui cherchaient inévitablement à lui nuire. Il n'avait définitivement plus le goût, ni la motivation pour se battre davantage ; contre des inconnus, contre sa propre personne ou bien contre ce qu'il pouvait ressentir dans les tréfonds de son être. Un trou béant dans le néant qu'était sa tête, un vide inébranlable qui noyait et submergeait émotions et iris. Cependant, ce manque terrible qui creusait un fossé entre besoin et envie n'avait pas le temps de s’immiscer davantage dans sa tête. Depuis un peu plus d'une semaine déjà, il se rendait dans un bar dans lequel il payait sa dette en nettoyant quelques verres, en remettant de l'ordre dans la salle, histoire de remettre les comptes à zéro. Évidement, on ne changeait pas les mauvaises habitudes ; un jour, alors qu'il s'ennuyait, il s'était permit d'entrer dans les vestiaires du fameux bar en question pour fouiller les poches des vestes et récupérer les gains qui lui plaisaient, jusqu'à ce qu'il ne se fasse surprendre par un membre de la sécurité. Depuis, il se rendait dans cet endroit détestable la plus part des jours de la semaine pour accorder son temps à quelques corvées non rémunérées qui l'empêchait au moins de devoir faire face à la police. Comme à son habitude, il entrait sans dire bonjour à qui que ce soit et se mettait immédiatement à la tâche.

Durant plus d'une heure, il était resté dans la réserve pour compter les bouteilles de telle ou telle marque restante, sans jamais vraiment sortir de son coin. Les lieux désormais désert suite à l'heure de fermeture approchant grandement, son responsable était venu lui demander de s'assurer que plus personne ne traînait dans les parages et si c'était bel et bien le cas, alors il se devrait de les virer. Sans plus attendre, il partait en quête du moindre détail louche, passant par les vestiaires avant de poser la main sur la poignée de la porte. Seulement, lorsqu'il l'ouvrit, un spectacle qu'il n'aurait jamais cru voir un jour le frappait de plein fouet. Tétanisé durant plusieurs secondes, il finissait par  se jeter sur ce corps qu'il ne connaissait que trop bien. Agenouillé près de lui, il laissait s'envoler tous les mauvais ressentis pour laisser à son coeur le douloureux choix de s'en vouloir. Il l'avait salement abandonné du jour au lendemain pour une erreur qu'il n'avait même pas fait l'effort d'essayer de pardonner, il n'avait plus donné de nouvelles ; comme porté disparu de la vie de Neo. Parce que c'était plus facile de s'effacer que de l'affronter, seulement voilà, il le retrouvait là, le bras entaillé et il n'aurait jamais imaginé de telles retrouvailles. Peut-être que si, oui, peut-être que si j'étais resté, j'aurai pu l'aider un peu. Cette pensée envolée, il détachait le bandana bordeaux perdu dans ses cheveux brun pour l'appuyer sur la plaie profonde, celle-ci perdant une quantité conséquente de sang. Sans perdre une seconde, il extirpait son téléphone de sa poche arrière pour appeler une ambulance qui eux, promettaient de se dépêcher suite aux  hurlements hystériques de Cyrus. De sa main libre, il tapotait ses joues assez vivement pour l'empêcher de fermer les yeux ; « -Je suis là crétin, l'ambulance arrive, t'endors pas, t'en vas pas, tiens le coup, dis-moi quelque chose s'il te plait, n'importe quoi, mais dis-moi quelque chose ».

Il était impossible pour lui de rester impassible face à cette scène dès plus redouté, affolé, c'était effrayant. Son coeur hésitait entre tenir le coup ou céder au choc du sang qui commençait à imbiber son bandana et colorer sa paume, ses doigts, d'une couleur sombre et inébranlable. Même s'il lui en voulait, même s'il l'avait fuit ; il n'avait jamais voulu de tout ça, il n'avait rien demandé, pas même à s'attacher autant à cet idiot, cependant l'erreur avait été commise et il ne pouvait pas se détacher de quelqu'un d'un claquement de doigt alors en effet, il contenait en lui son envie de lui hurler dessus, de lui demander pourquoi, pourquoi est-ce que putain, il avait fait une chose aussi bête que s'élancer les yeux fermés dans ce néant. Apeuré par l'idée de le perdre lui aussi, il tremblait sans vraiment pouvoir le contrôler. Jusqu'à ce que finalement sa voix ne s'élève faiblement, d'un ton fébrile, pour déclarer qu'il ne sentait plus ses bras. « -Putain d'ambulance de merde », grommelait-il, la mâchoire serré, paniqué. Les secondes paraissaient longues et chacune d'entre elles s'éternisaient un peu plus. Neo avait son entière attention, ce qui n'était plus le cas ces dernières semaines ; il l'écoutait alors attentivement, encrant ses mots de façon indélébile dans sa mémoire bancale. « -Ferme-là ! Tu vas pas mourir », non, il ne le laisserait pas s'en aller. Il était hors de question qu'il le laisse partir, pas comme ça, pas de cette façon, dans ces toilettes, baignant dans son propre sang. « -Je te laisserais pas crever putain », s'énervait-il, brûlant d'impatience et priant des Dieux auxquels il ne croyait pas, dans l'espoir de sauver ce cœur indomptable et au bord du précipice.

Lorsque Neo commençait à sangloter, il venait passer sa main libre sur ses joues, essuyant les perles salées dévalant son visage bien trop pâle. T'avais promis que je serai plus jamais seul. Oui, il l'avait promis, c'est vrai. Sa promesse s'était effondrée telle un château de cartes sous une brise d'été, à l'entente d'une nouvelle qui l'avait consumé et le consumait toujours autant. « -J'avais promis ouais et j'avais besoin de temps pour avaler ça mais c'est pas le moment d'en parler t'entends ? Alors tu vas te battre, tu vas tenir le coup et je pourrais te botter le cul », rétorquait Cyrus, cherchant désespérément un brin d'oxygène. « -Neo, je t'interdis d'abandonner si facilement, garde tes yeux ouverts », implorait-il d'une voix qui se brisait davantage à chaque respiration. Il prenait la décision de se servir du bandana pour finalement faire un garrot, dans le simple but d'arrêter quelque peu l'écoulement de cette hémoglobine tenace. Cyrus se remettait difficilement sur pieds avant de mettre lui-même son vis-à-vis sur ses deux jambes en le soutenant, jusqu'à ce qu'il le porte comme la princesse qu'il n'était pas. Il sortait des toilettes, laissant derrière lui l’œuvre d'un sos désespéré. Une fois dans la salle principale, un collègue approchait subitement, complètement affolé et déblatérant tout un tas de conneries ; « -Ferme bien ta gueule, d'accord ? C'est pas le moment, file moi tes clefs ».

Tant pis pour l'ambulance, ils tardaient bien trop. Sans plus réfléchir, il prenait le trousseau qu'on lui tendait et son propriétaire lui filait un coup de main pour installer le blessé sur le siège passager. Ni une, ni deux. Il démarrait en trombe et fonçait à vive allure, dépassant les limites de vitesses, grillant les stops et doublant les voitures voisines. Son sang froid était à deux doigts de rendre l'âme et ça n'était ni le moment, ni le lieu adéquat. Plus rien comptait, si ce n'est la survie de Neo. « -Garde les yeux ouverts, s'il te plait, ne les fermes pas, c'est pas ta putain d'heure », crachait-il, les nerfs écorchés à vifs. Alors, en moins de temps qu'il ne fallait pour le dire, ils arrivaient à l'endroit désiré. Garé en vrac devant la porte des urgences ; il sortait du véhicule et venait le sortir à son tour, le portant à nouveau. Un conte de fée bien tragique, finalement. D'un pas rapide, terrifié, il pénétrait en furie et criait rageusement sur les infirmières qui elles, bipaient les médecins ; « -Faites quelque chose bordel ». Peu après son appel à l'aide, l'équipe médicale prenait en charge Neo et malheureusement, il fut dans l'obligation de le lâcher, pour le regarder s'en aller avec ces gens qui tenaient précieusement sa vie entre leurs mains. C'est sans savoir s'il le reverrait vivant qu'il devait se résoudre à attendre longuement dans la salle d'attente. Il faisait les cents pas, tiraillé par ces sentiments qui l'accablait ; Neo n'avait pas le droit de mourir. Il n'avait pas le droit, pas maintenant.