› identité: encrée de rouge.
timofeï cherkashin. un patronyme qu'on oublie de ce côté du globe, mais toujours le même nom qui donne aux occidentaux l'impression que tu leur craches à la gueule. le prénom il est plus doux, moins incisif. et puis ils t'appellent
timo, pour la plupart. y'en a d'autres dans le milieu qui te surnomment
la faucille ou
le marteau, mais c'est pour le folklore, c'est ridicule. seulement synonymes d'un nom qui évoque la mort.
› âge, date de naissance: né au milieu de l'année, un onze juin.
vingt-cinq ans, un gamin.
› signe astrologique: t'es pas tout seul, tu l'es jamais. il y a toujours timofeï qui tient compagnie à timofeï. le violent et le violenté. rien de clinique dans ton esprit, juste l'humeur qui change facilement. le
gémeaux lunatique.
› lieu de naissance, origines: c'est à smolensk que c'est arrivé, en
russie. c'est pas seulement l'hémoglobine qui teinte ton sang de rouge, c'est aussi tes origines.
› emploi, études: t'utilises des seaux. de l'un tu sors des pans de papier enduits de colle, dans l'autre tu plonges une main à dissoudre.
colleur d'affiche,
nettoyeur. toi qui reconstitues feuille par feuille un visage en grand format, et qui en démolit d'autres la nuit tombée.
› orientation sexuelle: c'était pas une question, là-bas. c'était les filles, la seule chose à laquelle tu avais le droit. peut-être que ton âme se serait dirigée vers ceux à la pomme d'adam, mais c'était avant
ça. sûrement que tu les aurais aimé eux, si tu t'étais pas fermé. si
on t'avait pas fermé. alors
hétéro.
› statut civil: célibataire. des fois tu paies des putes pour te vider, parce que t'en ressens le besoin. mais jamais t'essaies de nouer des liens, parce que tu le sens pas. y'a quelque chose qui manque, quelque chose qui te ressemble pas. tu forces pas, tu laisses couler, tu les laisses partir sans rien demander.
› traits de caractère: t’es le gosse amer de la mère-patrie. celui qu’elle a esseulé, élevé, refoulé. c’est pas grâce à tes origines que t’es ouvert d’esprit, en fait c’est à cause d’elles que tu l’es pas. la vérité c’est que t’es très intelligent, t’es malin, débrouillard. tu réfléchis vite. mais y’a des trucs qui sont marqués du sceau rouge du tabou, des portes de ton esprit qui se sont fermées parce que la russie mère a foiré son éducation. une éducation pleine de paradoxes. elle a fait de toi un soldat sans te laisser en porter l’uniforme. t’as appris la loyauté qui t’a donné envie de partir en occident. t’a donné les clés d’un savoir-faire macabre que tu n’utilises même pas pour son compte. en fait, la mère-patrie a donné naissance à ce qu’il y a de meilleur pour elle, sans réussir à le retenir. tu renies pas tes origines, ni tous ses enseignements biaisés, mais tu te sentais simplement pas de vivre là-bas. un gars nostalgique comme toi, ça aurait mal vécu de baigner dans l’âpre souvenir du viol.
( faire le ménage par le vide, en trois points )adin. tu fais danser le briquet sous le tas de feuilles. la flamme halète le papier, elle s’étire pour pouvoir le ronger et grignoter les larmes encrées que t’as mis des années à verser. presque religieusement, dès que quelque chose d’important t’arrivais. une lettre à papa et maman. pas d’enveloppe, pas d’adresse. pas de nom ni de timbre. juste un tas de papelards accumulés dans un tiroir, grattés par la plume amère d’un gamin en manque de repères.
d’eux, tu n’as que les prénoms russes. tu n’as qu’une vieille brochure de journal qui parle des exploits des illégaux, y compris ceux des camarades cherkashin. maîtres espions de l’urss. transfuges de merde.
dva. la retraite ramollit. la vue d’abord. on remarque plus la silhouette qui suit son ombre, même si elle est polymorphe. l’ouïe faiblit, on n’entend plus les pas feutrés qui nous hérissaient les poils y’a de ça quelques années à peine. et puis le corps nous lâche, la bite — maintenant il fait venir des tapins avec une pomme d’Adam encore trop peu développée pour froisser les draps. plus la puissance de forcer personne à écarter les cuisses.
la première chose que t’as faite, c’est de lui enfoncer un torchon dans la bouche, pour étouffer les cris. puis t’as pété son bras gauche, et le droit. ça n’a pris qu’une minute à peine. sans compter les clochards bourrés — donc plus faciles à maîtriser —, t’as largement eu de quoi t’entraîner à briser deux membres en quelques dizaines de secondes.
après, déferlement. les phalanges gantées qui criblent sa gueule de violeur, les larmes qui viennent diluer ce que le sang tache déjà de sa peau.
il respire plus. il a le visage comme un chou-fleur, t’as putain de mal aux mains, aux poignets. en fait, ton corps tout entier est engourdi. engourdi par la douleur des coups répétés, engourdi par la sensation que procure ton premier meurtre.
ta peau maculée de sang, elle semble te brûler. les fourmis dans les jambes, les yeux qui piquent. tu tombes du lit, emportant le drap qui couvrait son corps nu. tu l’imagines à nouveau derrière toi, collé à ton cul. le bourrant en même temps qu’il bourrait seconde par seconde ton crâne d’idées homophobes. à cause de lui que t’es comme ça. il a donné raison à ceux qui disaient que c’était contre nature. trop jeune pour prendre de la distance, et après, c’est foutu. et dire qu’au fond, tu ne pourrais tomber amoureux que d’un homme.
t’ouvres ton sac à dos, en sort une feuille de boucher. un quart d’heure plus tard, tu remets la lame dans le sac avec deux mains et une tête. tu traînes le corps jusque sous la douche où tu le laves pour effacer la sueur qui aurait perlé de tes muscles saillants de rancune.
en reprenant ton souffle face à ce corps mutilé, ton regard se perd jusqu’à son entrejambe. il en a fourré tellement que tu pourrais paraître inaperçu. tu y réfléchis sérieusement, parce que ça te plaît de pouvoir l’émasculer. finalement tu renonces. trop prudent. trop malin pour se faire choper à cause de l’arrogance. et puis, tu touches pas à ça, t’es pas gay.
tri. elle a le regard fuyant. elle ne peut pas supporter de te voir partir, comme la plupart des femmes qui sont derrière elle. c’est la porte-parole parce que c’est celle qui t’a aimé le plus parmi toutes. elle te dit de faire attention à toi, de ne pas faire confiance aux américains. tu lui réponds que la guerre froide c’est fini, que y’a bien des mc do’ ici, mais tu finis par acquiescer. ici, t’es bon qu’à ça : écouter et exécuter.
elle te prend dans ses bras. parle. des mots qui résonnent encore dans ta tête aujourd’hui.
tu réponds pas, tu relèves pas. tu souris juste. tu l’embrasses sur sa joue striée par les rides, prend ton sac et leur tourne le dos. dès que tu es sorti de la bâtisse, la croix est glissée dans l’ouverture du col roulé. repartir de zéro.
plus rien qui te retient ici.
le vide rouge.
( l'arrivée et la langue prête à se fourcher )c’est le nom qui t’a trahi quand tu lui as tendu le papier. une feuille A4 trouvée sous un abribus, à côté justement d’une des affiches dont les prospectus faisaient leur fierté première. y’avait aucun accent pour lui faire deviner tes origines. que ton nom complet que tu prononces à la russe, par fierté, par arrogance. en tous cas, c’est ton patron qui t’a rebaptisé timo. en tout et pour tout le troisième américain auquel tu as adressé la parole, et déjà on simplifie ton nom. pour faire mieux. pour pas faire peur. vraiment trop cons, ces ricains.
t’as eu de quoi te payer quatre nuits d’hôtel avant de poser ton cul et ton dos sur un banc, dehors. t’as remonté ton sac dans une chambre d’hôtel quand t’as eu assez d’avance pour savoir que t’en serais pas chassé avant quelques temps. c’était peu de sommeil, ces premiers jours chez les américains. parce que tu passais tes nuits à errer, ton sac sur le dos pour pas qu’on te le vole. à longer les trottoirs là où quelques autres malchanceux avaient atterri, là où quelques autres malchanceuses courbaient l’échine jusqu’à la fenêtre d’une voiture curieuse.
et un jour, te voilà là. contre un mur, avec une pétasse qui te prend au col. c’est instinctif pour toi, tu sors la lame et la plante dans sa gorge. un couteau que t’as subtilisé sur un stand de hot-dog, au parc. l’impact, précis, pas d’éclaboussure. tu couvres vite la lame avec ses mèches de feu quand un couple de quinquagénaires croise ton regard. tu laisses le métal fendre ses globules rouges pour éviter l’effusion et la porte comme tu porterais une fille qui a trop bu et qui vient de dégueuler sur tes pompes. ils passent leur chemin.
tu jettes le corps comme une merde une fois que t’es arrivé près d’un amas de carton susceptible de vous cacher. un mois et demi que t’es là, et déjà. le deal, c’était d’oublier son passé. pas d’en ramener qu’une moitié et laisser l’autre là-bas. peut-être que tu devrais te rendre ? c’est ce que font les gens sensés. ça t’échappe, tu t’accroupis, fermes les yeux. ouais, les gens sensés iraient voir la police et leur expliqueraient tout. mais pas en russie.
le briquet ouvert entre tes doigts, c’est plus des lettres que tu brûles mais la pulpe de ses doigts. les empreintes que tu carbonises. tu fais la ruelle de long en large jusqu’à trouver un morceau de brique assez conséquent pour lui péter les dents. tu finis par enlever le couteau de la plaie, son corps déjà tiède réagit. à peine un soubresaut, que l’adrénaline amplifie étrangement dans ta tête. tu baisses son pantalon, déchire sa culotte et sors un sein de son soutien-gorge.
en quittant les lieux tu retournes ton bomber réversible et tu glisses le couteau dans ta poche, enroulé dans un pan de sa culotte. tu le jetteras plus tard. ta démarche est tranquille, habituelle. insoupçonnable. «
tu fais ça souvent ? » aucune réaction, tu continues de marcher droit même si le poing se serre autour de la lame. «
le coup des empreintes, c’est malin », qu’il rajoute. alors tu stoppes ta marche. tourne la tête, le voit qui va s’asseoir sur un banc.
tu sais pas pourquoi tu l’as rejoint. vraiment pas. il est là, à te parler d’un groupe qui pourrait être intéresseé par tes talents. les tiens, ceux du gamin qui a toujours travaillé seul. et encore, travailler, c’était pour le plaisir surtout. il dit que les gamins futés, c’est ce qu’ils cherchent, pas comme cette conne que t’as butée. c’était son premier test de terrain pour la skala.
toi tu réfléchis et t’en as marre d’être seul. t’en as marre d’avoir personne à qui dire au revoir, ni personne à qui penser si les choses tournent mal. pas naïf au point de penser que tu vas avoir une nouvelle famille. naïf au point de penser que ça pourra pas te changer de ce que tu faisais en russie.
parce que là-bas au moins, t’étais conforté dans l’idée que ce que tu ressentais était mal. moins compliqué.
«
toi, t’as une belle gueule de cobra, tu sais. moi, si tu décides de me suivre, ça sera anaconda. »