(honey) boire tes paroles, avaler d'travers

( la tête tournée vers les étoiles )
printemps. zachary, elle éclôt le treize mai mille neuf cent quatre-vingt cinq, petit bouton de rose qui n’attend pas la fin du terme pour pointer le bout de son nez. trop pressée de la découvrir, cette planète, que sa maman lui décrit en se caressant le ventre du plat de la main. nourrisson qui ne crie pas en étant mis au monde, médecins paniqués qui n’osent pas se regarder, se demandent silencieusement pendant un instant cauchemardesque si la petite prématurée est en fait un cadavre. non non, rassurez-vous, qu’elle semble leur dire en entrouvrant les paupières avant de serrer – ô joie, ô soulagement – le pouce de sa maman de sa petite main potelée. c’est simplement un bébé trop heureux pour pleurer, il faut croire. pas une larme ne franchit les paupières de l’enfant pendant ses premières années d’existence. éclats de rire sur le tricycle fraîchement reçu pour son troisième anniversaire, simple haussement d’épaule après la chute de balançoire à l’école primaire, zachary qui grandit avec la calme certitude que toutes les planètes s’alignent pour qu’elle puisse envisager le futur avec sérénité. planètes qu’elle regarde avec fascination derrière son petit téléscope offert par son père. elle passe des heures à s’interroger sur les raisons pour lesquelles mars devient plus rouge entre deux et quatre heures du matin, sur les origines des noms des constellations, sur cet énorme astre noir qui bouge devant son… ah non, ça c’est une mouche sur la lunette. une enfance insouciante bercée par les promesses d’un avenir sans nuages – rempli d’étoiles. été. déménagement de la petite tribu à sunset valley, retour aux sources pour monsieur et grand soulagement pour madame. zachary va enfin avoir des cousins avec qui rigoler, faire des bêtises et parler de peines de cœur, elle qui a toujours été une enfant souriante et sociable mais intéressée par les activités en solitaire. lecture, dessin, piano, c’est bien mais ça ne remplace jamais une bonne bataille de bombes à eaux en famille. dans l’avion, pour son tout premier vol, zach colle son nez au hublot et tente d’apercevoir les grandes routes américaines, le grand canyon qu’ils survolent, les buildings. elle ne voit que les nuages qui moutonnent paisiblement dans le ciel bleu, mais ça lui va bien aussi. sept heures à dévorer des yeux l’immensité bleue et blanche qui l’entoure en se disant que c’est un pas de plus vers sa petite conquête personnelle de l’espace. atterrissage en terre inconnue et plongée dans un univers fait de voisins souriants à la pelouse toujours impeccablement tondue, de voitures colorées qui respectent les priorités et d’un beau temps à toute épreuve. sunset valley, cet endroit où rien de mal ne semble pouvoir vous arriver. cadre idyllique dans lequel zach apprend à se faire des amis, passe de longues soirées avec eux et devient peu à peu la jeune femme avenante et pleine de joie de vivre qu’elle est aujourd’hui. automne. rentrée des classes dans la cour des grands. début du lycée, maman qui la laisse partir à vélo les yeux embués en se disant que son bébé grandit trop vite. envie qui démange zach de savoir si elle sera dans la classe de sierra, sa meilleure copine, si elles pourront continuer à s’écrire des petits mots en cours et à essayer d’imaginer la vie familiale intrigante de leur vieux prof de maths. – presnel hall, qu’on appelle au micro en annonçant la longue liste des élèves de seconde B. chacun des heureux élus se lève, traverse l’auditorium et vient s’aligner derrière madame pigot, la professeur principale. un jeu d’enfant, il s’agit simplement de ne pas se ramasser en montant les escaliers. silence rempli de supsens alors que les premiers noms sont annoncés, brouhaha qui s’élève au fur et à mesure du long défilé, cérémonie un peu trop longue et solennelle pour des adolescents. zach, ça fait bien longtemps qu’elle a décroché, un grand sourire rêveur aux lèvres, ses yeux verts dardés sur l’agenda de sierra, qui lui montre le mot que son crush lui a visiblement laissé à l’intérieur. zach, elle doute fortement qu’il ait fait une chose pareille et pencherais plus pour une blague d’une de leurs amies, mais elle sourit de l’enthousiasme exubérant de sierra, qui est le feu autant que zachary est l’eau. jambe qui arrive à sa hauteur et la culbute quelque peu, elle laisse échapper le carnet et relève la tête vers le responsable de cet accident, qui se dirige vers l’estrade avec une nonchalance imperturbable. zach, elle a pas compris c’qui lui était arrivé quand elle l’a aperçu, de dos, lui lançant un regard détaché par-dessus son épaule. tout ce qu’elle sait, c’est que le centre de son système solaire c’est désormais presnel. et qu’elle a drôlement envie de se retrouver dans sa classe, ouais. hiver. crescent heights, c’est joli en journée, y a l’petit port, les enfants qui font des balades le dimanche dans la forêt avoisinante. zach, elle voit que le positif dans la vie, alors elle se dit ça. elle se dit que ça va aller, que sa famille va pas trop lui manquer, qu’elle a presnel, ses études. ignore délibérément le fait que la nuit, dans son quartier, y a des mendiants qui claudiquent en hélant les jolies filles. ferme les yeux face à la longue et douloureuse descente aux enfers de presnel. zach, elle caresse les blessures des autres d’un sourire, fait fondre la neige qui s’amoncelle dans les rues de sa présence chaleureuse. elle arrive pas à voir le positif dans les coups, dans les cris, dans le regard vitreux de son amour qui ne lui donne parfois pas de nouvelles pendant des jours. elle a essayé, pourtant. de se dire qu’il extériorisait, qu’il lui fallait un peu de temps, que ça irait. mais elle en doute parfois, elle se réfugie dans la salle de bains et elle pleure à gros bouillons. et puis elle en ressort et elle combat chaque gifle, chaque mot dur qu’il lui lance à la gueule par une petite attention, un cadeau pour ina, des fleurs sur la table du salon. elle est plus rayonnante que jamais, zach. elle a adopté un chaton, elle sert des soupes aux sans-papiers et tout le bordel, parce que soigner la douleur par l’amour, ça au moins, elle sait faire.