though this be madness, yet there is method in it. (sadie)

( la tête tournée vers les étoiles )

1. vous êtes sur terre et c'est sans remède



c'est comme si l'enfance n'existait plus, diluée dans de vagues souvenirs, peut-être inventés, fantasmés, construits pour se rassurer. pour avoir l'impression d'avoir vécu quelques moments heureux. tout cela est si loin... annihilé par un événement survenu quand sadie avait dix ans, sa petite soeur six ans. la petite famille résidait encore au mexique, dans une ferme, dans une ville loin de tout, où sadie s'ennuyait ferme. petit déjà, elle imaginait d'autres lieux, de nouveaux visages, un univers fait de potentialités qu'elle pourrait explorer. toutes ces femmes qu'elle pourrait être. toutes ces aventures qui rythmeraient sa vie. elle faisait des plans sur la comète, sans une once de sens pratique et de réalisme. ce jour là, elle se baladait avec sa petite soeur au bord d'une rivière. les parents ne les surveillaient guère. légèrement démissionnaires, mais aimants - ce que sadie a toujours parfaitement ignoré, à dessein. dans la tragédie que revêt le début de son adolescence, dans ce récit qu'elle construit, pour les très rares oreilles attentives, il n'y a pas de place pour des parents présents et attentionnés.

les voilà donc, marchant tranquillement le long de l'eau. mais comme toujours, sadie est sur son petit nuage, dans ses rêves, en déconnexion totale avec la réalité. le monde réel est si morne, triste, toujours décevant. à quoi bon s'y attacher ? il fallait s'inventer des histoires, pour réussir à vivre. trop affairée à cueillir des fleurs et à observer la nature environnante, elle ne vit pas que sa soeur était partie au loin. quand elle se retourna, elle n'était plus là. elle la chercha, longtemps, dans les bois. elle l'appela, aussi, hurlant. seul le silence répondait. et puis, quelques instants après, elle vit, dans la rivière, un corps. flottant, paisible, mais livide. elle crut à une vision. ce ne pouvait être vrai.

mais c'était elle, pourtant. morte. abandonnée aux flots.

le début de la fin pour sadie. la culpabilité, insidieuse, peu présente au début, mais qui a fait son chemin au fil des ans. c'était à elle, de la surveiller, de prendre soin d'elle, au lieu d'être obnubilée par toutes ces futilités. chute, puis noyade, logique chez une enfant qui ne savait nager. ou peut-être, un suicide. impossible de le savoir.

début d'une rébellion, intense, contre dieu le père. celui qui "veille" sur les hommes. du moins, c'était ce qu'on lui avait inculqué, dans sa famille de cul-bénit. sadie est alors rentrée dans une phase de mépris profond de toute spiritualité. si dieu existait bel et bien, comment expliquer un tel événement, profondément injuste ? il n'était pas possible de se conforter en pensant à une vie après la mort, que sa soeur aurait rejoint. tout ceci n'était qu'un grand mensonge honteux, qui ne méritait que les crachats et sa haine. anéantissement de la foi et nihilisme forcené s'en suivirent inévitablement.

tout ce qu'elle entreprend, depuis, est une fuite en avant, une tentative de se créer une autre vie. l'envie de se détacher de cet événement, que lui aussi soit englouti par les flots et que du passé, rien, ne subsiste.

2. le sommeil de la raison engendre des monstres



impossible de rester dans cet état de passivité face à la vie, dans cette petite ville ennuyeuse. il fallait prendre son destin en main, fuir le malheur. au risque d'abandonner complètement ses parents, d'ailleurs. alors, elle est partie, d'abord pour "étudier", études d'une vacuité confondante, dont elle n'a strictement rien retenu. époque à laquelle elle sortait énormément, se rendant compte pour la première fois, des effets de son physique plutôt avantageux sur les hommes et de tout ce qu'elle pouvait tirer d'eux. depuis, sadie la sadique, prend un malin plaisir à les faire tourner à bourrique, à les rendre barge, mais pas avant qu'ils lui aient offert un sac de créateur ou une nouvelle montre hors de prix. elle profite de leur faiblesse et se réjouit, sourire aux lèvres, du spectacle infiniment plaisant, jouissif même, d'un homme qui se laisse berner et qui en redemande.

sadie est devenue, au fil de ans, une personne vicieuse, malsaine, à qui on ne peut faire aucune confiance. celle qui voudra toujours vous baiser, mais pas forcément au sens premier du terme. toutes ses relations sont envisagées sous l'angle suivant : que peut il ou elle m'apporter ? comment m'enrichir ou m'élever dans la société grâce à lui ou elle ? elle n'a donc que faire de ceux qu'elle nomme les "gueux", tous ces gens qui ne peuvent rien lui apporter sur un plan financier. quelques rares exceptions subsistent, bien sûr.

rastignac des temps moderne, à l'affût de toute possibilité d'écrasement de son prochain. aimez vous les uns les autres ? non. servez vous des uns, puis des autres, plutôt.
difficile d'expliquer ce changement soudain de comportement, ce vice au développement exponentiel. rien ne la prédestinait à devenir ainsi, si ce n'est l'envie d'une rupture radicale avec ses jeunes années et sa candeur d'antan. peut-être que tout ceci sommeillait en elle, depuis le début, et qu'il fallait un événement traumatique pour que tout éclate au grand jour.

3. le serpent qui danse



une activité conventionnelle, légale, n'était bien sûr pas envisageable. il fallait un lieu de création, un lieu où l'étendue de sa mythomanie et son talent pour le mensonge pourraient être explorés. alors, elle s'est mise à fréquenter des casinos, incarnant divers personnages, à la recherche de proies, encore et toujours. mais le jeu l'ennuyait profondément. ce qu'elle aimait, elle, c'était regarder les autres. un vrai théâtre, une comédie humaine, dans un décor laid et criard.

elle a commencé à organiser ses propres parties, à new york d'abord, puis dans une multitudes de villes aux états-unis. toujours avec une identité différente, d'ailleurs, car cela tournait mal, systématiquement. ses commissions disproportionnées finissaient par faire tiquer les joueurs. tout comme la disparition de montres ou portefeuilles. cette vie toujours sur le fil, faite de criminalité et d'immoralité, était faite pour elle. le succès financier a été au rendez vous, mais sadie était régulièrement sur le point de se faire arrêter. néanmoins, ne manquant pas de ressources (et d'orgueil), elle est sûre que, si elle se retrouve en prison, un jour, elle s'évadera.

sadie a atterri à crescent heights, il y a quelques mois. pas le meilleur lieu pour chasser du millionnaire. mais, elle trouve son compte ici, il y a toujours des gens à plumer, où qu'on soit. à côté de ses activités peu recommandables, sadie a tenté de se créer un nouveau personnage bien sous tout rapport. pour qu'on ne soupçonne rien. ainsi, elle s'est fait des amies, s'appuyant sur les quelques restes de gentillesse en elle. elle a aussi fait diverses activités atrocement "normales", pour se fondre dans la masse. salsa par ci, piano par là. se convaincre qu'elle ne fait rien de mal. qu'elle a juste trouvé la formule magique pour mener une vie heureuse. ce sur quoi elle se fourvoie, bien sûr, la culpabilité et la tristesse ne s'étant jamais éteintes. elle n'y pense plus, elle se contente de vampiriser son petit monde et de se délecter de les voir, un à un, tomber.