la pluie en été (lio)

la poésie est là - tout autour
fragile, fragile, fragile
et puis c'est fini
la beauté dispose - elle n'a besoin de personne

C’est un mercredi, en fin d’après-midi. Juste après une mince et fine pluie. Les rayons du soleil re-pointent à peine le bout de leur nez. La chaussée est déjà presque séchée, mais sur les feuilles vertes, s’acharne la rosée. L’air sent bon, frais.

Stelly se lève doucement. Incline le cou sur le côté, coincé. Pousse malhabilement sa chaise, de laquelle une des pattes accroche les rainures du carrelage, provoquant un long grincement. Bruit embarrassant, qui la fait figer, un court instant. Elle pince les lèvres, maintient le regard obstinément bas. Combien de paires d’yeux sont désormais tournées vers elle ? Mieux vaut ne pas l’imaginer. Mais elle ne peut s’en empêcher, et la conclusion est qu’il y en a bien trop. Alors ses grandes mains nerveuses s’empressent de rassembler en une pile inégale les feuilles de partitions étalées sur la petite table du café. De glisser le tout dans son grand sac, un peu démodé. Et c’est bien vite son corps en entier qui, par la porte du commerce, s’éclipse.
Soupir poussé, un fois le premier coin de rue passé. Pas ralentissant également, parce que le souffle se fait déjà sentir court. Son pouce et son index s’emparent d’une mèche, frôlant le long de son cou, la ré-enroule approximativement autour de son petit chignon. L’air s’est rafraichis, merci à la pluie. Sa jupe noire, à peine trop longue, ne lui semble presque plus trop chaude. Et sous les timides rayons du soleil, pourrait presque ne pas avoir l’air trop austère. Ça avait été l’un de ces matins où elle n’avait pas trop osé. Sinon pour ce rouge à lèvres. Qu’elle avait tout de même, à plus de trois reprises, été tentée de retirer. Il ne devait plus avoir l’air de rien, à cette heure avancée. Un gâchis. Mais tant pis. Ses cours étaient donnés. Elle rentrait, désormais.

C’est en passant à côté du minuscule parc bordant la buanderie - celui coincé entre briques et ombres, la poubelle débordante et les périphéries des arbres un chétifs mal tondus - qu’elle l’aperçoit. La chevelure frisée est facile à reconnaitre. Elle fixe un court moment, ne salue pas spontanément. Apostropher quelqu’un, c’est forcément déranger. Elle ne le fait jamais. Mais quand il relève la tête, croise directement son regard à elle, toujours coincé là, elle esquisse un mince sourire. Soulève une main, salutation un peu maladroite. Moins de gêne avec ses élèves, elle se permet les prises de nouvelles, les politesses moins lisses. Ancien élève, celui-là. D’ailleurs, pourquoi ? « Bonjour Lio. » Elle étire un peu plus le sourire, sincère. S’avance, fait deux tout petits pas. « Comment ça va ? Tu passes un bel été ? » Elle est gentille, Stelly. Dès qu’elle s’en sent la force, elle s’intéresse aux autres. C’Est plus facile avec les autres gentils, eux aussi. Forcément, Lio tombe dans cette catégorie. Un peu distrait, perdu, c’est bien vrai. Mais calme et doux, présent et pas dérangeant. Désormais absent, également.

@Lio Kentucky