( la tête tournée vers les étoiles )Fille du coin. Gamine qui trébuchait sur les quais pendant que papy buvait un coup au café. Souriante. Obéissante, un brin timide. En même temps trop curieuse, parfois excentrique. Grand-mère décédée des années avant sa naissance, mère très tôt partie, dans le ciel lui a-t-on dit. Rupture d'anévrisme, fin brutale, pleurs, cris. Mais elle avait trois ans, alors elle s'en souvient à peine de ses crises. Esprit coincé. Lèvres pincées lorsque quelque chose lui déplaît.
Commère, rancunière. Elle fait ce qui lui plaît, soigne le paraître.
Fille unique, famille classique. Père flic, souvent absent, déjà en retraite aujourd'hui. Grand-père cheminot, amateur de pêche et de whisky. Élevée par ces deux hommes, alors gamine brute, parfois vulgaire, un peu légère.
Rebelle dans sa jeunesse. Repousser les limites, répondre, provoquer. C'était parfois compliqué. Mais
très famille. Repas le dimanche midi, balade sur le lac ensuite. Des habitudes un peu oubliées aujourd'hui.
Nostalgie. Un brin de regrets quand elle y pense le soir, affalée sur son canapé. Télé, verre de vin. Souvenirs. Comme son premier baiser sur les rails où elle ne devait surtout jamais aller. Coucher de soleil. Un afro-Américain. Comme elle. Elle s'en souvient encore de la douceur de ses lèvres.
Amoureuse de l'amour.
Elle traîne souvent près du phare, fait son footing tous les deux matins très tôt sur le sentier de randonnée jusqu'aux criques. Elle aimerait avoir une maison juste-là, loin de tout, au sommet des rochers.
Fille de l'eau, elle en a passé des journées sur le lac et en redemandait. Gosse qui guettait la barque de son grand-père au loin, qui se languissait qu'il rejoigne la rive et qu'il cuisine les poissons qu'il ramenait. Jouer au loup sur les quais, tremper ses pieds au milieu des bateaux de riches, plonger du bout de la jetée l'été. Plus tard les murges avec les amis, les lundis matins difficiles, maintenant les verres en terrasse, sur son perron, dans son salon ou celui de ses copines. Mais elle ne se déchire plus la tête à coup de vodka soda aujourd'hui. Nan, elle est juste pompette, mais ça c'est elle qui le dit.
Trop souvent un verre à la main, mais paraît que ça va parce que c'est son seul vice - bien qu'une petite Marlboro gagne ses lèvres de temps en temps, en cachette, même de son futur mari.
Femme rangée, maîtresse adorée, reluquée par les papas frustrés. Cinglante, elle déborde de répondant.
Aimante. Si tendre, trop tendre.
Prise. Bague au doigt. La fiancée aux milles sombres secrets. Bientôt le mariage, rêve de petite fille. Impatience, fierté. C'est prévu pour l'hiver prochain, mais tout est quasiment prêt. Et elle n'arrête pas d'en parler. D'ailleurs paraît qu'elle en devient saoulante, mais paraît surtout qu'elle s'en fout.
Égoïste, un peu. C'est elle son principal sujet de conversation. Se plaindre, quémander des regards, de l'affection. En donner, trop parfois. Se pavaner, faire rêver, parfois s'apitoyer.
Sembler parfaite. Ne pas l'être, mais se persuader du contraire. Chaque famille a ses emmerdes, rien de pire qu'ailleurs dans la sienne. Au moins l'amour jamais n'est venu à manquer, pas plus que l'argent.
Pas riche. Pas pauvre. De la classe aisée. Rien a envier, à part toutes les petites têtes blondes qu'elle instruit quatre jours sur sept.
Cinq ans d'amour aux côtés de l'être aimé, depuis trois les discussions. Maison, mariage, bébé. Si le premier souhait est réalisé et le deuxième en voie de l'être, le dernier quant-à lui pose toujours problème. Mais ça va aller. Elle se le répète. Après tout elle a déjà choisi sa robe de mariée et ne voudrait pas la refaire à cause d'un petit ventre qui se pointerait.
Rigolote. Tout sourire. Susceptible, boudeuse, qui dit que seul Dieu peut la juger. Parce qu'
il paraît qu'elle est croyante, qu'elle allait même à la messe le dimanche, avec sa mère - autant dire que ça n'a pas duré longtemps et que ça ne date pas d'hier. Quand même
une croix autour du coup. Le karma. Elle fait mine que tout ça ne sont que des futilités pour distraire les vieilles de la ville, pourtant elle ne peut s'empêcher de regarder la page horoscope chaque matin, pendant que son café refroidi, devient imbuvable et termine délaissé sur la table. Comme un besoin de savoir, elle craint que le sort s'acharne si elle tente de l'occulter. Elle peste, elle critique. Puis tente de se repentir plus tard. Mais rapidement, parce qu'elle n'a pas envie que le destin s'en charge à sa place. Alors quand elle fait une crasse, le lendemain elle prépare des cookies pour les petits de sa classe. C'est une balance, la vie. Faut toujours faire gaffe que les plateaux soient à égale hauteur, car si l'un bascule trop, le second vous revient en pleine gueule. Boucles volumineuses qui cachent un cerveau qui tourne à mille à l'heure.
Angoissée. Par tout. Par rien. Maniaque du détail. Femme respectée. Bien rangée. Belle. Simple. A peine maquillée. Elle sourit. Elle sourit tout le temps. Elle rigole. Mais le rire sonne faux parfois, nan ?