((ici-bas))

la nuit est froide, tous les loups sont de sortie. la nuit est froide, l'air aussi. les loups hurlent à la mort. et marie, marche. elle prend son temps. écoute le bruit de ses talons contre le bitume sale et mouillé. tâché par ce qu'elle ne veut imaginer. ses doigts sont froids. ses joues rosies. ses cheveux en bataille, un peu. et son mascara a coulé, un peu. pourtant, elle est jolie, tu sais. un peu fatiguée. c'est toujours comme ça,
après avoir gueulé contre son père. encore une fois. ses crises d'adolescence, comme il dit. l'argent n'achète pas l'amour, et la vérité est cinglante. coup de fouet. alors elle est partie. respirer l'air, autre part. loin de ces gens, qui ne sont pas tant que ça une famille,
pour elle. des inconnus assez riches pour acheter une gamine, y'a maintenant trop d'années. personne ne voulait d'elle, de toute façon. elle tire plus fort sur sa cigarette presque éteinte. les mâchoires serrées. les mots qui tournent en boucle dans son crâne.
il n'y a rien dans la rue. pas même les loups, toujours là pourtant. peut être qu'elle ne les voit pas. qu'ils sont là, cachés dans la nuit noire, et qu'ils guettent. la jolie princesse qui passe, faisant chanter le pavé. résonnant dans la rue. à un coin, y'a un mec. c'est une sale idée, de s'approcher. on dirait un cliché tellement l'idée est ridicule. un mauvais télé-film américain à la con. mais c'est une soirée de merde, de toute façon. alors elle approche, s'plante devant lui, comme si elle avait sa place ici. sa cigarette éteinte au bout de ses lèvres délicates. t'aurais du feu par hasard ?

on ne saura jamais vraiment pourquoi il rôde la nuit dehors, tous les soirs. est-il trop seul pour rentrer dans sa piaule froide ? est-ce une insomnie maladive qui le ronge ou bien un désir d'emplir ses poumons de cette fumée âpre qui le fait sortir à tous heures ? un peu de rien et de tout en même temps. il a du mal à rester sans rien faire, il préfère marcher dans la nuit noire, il sait qu'il ne risque rien. non, c'est lui le fauve qui déambule et sème la panique en ville, il ne le sait que trop. réputation qu'il traine, malgré lui, car les gens d'ici le connaissent, ont déjà assisté à l'un des combats qu'il a gagné ou perdu. souvent amoché, le regard vitreux, il n'est pas la garçon a fréquenter et il ne fait rien pour qu'on pense l'inverse. certaine satisfaction, mais ses doigts sales reflètent toute l'amertume de sa vie actuelle, malgré le brin de lumière qui s'est immiscer dans sa vie il y a peu. une lueur encore trop fugace, un sentiment d'abandon permanent en la voyant danser pour d'autres. ce soir, il est fané, agacé par la situation actuelle. alors il est sortie encore, dans le froid de l'automne qui se fait ressentir. il s'est adossé au mur pour mieux voir le temps passer, il se pensait à l'abris des gens, mais c'était non sans compter la silhouette frêle d'une jeune femme venant l'accoster. il est septique, regarde son teint de porcelaine et se dit immédiatement qu'elle n'a rien à faire ici. son sourire ne se veut pas des plus rassurants, mise en garde. mais elle a du bagout de se pointer ici, dans ce quartier, devant lui. il a du mal à comprendre. pas de réponse, il sort son briquet de sa poche arrière avant d'avancer la flamme vers la cigarette éteinte. ses lèvres s'ouvrent pour qu'en échappe quelques mots. « t’es pas d’ici » bonne théorie, il lui pose la question de sa présence en ces lieux dans une affirmation. elle est beaucoup trop jeune pour être véritablement consciente de ce qu'il se passe la nuit par ici. mais il y a quelque chose chez elle qu'il l'interpelle. « tu devrais rentrer chez toi, tes parents t'ont pas appris à te méfier des inconnus ? » habituellement, tu te foutrais de savoir ce qu'elle deviendrait si elle faisait un pas de plus. étrangement, tu réagis différemment ce soir, peut-être qu'un peu de compagnie ne t'est pas désagréable finalement.

elle est perdue, ici. elle n'a rien à y faire. beaucoup trop à perdre. c'en est presque ridicule. elle veut faire la grande, l'importante, l'adulte. mais la vérité, c'est qu'elle en est pas d'taille. ça crève les yeux. elle est là, à s'faire allumer sa cigarette par un inconnu. au regard noir. impénétrable. à peu près de sa taille, perchée sur ses bottes à talons. elle semble minuscule face à lui, pourtant. elle le remercie, d'un mouvement de tête. elle observe, marie. son regard bleu scrute. insolemment. se pose dans celui de l'inconnu, sans crainte. sans peur. non sans savoir qu'elle devrait baisser les yeux et partir. fuir, rentrer chez elle. et il le remarque, avec aisance. elle n'est pas d'ici. tellement pas. elle sourit, quand il parle à nouveau. avec cette voix, grave, que les gens de son milieu n'emploient jamais. elle vient d'un autre monde, d'une autre planète. elle sourit,
que ça soit si flagrant. qu'il lui conseille de retourner chez elle. comme une enfant. cette image qu'elle répudie, avec insolence. c'est eux, que je fuis, plutôt. qu'elle réplique, sourire aux coins de ses lèvres. sourire amusé, presque. son père serait fou, de la savoir ici. elle joue au prédateur, pauvre brebis égarée. les inconnus, elle devrait s'en méfier, il a raison. mais elle veut jouer à la plus maligne, à la plus forte. elle veut jouer avec le feu. regards qui se perdent dans la fumée qu'elle expulse. parce que j'devrais avoir des raisons de me méfier, là ?

les problèmes familiaux sont au dessus de lui depuis bien longtemps et fort heureusement, il n'en aura probablement jamais. la jeune femme se confie malgré elle sur l'évènement qui semble lui être arrivé. Il hausse les épaules, tourne la tête pour regarder un instant autour d'eux. la rue est vide d'âme ce soir, le béton tremble sous les pneus d'une voiture un peu trop pressé dans l'allure. Aran ne lui posera pas de question, bien loin de vouloir en connaitre plus sur l'ingénue. mais elle n'a pas l'air de vouloir partir d'ici. ça se voit dans ses gestes, dans cette manière de vouloir tenir tête à plus fort qu'elle. trop apprête pour venir de son monde, sa manière d'être reflète son appartenance à un cast plus haut gradé. l'idée même qu'elle ne soit pas effrayée par la situation lui paraît insensé, il se moque intérieurement en l'écoutant lui retourner la question. il avance tout à coup, dangereux, peut-être pour lui faire peur, ou juste la mettre en garde. « à toi de voir ma belle, ce serait dommage que tu te fasse bouffer pour une histoire de feu, non ? » c'est plus fort que lui ce genre de petit jeu, le loup refait surface à chaque fois qu'il trouve une brebis égarée, loin d'chez elle et de son nid douillet.