like a lost astronaut

- la tête tournée vers les étoiles -
elle ouvre les yeux, lilli. la lumière du soleil hivernal lui parvient par la petite fenêtre de sa chambre. elle s'étale de tout son long, déroule ses petits membres enroulés pour la nuit, déplie ses jambes, déploie ses bras. elle s'étire pour dire bonjour à la nouvelle journée. elle cligne des yeux, lilli. nouvelle journée, journée comme les autres, encore une. les journées, ça s'égraine, elle se dit. et elle sourit à cette idée. ça s'égraine comme les pétales d'une marguerite, à coup d'émotions hasardeuses et de désirs en zigzag. et puis elle se redresse sur son petit matelas enrobé de draps et de couettes, au pluriel parce qu'elle a toujours froid, lilli, qu'elle préfère dormir engoncée dans un cocon de duvets. elle tend la patte et elle attrape un des trois élastiques qui sont toujours à côté de sa tête de lit, avec un verre d'eau et le reste de sa tisane de la veille. elle relève ses cheveux blonds en un chignon approximatif, avant de repousser toutes les couvertures pour révéler ses jambes diaphanes. sous son tee-shirt, elle enfile un petit short gris orné du symbole de wonder woman, miniature répétée alignée harmonieuse. on le voit pas, sous le tee-shirt beaucoup trop grand, mais on lui a répété plein de fois qu'il fallait pas qu'elle se balade les fesses à l'air alors elle obéit, lilli. sauf quand elle oublie. elle attrape sa tasse, beige, ornée du visage d'un petit ourson ; sa seule possession dans cette colocation, le seul objet que personne d'autre n'a le droit de toucher. et elle quitte sa chambre lumineuse pour le bordel de la maison. elle cligne des yeux, lilli, et embrasse cette nouvelle journée, ce nouveau paysage. aujourd'hui, il y a des tas de vêtements dans le salon et un visage inconnu. elle sourit, mais elle dit rien, lilli. elle aime pas parler aux gens qu'elle connait pas, c'est les autres qui la présentent, qui parlent pour elle. sauf que les autres, ils sont cachés dans leurs tanières pour l'instant, ou ils ronflent sur le canapé. y a personne pour faire les introductions, alors elles se feront en silence. et si ça va pas à l'inconnu, il peut partir, lilli elle fait pas attention aux allées et venues, elle a pris l'habitude de ces silhouettes sans identité qui décorent son décor. elle met de l'eau à chauffer et vide le fond de sa vieille tisane, elle attrape un sachet de thé et l'infuse avec l'eau bouillante, et elle disparait à nouveau dans sa chambre.
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papa? la voix résonne de l'autre côté de la ligne téléphonique. elle visualise le visage rond de son père, elle le voit regarder derrière son épaule comme si elle était là, devant lui, elle l'imagine se frotter les sourcils et déglutir, la façon dont sa pomme d'adam se soulève légèrement, et puis l'ouragan dans ses yeux gris. elle est triste, lilli, de tout ce qu'elle y lit chaque fois qu'elle pose ses yeux caramels dans ceux de son papa. mais elle sait pas faire autrement, elle y arrive pas. elle a tenté les études, elle a tenté un métier. elle a même fait serveuse quand elle a compris qu'elle pourrait pas être avocate comme maman voulait. mais pour ça non plus elle est pas douée, lilli. elle est pas douée pour grand chose à part rêver. papa, comment tu vas? il répond un petit mensonge, et elle a le coeur dans l'estomac. je viens te voir la semaine prochaine, papa. il proteste, il veut pas - il veut trop. il sait pas. elle sait pas. les thompson, c'est comme ça depuis que lilli a grandi : ils savent pas, aucun des trois. lilli, elle voudrait être la fille parfaite, mais elle y parvient pas, elle sait pas comment faire. papa, il voudrait la chérir, peu importe qu'elle ait vingt-cinq ans passés, mais il sait pas dire non. maman, elle voudrait réussir à voir sa fille grandir sans en ressentir une telle anxiété, sans paniquer chaque fois qu'elle imagine lilli dans le grand monde ; mais maman, quand elle sait pas, elle fait le bélier, cornes en avant. elle bouscule tout. elle met des ultimatums. elle met sa fille dehors, pour qu'elle apprenne à vivre, parce qu'elle sait plus quoi faire d'autre.
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elle appuie fort sur ses oreilles. lilli, elle se balance dans un coin de la pièce, les yeux fermés. de l'autre côté de la porte, ça crie, ça hurle, ça balance. c'est comme ça qu'ils vivent, ici. parfois, lilli, elle parvient à continuer. ça fait juste du bruit dans ses oreilles. parfois, le bruit il déborde et il monte dans ses tympans, il envahit ses synapses, il dégueule dans son cerveau. et tout devient noir, ou pas assez noir, elle saurait pas décrire la chose. elle a essayé de la mettre sur toile : parfois, c'est tout sombre, ça lui fait peur quand elle laisse le tableau dans son champ de vision au moment de dormir. parfois, c'est des éclats trop colorés, trop criards, trop vivants sur ce fond trouble, ça lui fait mal quand elle ouvre les yeux sur ça le matin. elle a jamais essayé de mettre des mots plutôt que des couleurs sur cette sensation, parce qu'elle pense pas qu'elle en serait capable, vraiment pas. de sa main tremblante, qu'elle a décollé rien qu'un instant du côté de sa tête, elle tâte le sol et elle finit par attraper un ours en peluche, tout doux, tout lisse, tout parfait. elle le colle contre son coeur, il se coince dans son ventre à chaque fois que le balancement l'amène un peu trop en avant. et elle recommence à étouffer le son, à peine rassurée par le contact familier. elle sent même pas les larmes qui coulent sur ses joues.
plus tard, elle s'assoit sur sa chaise, face à son miroir, et elle dessine ses lèvres d'un rouge à lèvre sombre. elle se force à sourire avant de ressortir de sa chambre, avant d'affronter le chaos de la colocation. quand elle pousse la porte, elle slalome dans le bazar nouveau, et elle va se faire un thé. avec sa tasse, elle s'installe sur le canapé à côté de nora qui fume encore de la rage qui l'habitait auparavant. elle touche pas sa peau, lilli, mais elle s'abreuve de l'émotion qui émane d'elle. quand nora se tourne vers elle, elle fixe les sourcils de la jeune femme, et elle soulève le coin de ses lèvres, comme elle a appris. on dirait qu'elle sourit, lilli.