« There must be some kind of way out of here said the joker to the thief »

- la tête tournée vers les étoiles -



Ça y est. Cette voix qui raisonne dans l'escalier et qui te pousse a dévaler ses marches jusqu'au hall d'entrée, grand, blanc, immaculé. Pas comme toi, avec tes points de suture et tes souvenirs de la journée. Bien chahutée.
Mais c'est pas toi qui a jeté la première pierre.
Le soupir appuyé, d 'abord, puis les mots. Impact.
- Hêlēl, je ne t'ai pas enseigné ces techniques de combat pour que tu t'en serves sur tes camarades de classe.
Ils sont là tous les deux, ton père et ta mère, ils font front ensemble devant leur ado rebelle. Un parfait reflet du duo qu'ils forment dans leur travail, revêtus de leurs uniformes d'agents fédéraux.
Tu serres les dents devant ce discours déjà entendu.
-Et qu'est-ce que j'aurai dû faire, ne rien dire ? Rester passive ?
-Peut-être aller en discuter avec un adulte, argue doucement ta mère.
En fait, ils ne font pas front, ils essayent de te tendre la main. Et c'est ce qui te fait le plus mal d'ailleurs. Parce que tu te cherches, petite demoiselle, tu te cherches et tu as peur de t'y brûler les ailes. Ils sont tellement unis. Complémentaires. Est-ce que tu trouvera ça, toi, un jour ? Alors tu relèves la tête sans flancher pour t'expliquer :
-Je n'ai fait que me défendre.
-Un jour, tu comprendra que tu ne peux pas juste répondre à la violence par la violence, Hêlēl.
-Ce n'est pas ton arcade que l'on a dû recoudre, ni ton sang qui s'est retrouvé sur le sol.
-Crois-moi, j'ai eu bien plus mal lorsque je l'ai appris qu'une simple entaille recousue. C'est quelque chose que tu comprendra quand tu aura des enfants.
-Des enfants ? Ici ? Dans ce monde ? Et avec moi pour mère ?
Ton rire est sans joie. Un brin narquois.
-Prie plutôt pour que ce jour n'arrive jamais.
Et tu vois une crispation sur son visage. Sur leurs visages à tous les deux. Et tu t'en veux de leur faire mal, mais en même temps, c'est jubilatoire. Parce que tu t'affirmes, tu te sépares, tu t'éloignes pour tracer ta propre voie. C'est ça aussi grandir, faire de drôles de choix, s'en vouloir un instant, et continuer d'avancer. Tu poses alors un regard nouveau sur ces murs qui t'ont vue grandir quand tu comprends tout ce que cette réflexion implique. Un frisson involontaire te parcourt l'échine et vient se lover dans ton cœur. Idiot d'émotif. Mais la vérité est là, un jour, tu partira sans te retourner. Et ça, ça fait encore un peu mal d'y penser, tu dois bien te l'avouer. Bientôt, tu devra laisser tous ces souvenirs, d'amour, de possibles, de leçons. Tu devra laisser ce cocon. Laisser ce réconfort.
Mais c'est décidé.
Tu finis le lycée, puis t'ira vadrouiller.





Tu repères une silhouette vaguement familière parmi la faune locale. Tu l'as déjà vu quelques fois. Il te regarde de temps à autres depuis quelques de minutes déjà. Avant de quitter sa place pour venir tirer le tabouret à côté du tiens.
-Salut. Tu commandes quoi ?
Des cheveux sombre, un timbre comme il en existe cent.
-Vodka.
-Et du Porto à ce que je vois.
Tu te contentes d'un haussement d'épaules. Tu ne vas pas nier l'évidence.
-Ok, demoiselle. Moi c'est Ian, et toi ?
- Anna.
C'est bien, c'est fluide, c'est doux, c'est apaisant. Anna. C'est tout ce que tu n'es pas.
-On ne me la fait pas à moi. Ton vrai prénom.
Bien joué Sherlock. T'hésites deux secondes entre le rembarrer et entrer dans son jeu, sauf que t'as trop bu pour ne pas avoir envie de jouer :
-Hêlēl Morgonstjärna.
Alors il te fixe un instant. Parce qu'il essaye de savoir si tu lui mens ou pas. Si t'es sérieuse ou si tu te fous de lui. Mais il prend le risque et te mets au défi :
-Ce nom, c'est quoi ?
T'esquisses un sourire avant de descendre ton verre de shot. Il claque joliment à tes oreilles tandis que son contenu se déverse délicieusement vers ton estomac.
-Le cadeau d'un Ancêtre.
-Tu vas devoir m'en dire plus, vagabonde. Je ne lis pas dans les pensées et la seule langue que je parle est la mienne.
Alors tu le regardes dans les yeux, directement :
-C'est ça, ton plan drague ?
-Non. Je suis plutôt du genre direct dans ces cas-là. Mais pour le coup, je suis vraiment curieux.
- Hêlēl Morgonstjärna.  « Hêlēl » vient d'une vieille traduction pour « astre » et « Morgonstjärna » n'est qu'un nom.
- Morgonstjärna, ça vient d'où ?
-C'est suédois.
Le porto rejoint la vodka. T'en es à combien déjà ?
-Et il veut dire quoi ?
- « L'étoile du matin ». C'est une référence à Vénus. Tu parles d'un truc…
-Alors à toi, l'étoile du matin, à toi et à cette nuit d'ivresse !

~ T'ouvres les yeux, réveillée par un rayon de soleil. Il est beau cet instant. Tu vois le ciel d'un bleu éclatant, les sommets enneigés. Tout est sublimé pour cette lumière d'aube pas-vraiment-encore-levée qui exalte tous tes sens.
T'as l'air d'un chat content, comme ça, avec un demi-sourire sur les lèvres. Puis tu te souviens, ces couleurs qui ne t'appartiennent pas, ce lieu qui t'es inconnu, ce mec que tu as croisé plusieurs fois et que t'as fini par suivre hier soir.
Tu tends un bras vers son côté du lit, avec la nuit encore en tête.
Tu le cherches pour une caresse, une vague caresse, pour lui dire au revoir. Ou tu sais pas, juste... Mais ta main ne rencontre que le tissu froid et vide. Alors t'émerges complètement. Tu ne peux plus nier l'évidence.
Il s'est barré. Le con.
Alors tu ris, de ce rire qui te traverse entière. Profond. Un brin sauvage. Un brin triste. C'était prévisible. Voir même prévu.
Qu'importe. Cet instant est beau.
Alors tu prends ton temps pour sortir du lit aux draps froissés.
Non sans avoir oublié de lui écrire un mot sur le seul miroir de la maison, avec un marqueur que t'as trouvé en fouillant dans les tiroirs. Même si tu as ta part de responsabilité dedans. C'est vrai, il aurait au moins pu préparer un petit déjeuner non ?
Tssss.
Même si tu l'as suivit passablement éméchée. Et que cette réaction est excessive. Tu connais la vérité. L'abominable, l'insignifiante. Parce que la vérité, Hêlël, c'est que tu gardes toujours le contrôle. Toujours. Tu ne t'évades pas si tu ne l'as pas décidé. Parce que garder le contrôle, c'est la dernière chose qui te reste dans ce monde. La dernière chose sur laquelle tu as encore une emprise.
Tes chaussures font crisser les graviers sous leurs semelles faites pour avaler les kilomètres. Après tout, elles sont un peu comme toi tes chaussures : sans attache, toujours en mouvement, écorchées par la vie et les rencontres. Des cicatrices exposées pour qui veut les voir. Et qui te portent en avant. Un pas après l'autre. Où que cela te mène.





Aéroport. Terminal.
Douane.
Putain. Ça fait déjà des plombes que t'attends qu'il te rende ton passeport, ce douanier derrière sa paroi de verre. Mais il veut mettre ta patience à l'épreuve, c'est un test, encore un. Il te regarde de temps en temps, puis ton passeport, puis ton visage. Ses yeux traînent sur ta cicatrice toute fraîche qui trône joyeusement sur ta joue droite, une jolie ligne rouge de la pommette à la mâchoire, vestige d'un accrochage avec un chaton sur le bord d'une chaussée. Ça t'apprendra à vouloir sauver tous ces trucs sans colliers. Il pianote sur son clavier, fait semblant de s’intéresser à autre chose, tandis que tu restes plantée entre son poste et celui de son voisin, droite, lassée d'attendre. Il reçoit un appel avant de te glisser de nouveau un regard en coin. Ses iris s'arrêtent sur tes lèvres, ta cicatrice avant de remonter. Il fronce légèrement les sourcils.
Parce que ton regard lui promet des choses qu'il n'est pas sûr de comprendre.
Il te fixe encore quelques secondes, avant de te faire un signe de tête pour te dire de passer. Tu récupères ton passeport et tu ne t'arrêtes dans l'aéroport que pour récupérer les clefs de la voiture de location que tu as réservée avant ton départ.
Les vitres baissées, tu te laisses emporter par la musique que dont tu as poussé le volume à fond, tout comme tu as embouti l'accélérateur. Un peu trop d'ailleurs, les buildings sont à peine en vue qu'une sirène vient tenir la pulsation des basses qui te faisaient chavirer.
Hum. Il faut bien que ça tombe sur quelqu'un non ?
Tu rétrogrades et tu te gares sur le bas-côté tandis que la voiture de fonction freine derrière toi et qu'un policier s'en extirpe. Tu en profites pour couper le son.
Et le silence s'éternise. Avant qu'une voix grave ne le déchire :
« Bonjour m'dame.
Tu lui sors les papiers du véhicule et le reste, avec quelques mots affables. Mais ça ne lui suffit pas.
-Qu'êtes-vous venue faire ici, Miss …  Morguonstjarna.
Tu sens l'ordre derrière la phrase pseudo-interrogative.
-Morgonstjärna. Voilà une bien jolie question. Disons … que je suis tombée amoureuse de l’Écosse en passant par l'Irlande et j'ai décidé de poser mes valises dans ce beau pays de tous les possibles.
Bref j'ai eu des amis, des amants, une famille, il fût un temps. Veni, vidi et pas vici. Tant pis.
Mais je vous assure que mes intentions ne sont pas mauvaises. C'est ce que vous vouliez savoir monsieur l'agent ? Est-ce que mon portrait vous satisfait ?"
Parfois, tu te demandes ce qui te passes par la tête. Tu sais que tes intonations sont trop insolentes, mais c'est comme ça, avec sa fausse nonchalance, tu as voulu le remettre à sa place. Derrière son uniforme. Même si c'était une mauvaise idée.
Ton sourire est dur lorsque tes derniers mots frôlent son esprit et ton regard est d'acier lorsqu'il choisit de t'arrêter pour outrage à agent sur la voie publique. Ego. De toutes façons, tu tombais déjà pour excès de vitesse. Alors ça en plus ou en moins...
Un « clic » froid et métallique retentit autour de tes poignets après que l'homme en uniforme t'ait lu tes droits. Même si tu as dû lui répéter ton prénom trois fois.
Décidément, ton voyage commence bien.
A peine as-tu posé les pieds sur cette nouvelle terre que les réjouissances commencent.
Ça promet.
Parce que derrière les barreaux, tu ne restes jamais bien longtemps.