she's beauty, she's grace, she'll punch you in the face. (jh)

- la tête tournée vers les étoiles -
(UN) un, deux, trois. un, deux trois. un, deux, trois. c'est la même chanson depuis des années. la même voix qui te répètes les même mots pratiquement tous les jours. tes jambes te font mal tu as oublié depuis longtemps cette douleur. la pointe de tes pieds souffrent, tu saignes peut-être. mais tu n'y fait pas attention. tu te concentres sur tes mouvements. le tempo. tu sais que tout est parfait. mais ça ne t'empêches pas d'essayer d'aller au-delà. il y a quelque chose au-delà de la perfection? tu le cherches, en tout cas. c'est toujours la même chose, depuis des années. c'est la danse. la danse. la danse. depuis que t'es gamine, depuis que tu sais demander quelque chose et contrôler tes mouvements. tu te souviens comment cette passion, cette addiction a commencé. t'avais vu à la télé des danseurs. t'avais été éblouie, par leur grâce, les couleurs, les musiques. tout. le lendemain, t'étais inscrite dans une école de danse. la plus prestigieuse de toute. t'as que seize ans, et tu t'imagines déjà danseuse professionnelle. tu n'as que ça en tête. tu n'as pas d'autres rêves. c'est la danse qui a régis toute ta vie jusque là. tu ne connais rien d'autre, et tu ne veux rien connaître d'autre.

(DEUX) un. deux. trois. quatre. cinq. cinq gamins en tout. cinq gamins courant dans la grande maison jusqu'à une certaine journée, puis courant et vagabondant dans ce gigantesque appartement en plein centre ville. trois garçons. deux filles. une grande famille, et t'as adoré vivre avec tout ce petit monde. la maison n'a jamais été calme, avec tous ces enfants de tout âge. tu t'es fait protégée par tes deux plus grands frères. tu as protégé le plus jeune. tu as été un modèle pour la plus petite des filles. elle faisait tout comme toi jusqu'à un certain âge. la famille, c'est tout pour toi. tu ferais tout pour eux. et avec tout ce petit monde il y a les parents. ta mère c'est une grande chirurgienne. elle travaille encore, mais n'a jamais vraiment eu le temps de passer du temps avec vous quand vous étiez jeunes, à cause de sa carrière trop prenante. et ton père, c'est le directeur d'une société internationale. et bizarrement, il a toujours pris le temps de rentrer les soirs, prendre du temps avec ses enfants. le parfait contraire de sa femme.

(TROIS) la musique. les rires. les amis. la voiture est pleine, vous rentrez de cette fameuse soirée. tu es à la place du passager, à l'avant. tu ne le sais pas encore, mais cette place que tu as prises va être la pire décision de ta vie. tout va si vite. un moment, tu ne pense pas à grand chose. juste à cette soirée, tes amis. tu ne penses à rien. et puis tu es éblouie. cette lumière blanche et si forte et un coup de klaxon et puis des cris et plus rien pendant un instant. tu te réveilles et tu as mal. tu as mal de partout, tu ne vois pratiquement rien et tu entends des cris et pleurs et des gémissements. tu vois quelque chose de rouge un peu partout. du sang? tu sens quelque chose de chaud couler le long de ta tempe. du sang? tu reprends peu à peu conscience. et tu regardes autour de toi. tu es coincée, dans la voiture, dans le ravin. avec les autres. tu as mal aux jambes. tu les regardes. et tu t'évanouis aussitôt.

(QUATRE) tu restes à l'hôpital plusieurs mois. d'abord il te mette sous un coma artificielle pour que ton corps reprenne des forces plus rapidement. et puis tu restes allongée là, sur ce lit inconfortable, pendant des semaines parce que tes jambes sont brisées. et chaque jour tu demandes quand est-ce que la rééducation commence pour reprendre la danse le plus rapidement possible. et on te regarde avec pitié, et tu ne te poses pas de question. et puis un beau le jour, le médecin arrive et t'annonces la pire nouvelle de ta vie. tu ne peux plus danser. jamais de ta vie. pas au même niveau qu'avant. et d'un seul coup, tes rêves s'envolent. plus de spectacles. plus d'applaudissements. plus d'éloges. plus d'avenir. plus rien. a réaction face à ce changement a été radical : une perte d'appétit. tu as perdu très rapidement du poids, et à peine sortie de l'hôpital, tu y est retournée, cette fois dans une différent service. la sentence est tombée, irrévocable: anorexie mentale.

(CINQ) un peu après être sortie de l'hôpital et reprit du poids, tout ne c'est pas arrangé. loin de là. t'as commencé à dérailler. complètement. t'as arrêté à parler à tes amis, fréquenté les mauvaises personnes. t'as commencé à porter ce blouson en cuir tout le temps. tu vas en soirée, tout le temps, même en semaine. tu bois. beaucoup. au point de finir la tête dans la cuvette des toilettes, promettant de ne plus jamais boire avant de recommencer la soirée d'après. et au bout d'un moment, tu veux passer à la vitesse supérieure. plus rien ne compte, rien n'a de sens. tu prends ces fichus pilule qui te font tourner la tête et tout oublier en une fraction de seconde. tout est mieux comme ça. et là on te renvois dans ce fichu hôpital. pour addiction. à la drogue, à l'alcool, à tout ce que vous voulez. c'est pas de ta faute si t'as plus aucun désir de remonter la pente.

(SIX) tu finis, pourtant, par reprendre tes esprits. tu lâche ces "amis" qui t'envoyaient vers le fond. tu reprends contact avec tes vrais amis, ceux qui étaient avec toi dans l'accident, ceux qui sont aussi perdu que toi. pourtant, tu gardes quelques souvenirs de cette période de ta vie. le blouson en cuir, que tu continus de porter tous les jours sauf lorsqu'il fait trop chaud. et puis la moto que tu avais acheté. a moto. ah la moto. après ta sortie de l'hôpital, tu ne pouvais pas retourner dans une voiture. tu en étais incapable. tu as un peu hésité avant de monter dessus. la première fois que tu as fait un tour, lorsque tu es revenue à la maison, tu n'y a plus touché pendant trois mois, clamant que c'était bien trop risqué. lorsque ton frère t'as poussé à remonter dessus une deuxième fois, tu as foncé. depuis, tu ne te déplace qu'en moto.

(SEPT) tu es végétarienne depuis tes dix-sept ans. une décision que tu as prises toute seule, au grand damne de ta famille, férue de viande. tu es une cinéphile. et ce sont les vieux films qui t'intéresse, ceux qui sont en noir et blanc. ceux qui sont remplis de clichés. ceux que peu de jeunes regardent, ou bien en connaissent même l'existence. ton style de musique préféré, c'est le jazz. ton frère se moque souvent de toi, en te disant que tu as les mêmes goûts que votre grand-mère, avec tes films et ta musique. mais toi tu aimes cette musique qui semble être perdue aujourd'hui. tu as dansé tellement de fois dessus. tu aimes le son du saxophone tout particulièrement. et cette improvisation des musiciens? époustouflante, hallucinante, et c'est ça qui fait toute la beauté du jazz pour toi.