Me voilà orphelin des dieux.

- la tête tournée vers les étoiles -
Les phalanges grillées par un tas de pensées qui s'échouent sur l'albâtre de la page aux souvenirs de néant.
Y'a les mots qui s'embourbent mais qui n'trouvent pas trop le sens que j'aimerais leur donner.
J'entends encore ma mère s'extasier un matin que j'trouvais glacial - pourtant c'était l'été. Elle avait les joues déformées par un sourire découvrant ses dents jaunies par le tabac. Ses doigts caressaient mon visage comme-si elle me redécouvrait ; mon père, lui, tremblait d'extase face à un papier qu'il osait à peine effleurer. J'comprenais sans comprendre - j'voulais pas que tout ça devienne réel.
Puis elle, la pauvre, elle criait dans la salle à manger T'es surdoué, Tyago ! Je savais que mon fils n'était pas fou ! C'est là que j'réalisais que sa joie n'était pas d'me savoir intelligent ; mais simplement d'pouvoir comprendre pourquoi j'étais pas foutu de communiquer correctement.
J'ai pleuré.
P'tite merde effondrée sous les yeux de deux parents consolés par des chiffres sans même réaliser que putain, j'voulais juste être comme les autres.

Encore maintenant, ça me reprends,
j'pleure pas, non, j'suis plus un gamin,
quoique parfois j'ravale quelques fleuves.
Mais encore, là, j'trouve pas ma place.

Dans la bande quand on est tous agglutinés comme des cons à essayer d'subsister dans ce monde de l'absurde, j'lance des phrases de merde du style Les meufs ça s'attrape comme un volan, tu la retournes dans tout les sens pour pouvoir mieux avoir l'contrôle. J'ai l'rictus des pauvres salopards qui croient à leurs phrases alors qu'elles n'ont aucun sens ; mais les autres ils ricanent. J'sais bien que souvent, on rit plus de moi qu'avec moi - mais c'est un peu mon seul moyen d'exister. J'sais pas parler j'sais pas m'exprimer j'sais pas garder l'contrôle parce que là-dedans c'est le bordel : j'comprends trop et pas assez. J'sais ce qu'il y a dans ce que tu respires mais j'comprends rien à ce qui t'inspires - c'est p'tet pour ça que j'fais de la musique. Les sons pour partager l'indicible ; transcender les phrases et m'pendre sous leurs yeux.
Parce que j'ai eu aucune notice pour ces gens, pour ces coeurs ces âmes ces sous-rires et ces baisers. Je m'accroche pauvrement à ces potes qui veulent bien de moi autour d'eux ; ils ont fini par graviter autour de moi. Mais encore chaque matin j'tremble à l'idée qu'ils réalisent combien j'suis à côté de la plaque. Alors j'leur paie des verres et j'reprends la routine Hé Montana c'est pas fait pour les minettes de râler, t'sais... C'est pas comme ça que tu vas les faire bander les mecs.

J'dis ça mais j'le pense pas, putain.
J'dis ça pour m'donner l'impression d'exister mais ça m'éloigne juste un peu plus de qui je suis.
De qui j'aimerais être.
De qui j'ai été.

J'me vois errer, comme une enveloppe vide qui sursaute lorsque la vie m'effleure ; lorsque j'vois mes p'tits cons ou bien cette nana dans ce bar miteux. Mais j'reproduis chaque jour la même chose : incapable de parler correctement, l'esprit bien trop évaporé pour pouvoir manier la langue comme il faudrait. Même mes gestes sont bancals ; j'ai l'impression que j'ai beau avoir lu des milliers de livres - j'aurais jamais compris comment parler. Comment agir. Comment se fondre dans cette masse magnifiquement difforme qu'est la norme.
Ma mère, aujourd'hui, elle a abandonné,
Elle a eu un autre fils, bien plus brillant socialement. Elle a laissé longuement se perdre des soupirs les soirs en voyant mes notes minables et mon isolement se creuser ; je l'entendais parfois se disputer avec mon père parce qu'elle voulait que je ne Gâche pas mon Talent - être surdoué, c'est un talent, à ce qu'il paraît. Mais le paternel refusait, et j'sais pas si j'dois aujourd'hui le remercier ou regretter d'm'être pas un peu plus imposé. Leur balancer Putain mais j'suis là bordel, regardez moi, laissez moi vivre, laissez moi décider non !? C'est pas parce que j'suis votre gamin que j'ai pas mon avis, que y'a pas ma vie et quelques envies que j'voudrais bien réaliser.
Bordel,
Aimez-moi.
C'est p'tet ça le problème aussi.

Ce truc infâme qui vient m'bouffer jusqu'aux os depuis plusieurs années.
Cette rage qui s'est réveillée un matin ou un soir j'sais plus trop, elle rampait sur mon échine elle m'rongeait les os jusqu'à m'obliger à m'les briser sur des faces hasardeuses. J'me battais j'gueulais j'enrageais ; parce que le monde n'est qu'un bordel infâme et j'ai beau parler blaguer - divaguer. Y'aura jamais cette personne capable d'm'écouter, me comprendre ; sans juste vouloir me baiser.
J'sens encore les mots infâmes des gens qui n'arrivent pas à aller plus loin; ceux qui ont la muselière de le bien-séance sur leurs gueules déformées par la bonne pensée. Ils m'disent que j'suis pas un mec cool, pas fiable, pas droit, pas sortable;
j'ai juste l'impression d'être un albatros - bordel qu'est-ce que ce sol tangue sous mes pieds.
Parfois c'est l'alcool (souvent),
Parfois c'est juste ma vie (tout le temps).

J'me colle à l'idée qu'un jour je trouverai comment me barrer, comment réussir, comment arrêter d'me faire enculer. J'y arrive pas j'comprends toujours pas comment la machine marche ni comment les mots peuvent sonner ; au final j'm'éclate la gueule sur l'asphalte et ça n'me fait plus mal.
A force de se cogner ; on ne remarque même pas lorsqu'on fini par tomber.
Un jour, p'tet, j'sombrerai;
j'espère que si ça arrive, ma p'tite bande viendra au moins chanter (et baiser) sur ma tombe.