le jour se lèvera forcément au moins une fois. (jem)

prénom et nom: y’avait emma, lou, reva, sonia et jemina. tous griffonnés sur un morceau de papier froissé. et c’est jemina qu’elle a choisi, rose. c’est comme ça qu’elle a appelé sa petite fille, cette petite bouille hurlante aux cheveux foncés. jemina, aujourd’hui, on l’appelle jem dans les rues. âge et date de naissance: dix-sept avril mille-neuf-cent-quatre-vingt-quatorze. vingt-trois ans, mais elle a l’impression d’en avoir vécu soixante-quinze. elle a trop de cicatrices, trop de haine, trop d’amour, trop de rancune, trop de chagrin. parfois, elle parle comme un vieux sage. parfois, comme la gosse des quartiers qu’elle a toujours été. lieu de naissance, origines: crescent heights, origines américaines de ce qu'elle en sait. rose est tombée enceinte quand elle avait dix-sept ans, mais elle n’a jamais su de qui. il y avait tellement de possibilités qu’elle a préféré ne rien dire à personne. alors jemina a grandi seule auprès de sa mère, elle a grandi en voyant ses amants défiler un à un. elle a grandi en se bouchant les oreilles pour ne rien entendre des cris venant de la chambre de sa mère. puis un jour, rose a trouvé un vieux con avec du fric plein les poches, un vieux con qu’elle lui a demandé d’appeler papa. elle a choisi de faire comme si de rien n’était. occupation: caissière dans un magasin bio à mi-temps, vendeuse d’herbe le reste du temps. elle a obtenu un diplôme de littérature pour faire plaisir à sa mère, puis elle s’est barrée y'a quelques mois. alors elle a pris le premier job qu’on a bien voulu lui donner. l’herbe c’est un surplus, pour pouvoir sortir de temps en temps. elle vend, mais elle consomme aussi. que du cannabis. statut, orientation sexuelle: célibataire. le coeur brisé. jemina a aimé, une fois. elle a aimé plus qu’elle ne pensait pouvoir aimer un jour. mais la fille dont elle était amoureuse était malade, la mucoviscidose. et elle est morte. envolée. son coeur s’est brisé, et inexplicablement, elle se sent coupable. comme si elle n’avait pas pu la sauver, alors que personne n’aurait pu. ah oui, jem aime les filles. peut-être parce que les amants de sa mère l’ont dégoutée. ou peut-être qu’elle préfère simplement l’élégance d’un corps féminin. traits de caractère: elle est sensible, jemina. sensible à la poésie, au parfum des fleurs, à la douce couleur du ciel. c’est vrai qu’elle a un côté fleur bleue. mais le soucis, c’est que son coeur a été brisé. elle a aimé, trop fort. si fort qu’elle ne pourra jamais s’en remettre, qu’elle n’aura plus jamais confiance en l’amour. en tout cas, c’est ce qu’elle croit. tout comme elle croit que c’est de sa faute, que leïla est morte à cause d’elle. mais leïla avait la mucoviscidose et rien n’aurait pu la sauver. elle n’a aimé qu’une fois et a peur de connaître une deuxième fois. alors elle repousse l’amour, elle repousse l’attachement. elle dit qu’elle n’est pas assez bien, qu’elle n’est bonne que pour faire souffrir les autres. elle préfère séduire, et parfois, ça se termine peau contre peau. parfois, mais rarement. puis à côté de ça, elle a grandi dans les quartiers, jem. au milieu des gosses perdus qui foutent un peu la merde. ces gosses de toutes nationalités dont elle est devenue la soeur adoptive. auprès d’eux, elle a appris la vulgarité, le combat à mains nues ou armées, la différence entre shit et beuh. alors si elle porte des sweat, si elle fume comme un bonhomme, si elle préfère la bière au martini, c’est sûrement à cause de son éducation dans les rues. elle n’a pourtant rien d’une gosse paumée. elle dégage un truc particulier, jemina. un charme que personne ne pourrait lui enlever, une étincelle qui attire l’oeil. comme la lune au milieu du ciel.