DISORDER (oz)

maman,

je t'écris parce que je suis en colère. j'ai tellement d'rage en moi que ça m'consume, et ça fait mal, et tout ce dont j'ai envie, c'est tes bras. tu vois, quand je ferme les yeux, j'peux presque m'y croire. tu m'tiens chaud, tes cheveux m'chatouillent le menton et ton parfum d'abricot m'embaume tout entier. souvent, je t'imagines en train de lire, alors qu'on est tous les deux lovés contre toi, ava et moi. c'est de toi, que je tiens ma passion pour l'art, tu sais. tu m'traînais dans tous les musées, toutes les galeries d'art, quand papa était trop soûl pour remarquer notre absence. j'crois que t'avais c'te p'tite intuition quand tu nous a offert des carnet et des fusains, une fois.
tu me manques, maman. c'est pour ça que je suis en colère, t'vois. parce que t'es morte, parce que tu nous as abandonné, avec lui. j'suis en colère, parce que je sais que c'est notre salopard d'géniteur qui t'as arraché à nous, et qu'sa gueule m'donne envie de l'tuer, ou d'gerber, ça dépend d'mon humeur. c'est son visage déformé par la haine que j'vois quand morphée m'fuit. parfois, j'sens encore les brûlures que m'laissait sa ceinture, ses poings, et ses mégots de cigarette. j'entends encore ses mots. bon à rien, merdeux, fils de pute, enculé, sale pd. y a un p'tain d'océan qui nous sépare mais c'est sa gueule qui m'nargue quand je me réveille en nage. j'l'ai sous la peau, sous les ongles, j'y peux rien, malgré notre fuite, il m'bousille. alors j'essaie d'noyer les démons avec d'la vodka, quelques rails, ou une caresse charnelle, tout est bon pour s'oublier.
tu t'rappelles, un jour tu m'as dis de te promettre de toujours veiller sur ava. l'truc c'est que j'ai un peu beaucoup foirer à ce niveau là comme à tous les autres, m'man. j'ai essayé pourtant, j'te jure. t'sais bien qu'ava, c'est l'amour d'ma pitoyable vie, l'unique. j'te raconte pas l'nombre de fois où je l'ai retrouvé alors qu'elle avait essayé d's'ôter la vie. j'te raconte pas à quel point ça m'a fait mal, m'man, à point elle a l'air d'souffrir, parce que je sais que ça te briserais l'cœur. elle a toujours l'regard triste, ava, mais y avait toujours c'truc que j'arrivais pas à déchiffrer, cette lueur brisée. jusqu'à que je l'apprenne un jour. que mon salopard de donneur de sperme avait souillé ma p'tite sœur. tu le savais, maman, dis ? tu l'savais qu'il se glissait dans sa chambre d'enfant, alors que nous dormions à côté ? j'avais promis d'la protéger, j'savais pas à ce moment là que j'avais déjà failli à ma promesse. et j'ai essayé d'la sauver, j'te jure, m'man. et j'essaye toujours.
p'is un soir, j'suis allée la voir avec des billets d'avion et on s'est cassé d'angleterre, avec de nouvelles identités. voilà comment on s'retrouve là. j'sais que c'est pas vraiment le bel avenir que t'imaginais pour nous, mais on s'démerde comme on peut. j'dessine toujours, si ça t'rassures, j'colore même les murs la nuit, parfois. il m'arrive même d'parler aux étoiles quand tu me manques, ou quand j'me sens vraiment merdique, t'vois, j'sais que tu m'entends, et que tu veilles sur nous. mais c'est vrai qu'au matin, ça m'paraît totalement con et quand la réalité m'rattrape, ça m'terrasse.
cette lettre ira sûrement rejoindre les autres, dans c'te putain de corbeille à papier, avec les aut' mots qui ne sortiront jamais d'ma bouche, avec les aut' promesses inavouées balancées aux étoiles.

je t'aime,
ton p'tit wesley