There's no one here to tell you about the depth of the water, or the trouble that you're in.

- la tête tournée vers les étoiles -
Il renâcle, les naseaux proches du sol. Les fines particules de poussières et de sable s’envolent. Il souffle, fatigué. Le long de sa colonne vertébrale, de grandes mains tatouées glissent. Appuient. Il tressaille, sursaute, un brin tendu car prudent et craintif à la fois, observant l’humain qu’il retrouve tous les jours dans l’enceinte de ce corral. Mais se laisse faire tandis que celui-ci pose doucement une couverture sur son dos. Tout d’abord, l’animal a un mouvement de recul, surpris par le contact et la chaleur de la chose et relève la tête. Mais l’humain lui flatte l’encolure et le rassure en lui murmurant des mots encourageant. La longe entre les doigts, il boucle les lanières et pousse le cheval pour l’écarter de lui et le laisser s’acclimater à ce nouvel élément. Mais celui-ci redresse la tête et les oreilles en direction de l’extérieur de la carrière, faisant se retourner son coéquipier. Une femme d’une quarantaine d’années approche et fait signe à l’homme de s’approcher. Il flatte à nouveau l’encolure de l’étalon et du bout de la longe le fait le suivre, boitillant jusqu’à cet élément perturbateur.

« Eh, Fran. Y a un type qui te cherche. Il a l’air relativement en colère, les autres sont en train d’essayer de le calmer, mais il te demande. »

Il fronce les sourcils et fait un signe en direction de son comparse à sabots. « Tu t’occupes de lui ? » Elle hoche la tête et grimpe par-dessus la barrière pour atterrir dans le sable. « Dépêche-toi, en tout cas. Je doute que sa patience ait des limites. »
Lui, ne suit pas le même chemin qu’elle, il contourne les barrières et sort par la porte, traînant une jambe gauche qui semble lourde et bien moins souple, alerte, que la droite. Il a beau se dépêcher, il ne court pas. Il ne peut pas. Sa jambe gauche n’en est pas une. Pas une vraie du moins. Un mélange de plastiques et de métal, pâle imitation de ce qui a pu s’y trouver quelques années auparavant. Morceau de lui abandonné entre les griffes de la guerre et dévoré par la grande mâchoire d’une bombe. Arrachée. Remplacée. Mais pas égalée. Charpie, chair détruite et os en bouillie, disparus de l’autre côté du globe, dans le sable du Moyen-Orient. Et avec elle, un bout de son esprit. Malade, criblé des balles qui ont ôté la vie de ses camarades soldats, de ses frères d’armes. L’imaginaire encré par les images dont il ne parvient que difficilement à se défaire et non sans aide. Des images acides qui rongent ses songes et parfois même couvrent ses yeux éveillés. Que seuls les exercices qu’il pratique au sein du ranch parviennent à le calmer et à chasser ses tempêtes et ses cauchemars éveillés. Ainsi que tous ceux qui l’entourent, qu’ils soient mustangs ou patients.
Mais ce type-là, il ne fait pas partie de la maison. Ce type-là, il le reconnaît de loin. Il reconnaît sa gestuelle et ses vêtements. Sa voix qui porte au loin. C’est son frère, son meilleur ami, son band-mate. Celui avec qui ils partageaient tout… Ou presque.
En le voyant arriver, ce dernier se précipite vers lui, pour l’attraper par les épaules. Le visage rouge de colère et les yeux éclatés, comme pour empêcher des larmes de rouler. La veine sur la tempe qui menace d’exploser. Il ouvre la bouche comme pour parler, mais finalement s’effondre. Tout se relâche sur son visage et il le relâche la tête basse.
« Fran… Ta femme…. Ma femme… Je… Oh putain. C’est… Urgg… J’arrive même pas à le dire. »
Le sang quitte le visage du tatoué qui s’imagine le pire. Un accident, une agression, quelque chose. Quoi ? C’est à lui de le tenir par les bras.
« Quoi, quoi ? Qu’est-ce qui se passe ? Qu’est-ce qu’il y a ? »

Vous vous imagineriez vous, annoncer à votre meilleur ami que vous êtes tombés sur vos femmes couchant ensemble ? On est d’accord que ça ressemble à une mauvaise blague ? A un vieux scénario pourri de mauvais porno ? Mais non. Non. Y a pas les sous-catégories dans la fenêtre de l’ordinateur. Y a pas d’ordinateur ou même de vidéos, tout court. Juste des cris de surprise, des draps jetés sur le visage et des supplications, des je vais tout t’expliquer, attends, non, non, ne lui dis surtout pas, s’il te plaît, s’il te plaît. Que ceux qui s’imaginent que c’est sexy deux femmes ensemble… oui mais non. Pas quand il s’agit de votre femme avec celle de votre meilleur ami. Pas sans vous deux, pas sans l’autorisation, pas… non. Juste non, en fait.
Non.
Les deux hommes s’assoient par terre. Fran murmure un Putain tremblant. Il sait pas trop comment réagir, en fait. Son cerveau a arrêté de fonctionner. Les yeux dans le vide, ses pensées s’accrochent à un détail futile. Faudra-t-il qu’il change la serrure de son appartement ou c’est inutile ?… Et son ami passe son bras autour de ses épaules pour le serrer contre lui.