- TC - cinéma en plein air

Les White, ils sont pas vraiment pour Halloween. Fêter le diable et les sorcières, ça ne leur correspond pas. Ils vont rester à la maison, donner quelques sucreries si les enfants ont l'air sages, et râler si ils considèrent comme de jeunes cons. C'était comme ça, l'année dernière, et celle d'avant. En fait, ça a toujours été comme ça, rien n'a bousculé leur confortable quotidien. Dehors, des adolescents écoutent leur musique, ils rient, ils dansent au rythme des nouvelles tendances de la saison. A sa fenêtre, Billie les regarde. Ses prunelles miroitent dans l'obscurité du ciel, elle les observe sans rien penser. Elle est simplement jalouse. Ca pourrait être si simple d'exister. Qu'ils aillent chanter leur joie de vivre ailleurs. Mais Billie, elle sait saisir les occasions qui se présentent. Ses parents, tout ce qu'ils veulent, c'est qu'elle n'y aille pas seule à ce foutu cinéma, et même si ça les dérange que ce soit pour y voir l'horreur, ils veulent qu'elle se fasse des amis. Ce sera la weirdo, mais elle aura des amis. C'est l'unique concession qu'ils lui accorderont, et demain, elle ira prier pour se racheter de ses plaisirs coupables. Alors Billie dévale les escaliers, et d'un grand sourire éclatant, elle leur déclare fièrement: « Mes amis sont là, dites j'peux y aller, maintenant? ». Le père White soupire, il aurait préféré que sa fillette répète ses morceaux de piano, qu'elle s'embête avec ses exercices de mathématiques. Mais il sait bien que la mère White a trop longtemps rêvé d'un enfant, pour refuser ce pêché d'un soir. Alors, les parents rouspètent mais ils acceptent en la regardant filer. Billie arrive vers ce groupe d'inconnus, tandis que son père la surveille du coin de l'oeil. Elle atteint la tribu de gosses incontrôlables, et sans dire mot, elle reste. Juste pour que son père se lasse, et qu'elle puisse déguerpir en courant. Elle impose le silence lorsqu'elle les rejoint, et c'est le plus grand des blondinets qui l'agresse de ses mots: «T'as un problème, freckles? », il ricane en se croyant supérieur. Elle reste taciturne, le regard vide, le visage neutre, les lèvres pincées.  «Mais elle m'ignore en plus. ». Elle laisse passer, et quand son père est plus à la fenêtre, elle rétorque en grognant: « Elle, elle, t'emmerde. ». C'est l'heure de la course poursuite, pas aussi stylée que dans les films, mais celle qui vous met quand même en haleine. Ils ont l'air cons à tous lui courir après, mais elle a pas le souffle pour le leur faire remarquer. C'est que lorsqu'elle arrive devant le grand écran qu'elle est soulagée. Elle bouscule tout le monde, sans répit, sans pitié, elle court à toute allure. M'enfin, suffit de savoir jouer la comédie après. Alors, elle prend la main d'un grand type qui discute avec une rouquine. Tant pis si elle dérange, elle, ça l'arrange. Elle se colle presque à ces deux inconnus. Ces autres cons qui l'ont suivi lui jettent quelques moues menaçantes avant de se disperser dans la foule. Elle reprend son souffle et lâche la main de ce pauvre bonhomme embêté. Elle passe ses paumes de main sur ses genoux et ses cuisses, elle a le nez rivé vers le sol. Enfin, elle les regarde de ces grands yeux bleus, respire grossièrement et elle n'a que la force de dire: « Bonne soirée, hein? ». Mais, elle reste là, le temps de retrouver ses esprits. Et puis avec eux, elle se sent en sécurité. Ca fait du bien.

Il rit. Un rire qui paraît presque hypocrite, il est tellement pur, tellement saint, tellement doux. Il résonne comme la joie des jours heureux; comme la tendresse d'une romance. La beauté, elle n'était pas dans cette gosse insupportable, elle était dans cet éclat d'euphorie. Billie est sidérée, elle n'y croit pas. Les hommes ont habitude de répondre à l'étranger par une crainte inavouable, pas lui. Il se contente de sourire, il l'accueillerait dans ses bras si elle le lui demandait. Elle voit au loin les gamins violents et bruyants se faire prendre par le pasteur qui les refile à leur mère comme des rejetons irrecevables; elle ne peut réprimer un rictus carnassier. Justice est rendue. Lorsqu'il leur propose de mater le film ensemble, elle s'écrie aussitôt: « Oh oui! ». C'est comme retirer un sparadrap, elle s'émancipe de sa foutue fierté et elle laisse parler sa poitrine battante. Pour une fois que quelqu'un demande son avis, pour une fois que personne la juge, pour une fois que ce regard d'adulte n'est pas mauvais. Alors, silencieusement comme pour confirmer ses dires, la jeune Billie rapproche sa main de la sienne, ses doigts frôlent sa paume et elle l'empoigne. Doucement, puis fermement. Elle ne lâchera pas cette main. Sa tension se calme, l'anxiété se dissipe, ce contact, c'est un sensible nuage sur lequel elle peut flotter. Elle tire sur la veste de cet inconnu, et approche les lèvres du creux de son oreille. Elle lui confie à la manière d'un secret honteux: « Merci. ». Puis, ce sont les mots bleus que son regard fait retentir. Dans le feu de ses prunelles, on lit merci.