à nos histoires mortes avant d'avoir démarré (seth)

- la tête tournée vers les étoiles -
Parfum du Maine. Vestiges de la Nouvelle-Angleterre puritaine, Elisa et Seth ont tout fait pour se soustraire à ces familles protestantes qui leur ont brisé le cœur. Ils ont seize ans et ils s’aiment jusqu’aux étoiles et même assez pour le trajet du retour. Elle est enceinte. Ils fuient, droit vers les rocheuses, droit vers l’Ouest mythique. Mais les chiens ne font pas des chats et malgré tous les efforts, la religion traîne toujours dans un coin. Ils auront sept enfants et si aucun ne portera de croix à leur cou ils porteront sur leur carte d’identité des souvenirs de cette religion formatrice. D-DAY – 40 years Abigail, premier fruit de cet amour réprouvé, capitaine du bataillon, Abigail, porteur de la lumière qui guidera chacun d’entre eux, Abigail plus douée que leurs parents qui pourtant essaient, essaient si fort. Mais s’ils n’ont réussi à gérer la première lorsqu’ils l’ont eue, pas même sortis de l’adolescence, quand ils ont commencé à avoir les autres la tâche est devenue plus ardue, ils se sont laissé déborder, noyer par l’impossible devoir et l’ennui. Pas Abigail. D-DAY – 30 years Premier fils. Premier enfant à ne pas être un accident. Seth. Seth Jr officiellement mais personne ne s’en est jamais soucié. Choyé un temps puis élevé par sa sœur. D-DAY - 25 years Il y quelque chose chez les Eger, une fibre divine, un but peut-être. Beaucoup de génies parmi les rejetons ou au moins des enfants intelligents, des débrouillards. Être au-dessus de la moyenne ça ne veut rien dire quand on vit parmi les meilleurs et Seth l’a bien appris. D-DAY – 20 years Toujours un peu à côté de la plaque, toujours un peu trop en retard, toujours un peu trop froussard, au final c’est pas grave, il s’en est toujours bien sorti, même mieux que la plupart. Eternel second c’est la place idéale, tout comme il vaut toujours mieux être prince que roi. D-DAY – 10 years Des bandes de potes un peu nuls, peu d’aventures digne d’un Stephen King, Seth aimait sa vie jusqu’à-ce qu’elle ne menait pas réellement où que ce soit. Mais ça ne l’a pas arrêté. Il faut bien continuer à vivre après tout. Il s’est dit qu’il était jeune, il a continué sur la même route sans se poser de questions, guidé par ses passions, il a encré sa peau, bu jusqu’à en vomir sur un coin de trottoir, aimé jusqu’à en avoir peur et fuir. D-DAY – 3 years Entouré de savants il a stagné, il a douté, il s’est dit qu’il n’avait pas d’avenir, qu’il était un raté, qu’un doctorat ça ne sert à rien si on ne peut pas se payer de la bouffe avec. Il a eu peur mais il n’a pas su quoi faire. Il ne sait jamais quoi faire. Alors il s’est lancé dans un second doctorat pour repousser l’inévitable encore un peu, pour se dire qu’il avait encore le temps de décider. D-DAY – 1 year Dans la bonne tradition des gens passifs, Seth s’est fait agresser. Passe-moi ton téléphone et passe-moi ton portefeuille et j’aime pas la façon dont tu me regardes et tu mérites qu’on te passe à tabac et qu’on te crache dessus. Il n’a pas su quoi faire – motif – alors il n’a rien fait. Mais pour une fois il a eu la rage. Ainsi il a décidé de s’essayer à la boxe, d’apprendre à se défendre. Il se débrouille bien mais ce n’est que parce qu’il est grand, il n’a pas l’agressivité qu’il faut, il n’a pas l’envie de cogner. Là-bas il y a rencontré Jo. Jo ce n’est pas un entraîneur moustachu qui frappe trop fort et se moque ensuite de la personne qui a reçu le coup. Enfin, elle n’a pas de moustache. Jo c’est celle à laquelle il ne veut pas réfléchir, celle qu’il retrouve parfois dans un ring ou dans un lit, celle qu’il ne veut pas aimer parce qu’il a peur, peur de s’engager, peur de grandir, peur d’être un adulte sérieux, peur d’être responsable. D-DAY – 4 months Il s’est trouvé une colocation avec des gens à peine dans la vingtaine qui le font se sentir vieux autant qu’ils le rafraîchissent ; il est devenu ce chargé de TD qui est à peine différenciable du clodo du coin vestimentairement parlant, laissant tomber les chemises qu’il s’efforçait de porter les quatre dernières années ; il a décidé de ne pas se prendre la tête parce qu’il n’a jamais la hargne de s’accrocher aux choses. D-DAY. Abigail, porteur de la lumière qui les guide tous. Abigail, la veille de ses quarante ans, a avalé une bouteille de médicaments et s’est endormie sur son lit pour ne jamais se réveiller. Abigail n’a plus supporté sa vie, elle a fait fi de ses accomplissements et de ses succès, elle a succombé au vide que personne ne voyait jamais derrière ses yeux. Abigail les a abandonnés. Maintenant la lumière c’est lui qui doit la porter, ramasser le flambeau de la flaque où il gît. Mais il n’est pas prêt à guider qui que ce soit, même des adultes, pas sans elle. La médiocrité n’est pas un fardeau jusqu’au jour où on devient l’aîné d’une tribu de génies. a month after D-DAY L’aîné. Inconcevable. Abigail lui a laissé sur les épaules un monde pour lequel il n’a pas les muscles, la réalisation terrible qu’il n’est rien sans elle.