Château de cartes

Tu te revois encore Vivi, assise devant le piano, tu n’atteignais pas le pédale, tu devais avoir 5 ans, peut être 6. Et tu étais là depuis des heures. Maman à côté, maman et le regard froid, intransigeant, d’un professeur. Maman qui perd patience, maman qui cri. Et toi, tu essaies, Vivi, vraiment. Parce que tu l’aimes, maman, parce que tu veux lui faire plaisir, lui montrer qu’elle peut être fière de toi, comme elle est fière d’Ama. Mais il n’y a plus cette jolie étincelle qui faisait briller son regard, elle s’est éteinte, Vivi, elle s’est éteinte pour toi, tu t’en souviendrais toute ta vie, son regard, il hante encore tes nuits, ce jour où elle a compris que tu ne serais jamais celle qu’elle voudrait. Le jour où elle a compris, que tu passerais ta vie à la décevoir. Ça n’a pas manqué, Vivi. Tu l’as déçu en ne sachant pas aligner trois notes sur un piano sans te tromper de touche, ou de doigt. Tu l’as déçu en te tachant ta jolie robe rose, le jour de la rentrée scolaire, parce que tu voulais jouer au foot, avec les autres. Tu l’as déçu en lui ramenant aucune note au-dessus de la matière en anglais, et tu l’as déçu encore plus quand tu as été diagnostiqué dyslexique. Non, ce n’était pas de la déception. C’était de la honte. Ouais, le changement fut lent, et il n’y a surement que toi, qui l’ait vu, Vivi. Mais elle a commencé à avoir honte de toi, à onze ou douze ans. Honte de cette gamine mal coiffée qui passait sa vie sur ton ordinateur, ou sur sa console portable. Honte de cette gamine mal fagotée qui trainait avec les garçons et ne s’intéressait ni à la musique classique, comme maman, ni à l’histoire, comme papa. Honte de cette ado rebelle qui arrivait au country club en plein après-midi, ivre ou défoncée. Qui faisait peur aux clients, qui faisait fuir tout le monde. En y réfléchissant, aujourd’hui, tu penses qu’elle t’a aimé, malgré tout, qu’elle t’aime, encore un peu. Qu’elle ne te comprend pas, surtout. Pourquoi n’es-tu pas comme ton frère, Vivi ? Pourquoi n’es-tu pas sage comme une image, jolie comme une poupée et tendre comme un agneau ? Pourquoi, pourquoi, pourquoi ? Mais toi, tu sais pourquoi, au fond de toi, n’est-ce pas ? Tu n’es pas comme eux, Vivi, tu ne leurs ressemble pas, tu ne les comprends pas, tu ne les ressens pas. T’as l’impression d’avoir toujours un temps de retard. D’être un piano désaccordé, un ordinateur en surcharge. T’as l’impression d’être désaxée, de regardé, sans cette, la peinture d’une jolie petite famille, mais de n’être que le visiteur, d’un musée. Tu n’es pas à ta place, Vivi. Mais pourquoi ? S’ils sont ton sang, ton adn, ta vie. Pourquoi n’es-tu pas comme eux ? Pourquoi es-tu rouillée, brisée, fanée ? Tu devrais demander à l’infirmière, Vivi, celle qui était là, le jour de ta naissance, celle qui était là, le soir de la coupure de courant, celle qui était là, quand les noms ont été inversé, celle qui était là, mais qui n’a rien vue. Mais, tu commences à comprendre, un peu, Vivi. Bien sûr, tu sais que quelque choses cloches depuis toujours. Mais quand Amad a fait son test à la con, l’autre jour, quand il a voulu t’apprendre vous apprendre à tous votre groupe sanguin, en prélevant simplement une goutte de votre sang. Foutu étudiant en science. T’as accepté, pour lui faire plaisir, parce que tu l’aimes bien, amad, mine de rien. Mais les résultats étaient flous, Amad était B+, comme Papa. Maman était A. Et toi, tu es O-, Vivi. Mais, c’est impossible, n’est-ce pas ? Alors pourquoi ?