le bus (+ remie)

Invité

sûrement très tôt, ou très tard.

bande de crapule qui traînait dans des avenues, illuminés comme elles, l’haut parleur du téléphone comme musique de fond. et ça fume et ça fume comme des p’tites cheminées. l’genre de soirée qu’il aimait, sans paillette, sans meuf, sans embrouille. juste lui, son shit, son flash et ses potes.

kamil traînait ses longues jambes sur le macadam, un peu défoncé, pas vraiment réveillé, plutôt vraiment endormi. il s’trimbalait dans les rues de crescent heights avec une forte odeur de tabac, d’alcool et de son parfum au musc. un drôle de mélange, mais de toute façon, dans son équipe, ils avaient à peu près tous la même odeur.

et puis ils se quittèrent, les poings se cognèrent et les épaules se rencontrèrent. certains pouvaient s’permettre un taxi, un uber, ou habitaient tout simplement à côté. putain d’bourge, putain d’chanceux. kamil avait claqué tout son argent (sale) dans une paire de basket et autres ornements futiles.

il était assez tôt ou assez tard pour prendre les premiers bus, et pouvoir se mêler aux personnes qui travaillaient vraiment; pas comme kamil et sa bande qui s’contentent de vivre, de subir comme s’ils étaient les rois du monde.

appuyé près du muret de l’arrêt de bus, des écouteurs enfoncés dans les oreilles, l’esprit du métis était brumeux. il avait l’allure d’un gamin perdu avec son large pull noir et ses cernes qui encerclaient ses petits yeux rouges. physiquement pas au top de sa forme, kamil. il avait vécu de meilleurs jours. peut-être à cause de son shit d’mauvaise qualité, à cause du temps ou un ras d’bol général.

en attendant, le métis embrasa une clope comme s’il n’était pas déjà assez intoxiqué. l’bout des doigts rouges, engourdis tout comme ses petites oreilles frigorifiée, il faisait froid le matin dans c’putain de pays. du coup, il redressa sa capuche, en la serrant un maximum autour de sa tête.

putain samedi matin
putain d’bus
putain d’permis qu’il ne passera jamais
putain d’kamil

Dieu merci, le bus arriva avec le chauffage. il tira un maximum sur sa cigarette. pour pas gâcher d’après lui, quitte à s’en arracher la trachée. le bus était plutôt vide. trois ou quatre personnes. mais le métis n’y prêtait aucune attention.
sans ticket, seul dans un 4 places, il allongeait sur jambes.
son visage était illuminé par l’écran d’son Iphone, par instagram et ses baddies aux courbes presque parfaites. et puis il s’en lassa, l’besoin d’écrire c’qu’il lui passait par la tête, ça démangeait la pulpe de ses doigts.

des mots,
des bouts d’phrases,
des textes.

abrégés, criblés d’fautes. il s’appropriait la langue.

le bus
(le dormeur du val dedans)
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j'ai du mal à voir clair dans la nuit. j'suis pas un chat et j'suis peut-être myope. besoin de lunettes, rendez-vous chez l'ophtalmo dans trois jours. je rentre de chez mamie toute seule, maman a décidé de rester dormir là-bas. mamie est malade, mais c'est pas très grave. je sais que mamie est super forte. une fois, elle a tabassé les mecs qui s'amusaient à casser les pots de fleurs qu'elle accrochait à son balcon. elle a retroussé les manches de sa chemise en flanelle toute douce et elle a lancé ses poings de vieille dame en furie vers la tête des garçons. je l'ai regardée par la fenêtre avec des gros yeux impressionnés et depuis, je sais que ma mamie, c'est la femme la plus forte de la terre.

je joue avec le trousseau de clés, je le lance dans les airs et je le rattrape. ça fait le bruits des dents qui claquent entre elles. je me demande si le bus va bientôt arriver. je me retourne et je le vois, j'ai l'impression d'avoir des pensées prémonitoires. ma boule de cristal m'attends dans ma chambre, je tirerai mes cartes de tarot pour savoir si les étoiles viendront me piocher pour que j'aille vivre chez elles. je suis loin de l'arrêt, alors je pique un sprint pour pas manquer l'autobus. mes pieds tapent par terre très vite et je joue plus avec les clés parce que j'ai peur de les faire tomber et que ça ralentisse ma course folle.
j'entre en sueur, je passe mon ticket et je vais me poser dans le fond, les yeux pétés par les lumières. je commençais à m'être habituée à la noirceur.

à un autre stop, c'est le tour d'un mec endormi tout doux et aux yeux rouges d'embarquer. il vient s'asseoir presque à côté et il sort son téléphone que j'observe sans me gêner. il fait défiler les filles et les messages du bout du pouce. je perds mes yeux sur les photos. pas parce que ça m'intéresse, plutôt parce que la lumière des iphones a tendance à m'endormir. j'ai apple dans ma ligne de mire quand les insomnies me chassent. je cligne des yeux. les seins ont été remplacés par l'appli notes et des brouillons de mots et de phrases en vrac ont commencés à fleurir. je plisse les paupières pour mieux lire et je souris en très grand, je me bouge pour être juste derrière lui.
— HÉ TON NOM C'EST PAS ARTHUR ? j'ai la face ensoleillée, j'suis contente de rencontrer un poète défoncé. comme arthur rimbaud. je précise au cas où il aurait oublié. NAN MAIS continue !!!!! j'ai peur qu'il range tout et qu'il se casse, alors je vais m'asseoir juste devant lui, en tailleur sur le siège sale du bus. un autre stop. je ballotte.
— c'est pour quoi ? c'est des chansons ? c'est pour un livre que t'écris ?? t'es un écrivain ? hein ??? c'est vrai ? un vrai écrivain ?? quand je suis fatiguée, j'ai des cernes et je parle beaucoup. je m'endors jamais sans baragouiner des phrases pas rapport. maman me raconte tous les matins ce que j'ai dit la veille en m'endormant sous ses mains qui me tressaient les cheveux.

Invité

enfermé dans sa bulle, bercé par le son fort de ses écouteurs et les vibrations du bus. kamil se sentait bien, au chaud, avec sa musique et son esprit en pagaille.
et puis y’a eu cette blonde. boum. elle a crevé sa bulle.

- « arthur rim- quoi ? »marmonna-t-il avant de poursuivre « mais p’tite, t’es sous quel genre de dope là ? »

il enleva un de ses écouteurs pour mieux la regarder avec une drôle de grimace dubitative sur la face. pas nette. kamil la prenait sûrement pour une crackhead, un client potentiel ou une personne à éviter. et puis elle s’était mise devant lui, pour accaparer toute son attention.

- « eh dis moi qu’tu descends au prochain arrêt s’teu plait. j’ai pas envie d’me taper ton badtrip pendant tout l’trajet, j’suis pas assistant social. »

en vrai, ça l’faisait marrer ce genre de personnage. ouvert, naïf, avec le coeur pur. certaine rareté qu’on ne trouvait plus. Dans son quartier, kamil se tape plus des regards vindicatifs plutôt que de chaleureuses accolades. il était pas habitué l’gamin, fallait l’apprivoiser.

- « et c’est kamil. pas arthur j’sais pas quoi. et tu poses trop d’questions, t’as la vocation d’faire un article sur les gens du bus ou quoi ? » lâcha-t-il dans un sourire en coin.

impossible de connaître l’identité de cet arthur. le métis avait l'syndrome du mec qui avait délaissé l’école depuis un bon bout de temps, et dont ses seuls références se limitaient à la musique, les putes et la drogue.

kamil baissa sa capuche, analysa un peu plus la p’tite blonde qui se trouvait devant lui. il lui donnait 15 ou 16 ans, mais à vrai dire il en savait rien. les jeunes sont débridés d’nos jours, en fin d’compte elle en avait peut-être 11. il en savait rien.

- « tu fous quoi ici ? »

peut-être qu’il se sentait seul au point d’relancer la conversation avec elle. connaître un bout d’sa vie et être sûr qu’il ne s’agisse pas d’une meuf un peu cinglée qui avale trois médicaments toutes les deux heures.

le bus
(le dormeur du val dedans)
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il me prend pour le genre de fille qui voit pas assez droit et qui aime bien trop, avec la passion d'un ogre, les blunts. j'imagine un géant s'en rouler un avec les yeux qui clignent lentement. arthur rimbaud en face de moi me regarde de traviole. arthur rimbaud pense que j'suis sur la drogue.
— d'la dope ? mais nan, j'ai rien fumé, sniffé, ni rien bu, whatever. j'te jure c'est vrai. je lui fais les yeux sérieux, la moue gamine. je bouge plus du tout pour bien mettre l'accent sur les vérités fatiguées que je déblatère. y'a juste tout mon corps entier qui houle avec le bus en marche.
— eh dis moi qu’tu descends au prochain arrêt s’teu plait. j’ai pas envie d’me taper ton badtrip pendant tout l’trajet, j’suis pas assistant social.
ma mine se décompose vite et j'lève les yeux au ciel bien fort, comme pour péter le plafond du bus. mes bras s'agitent un peu brusquement.
— MAIS J'TE DIT QUE J'SUIS PAS SUR LA DROGUE !!! je tire la peau autour de mes yeux pour lui montrer bien grand qu'ils sont pas rouge, que mes pupilles sont pas dilatées. je tire sur mon nez pour lui montrer qu'il est pas poudré. j'lui montre même que je sais tirer la langue et j'me tourne vers la fenêtre pour bouder. quand j'suis fatiguée, j'ai l'impression d'être plus gamine que d'habitude. mes bras s'croisent, comme mes jambes. la forme d'un petit bouddha.
— et c’est kamil. pas arthur j’sais pas quoi. et tu poses trop d’questions, t’as la vocation d’faire un article sur les gens du bus ou quoi ?
j'me retourne vers lui, grincheuse.
— salut, kamil. tu connais pas arthur rimbaud ? j'insiste sur l'accent français en faisant une grimace comme le faisait ma prof. j'adopte l'air aristo des gens riches et arrogants. c'est un poète français. et toi t'as l'air d'être poète aussi. mais pas français. sinon tu porterais un béret sur ta tête et tu parlerais en croissant. j'ai dans l'crâne les seuls stéréotypes que je connais. je suis pas allée voir pour vrai si en france, on met des bérets. j'connais que les quartiers d'ici et j'voyage dans les bus au lieu de voyager en avion.
— je rentre chez moi. j'hausse les épaules, un brin hésitante. toi tu fous quoi à écrire sur ton téléphone ?

Invité

étrange, mais pas dangereuse.
c’était le premier constat qu’il s’était fait. et puis, si elle voulait le stranguler d’une quelconque manière, les bras gringalets de la blonde ne devaient pas contenir assez de force & de fougue pour attraper la gorge du métis.

-« donc t’vas me dire que t’as passé la nuit dehors à jeun ? t’étais pas une soirée
enfait, t’étais dans un club de lecture c’est ça ? »

c’est vrai que pour kamil, il n’y avait d’amusement sans alcool, dope et meuf. autant rester chez lui à s’énerver sur un jeu de basket en ligne. et puis c’était plausible après tout, elle paraissait jeune, les jeunes n’ont pas l’droit de boire, ni de consommer.
et voilà qu’elle éleva la voix en faisant des grands gestes. sa voix brisa le silence du bus, les peu de passager jetèrent des coups d’oeil dans leur direction.

-« parle moins fort, c’est pas l’bus de ton père. » lâcha-t-il avant de continuer « et c’est bon, j’te crois. j’suis pas d’la police, fais c’que tu veux. pique toi même la veine devant moi, j’dirais rien. »

c’est une gamine, ça s’voit. et plus le temps passait, plus kamil se demandait ce qu’elle faisait il y a quelques heures plus tôt. trop naïve et trop jeune pour être présente dans les endroits peu fréquentables de la ville, et il était bien trop tôt pour qu’elle aille à l’école, et puis, à en voir sa petite mine avec les cernes qui se creusent, elle n'avait pas dormi de la nuit.
à nouveau, elle lui répondit à propos de cet arthur rimbaud. kamil fit un simple non de la tête. il avait arrêté l’école tôt, les poètes anglais il n’en connaissait peu, alors les poètes français c’était pire.

-« et ça ressemble à quoi un poète de crescent heights alors ? »

kamil il avait encore ses écouteurs dans les oreilles, mais il avait éteint la musique. il sait pas si c’était poli de les garder, mais il s’entêter à penser que ses écouteurs pouvaient réchauffer ses pauvres oreilles frigorifiées.

-« c’est une liste de course. »
répondit-il avec un simple sourire amusé.