no promises.

longue journée chez les riches. jimmy commence à se détendre seulement lorsqu'il passe la porte de l'appartement passablement minuscule où se déroule la soirée où il a décidé de faire une apparition ce soir. il ne sait même plus qui il connait lorsqu'il arpente les corps pour pouvoir aller se servir un verre. c'est probablement pour ça qu'il est venu d'ailleurs. boire, seulement boire. parce qu'il l'a vu ce soir. celle qui a fait vibrer son corps un peu trop ces dernières semaines. toujours mariée, toujours incapable de faire autre chose que d'ignorer complètement le fait qu'ils ont quand même vécu de longs moments de passion avant qu'elle ne lui assène sa bague d'épouse en pleine figure. elle a fait naître une haine terrible dans ses veines, comme s'il était incapable de faire autre chose que d'y penser lorsqu'il laisse enfin la vodka tenter de prendre une place plus importante dans la composition de son sang. il la voit de loin, la blonde. il avait presque oublié ces derniers jours. c'est vrai qu'il a eu bien d'autres choses à penser que la vie merdique de cette gamine qui ne souhaite que rendre son connard jaloux. il s'approche, il se dit que ce n'est pas plus mal finalement... peut-être que ça l'aidera à oublier. puis... y'a le fric... l'argent compte plus que tout hein jimmy ? il pourra probablement aider joan à travailler un peu moins et étudier un peu plus avec ce que ça lui rapportera au final... joan continuera à compter plus que tout le monde, c'est certain, plus qu'elle et son diamant brut au bout du doigt. il secoue la tête et décide d'oublier, pour ce soir. il pose un baiser sur la joue de sa nouvelle fausse muse. peut-être qu'il réussira à donner l'illusion finalement. il lui lance un faux sourire, certain de pouvoir être capable de berner tout le monde. joan, elle, elle saurait que ça n'a rien de sincère, joan... elle lui filerait deux claques pour avoir eu ne serait-ce que l'idée de pouvoir accepter ce genre d'arrangement débile. il est là ? il lui demande, un murmure à son oreille, tendu. trop tendu. il aurait aimé ne pas se battre ce soir. il aurait même préféré pouvoir rester lui-même. et pourtant, il se glisse passionnément dans son personnage, perdant quelques mots à son oreille pour faire croire à l'amour qu'il pourrait lui porter s'il n'était pas le roi du mensonge.

Désespoir.
Etat violent de l'âme causé par une affliction qu'on ne cherche pas à surmonter. C'est vrai. Vrai pour la détresse de l'âme, vrai pour sa violence intrinsèque, vrai encore pour l'affliction, ce mot bien trop beau pour la tristesse absolue qu'il désigne. Mais la définition n'en reste pas moins tronquée, impliquant une résignation qui n'a pas la saveur de la vraie tragédie : peu importe combien ils essayent, les héros n'ont aucune chance d'échapper à leur destin. Mais ils essayent, refusant d'abdiquer. Comme elle. Rory refuse de s'avouer vaincue, guerrière de papier qui n'a jamais appris à se battre pour quoi que ce soit, enfant préservée qui n'a jamais rien désiré ardemment. Sauf lui. Nox qui se dérobe à son contact, Nox qui s'approche parfois et s'éloigne toujours, Nox qui refuse les évidences. Alors peut-être qu'elle est désespérée, pour avoir recours à ce stratagème trop peu subtil pour elle, mais au moins, elle cherche à surmonter ce sentiment et l'éternel obstacle que son amour tente d'ériger entre eux comme si cela pourrait la décourager.
Lèvres carminées et regard de biche égarée lesté de sombre, Rory est prête pour les enfers dans sa robe à la blancheur virginale qui se mêle à la neige de sa peau jusqu'à donner l'illusion d'une nudité vaporeuse. Ce soir un dealer qu'elle considère vaguement comme sien organise une petite sauterie dans un appartement miteux, entouré d'une faune minable et sans grandeur et pourtant, elle a dit qu'elle viendrait peut-être. Un peut-être sans promesse, le genre qu'on offre du bout des pulpeuses dans son monde cotonneux pour éviter les indélicatesses mais qui veut pourtant dire le plus absolu des non. Non, je n'ai pas de temps à perdre ici, conviée seulement pour cracher des sommes indécentes en dope bas de gamme supposées t'offrir ton salaire mensuel en une soirée. C'est ça qu'elle aurait pu répondre, Rory, si une germe de mauvaise idée n'avait pas pris racine à l'intérieur. Ce serait l'occasion d'officialiser la relation factice supposée conduire Nox à sa place, contre son sein, là où les rivières pourpres ont échoué. Si elle ne peut compter sur son amour poison qu'elle pressent pourtant, plus lucide que le commun des mortels, alors elle attisera ce trop plein de colère et de rage à l'intérieur, le marasme pétrole qui bouillonne et noie quiconque l'approche comme du mazout. Si il ne lui appartient pas, elle se contentera de sa jalousie.
Elle est là, un infâme gobelet en plastique à la main qui jure avec sa prestance de reine des glaces, à attendre Jimmy sans être certaine qu'il viendra. Il n'a pas cru bon de répondre à son texto lapidaire et elle ne lui en tient pas rigueur : après tout, elle ne lui a pas proposé de la rejoindre, elle l'a convoqué et chaque minute de retard fait s'envoler en fumée quelques dollars. C'est ce qu'elle aimerait croire, Rory, reine d'un échiquier qu'elle espère conduire en oubliant qu'elle n'est qu'une pièce, elle aussi. Jimmy pénètre dans la pièce et celle qui laissait glisser la fête sur elle sans l'atteindre, languide et au-dessus de ça, se surprend à suivre sa silhouette fluide jusqu'à elle. Elle achève de composer le masque qu'il convient de porter face à lui, respectueuse du semi-mensonge qu'elle a tissé pour le convaincre. Celui de la survivante éplorée, à peine revenue d'une relation toxique que l'autre partie refuse de quitter. Rory expose l'air de rien ses poignets meurtris à sa vue, elle qui prend toujours soin de dissimuler ses déchirures, là où personne n'est en mesure d'en comprendre la profondeur. Pas dans ses chairs, pas dans sa peau, mais à l'intérieur. Jimmy aussi, doit se méprendre, y lire de la détresse et une volonté d'en finir, là où ce n'est qu'une preuve d'amour, tordue et macabre. Mais de l'amour quand même, rien que ça.
Il glisse à ses côtés et dépose un baiser sur sa joue dans un geste tendre mais qui ne recueille que la verve affûtée de Rory et une esquisse piquante contre ses lèvres pourpres. Au cas où tu l'aurais oublié, je ne suis pas ta petite soeur. siffle-t-elle contre sa bouche, dont elle s'empare naturellement, comme d'un terrain conquis. Avec la fougue des émois irrépressibles des premiers temps, avant que la vie ne rattrape les amoureux et mue la passion en tendresse morne, éternelle rouille des sentiments. Ses lèvres savourent l'étreinte nouvelle, animées par une forme de désir coupable à l'idée que les murmures s'ébruitent jusqu'à Nox, grand absent de cette sauterie aux connaissances communes. Rory libère Jimmy de l'emprise de ses pulpeuses et feint se figer avec l'aisance d'une tragédienne grecque lorsqu'il évoque en filigrane le destinataire indirect de cette plaisante mascarade. Non, je ne crois pas. Enfin ... je n'espère pas, je ne suis pas certaine d'avoir le courage de l'affronter. L'impératrice accepte de tomber à genoux, de nourrir Jimmy d'une fausse vulnérabilité qui grimpe du fond de ses entrailles, de cette tristesse sans début ni fin, sans aucun sens, là depuis sa naissance et faite pour la noyer jusqu'à la fin. Rory laisse la beauté fragile de ses traits ciseler son argumentaire, créer en filigrane sur son minois la peur innommable de voir Nox, croque-mitaine de papier seulement. Merci d'être venu. souffle-t-elle dans un murmure vibrant, après le soufflet de sa première réplique. Rory oscille entre les rôles qu'elle manie à merveille mais qui ne lui appartiennent pas vraiment, elle qui ne se sent rien de tout ça ou rien tout court, môme désincarnée incapable de s'ancrer dans l'existence. Et puis le silence retombe au milieu du fracas de ces imbéciles heureux désœuvrés et Rory libère ses mains de l'entrave du gobelet en offrant le liquide ambré à la chaleur de sa gorge. Ses opales déjà lasses de cette soirée sans saveur s'accrochent sans pudeur à l'épiderme de Jim et le scannent longuement, comme si elle cherchait à déchiffrer l'indéchiffrable, à résoudre une épineuse équation. Il est diablement beau. Le corps comme un autel et des yeux doux et profonds. L'enveloppe d'éphèbe d'un homme et le visage d'ange d'un éternel môme, ses arguments sont visibles, roulent sous sa peau et le nimbent d'une aura charismatique dès qu'il s'anime. Alors la question glisse d'elle-même, tandis que ses phalanges viennent effleurer son genou, dans un jeu de dupes crédible. Pourquoi tu es seul ? C'est quoi ton problème ? La sincère curiosité, la douceur toujours suivie de son inverse. Parce qu'il a nécessairement une tare Jimmy, pour évoluer en célibataire dans un monde qu'il pourrait gouverner, là où les apparences sont reines. Son timbre bas, chaud, est sans détour et ses rétines pesantes n'ont de cesse de chercher la réponse, comme si ça importait réellement. Ce n'est pas le cas, rien n'importe réellement à la poupée désarticulée. Mais jouer la comédie sans dialogue implique certains ajustements et si elle doit prétendre l'aimer, peut-être aimerait-elle déceler ce qui peut l'être, aimable. Et Rory ne préfère jamais rien d'autre que les défauts, ce qui fait mal, ce qui est laid et dissimulé dans les tréfonds dégueulasses de la nature humaine.