VERSION NOIR ET BLANC // REN & REX

je mange des gommes depuis tout à l'heure en attendant ma pizza. j'en ai mâché deux trois dizaines. j'ai déchiré les emballages et j'me suis collé les faux tatouages sur les bras. j'ai j'ai la bouche pleine du goût bubblegum fade. les fesses sur le tapis en face de la petite télé, j'me laisse consumer par le mauvais feuilleton quétaine qui passe. chris a trompé jody sur la table de cuisine avec son amante aux seins gros comme des globes. je regarde les miens, leur forme perdue derrière le chandail trop grand plein de miettes que j'ai enfilé ce matin. j'hausse les épaules en engloutissant deux autres chewing-gums. je préfère les films en version noir et blanc. j'haïs les trucs en couleurs pétantes. ça me donne envie de vomir. c'est pareil pour la musique. j'aime mieux le jazz monochrome que la pop en couleurs vives. c'est juste parce que j'essaye d'être différente des autres. ça me dérange pas de laver mes yeux avec des feutres de temps en temps.

ce matin, maman est partie travailler. il est 14 heures et elle est toujours pas rentrée. elle coupe les cheveux, elle a beaucoup de rendez-vous, elle en a marre des fois et elle me raconte qu'elle fait exprès de mal couper pour rire de la tête des gens après. une fois, une madame a demandé à avoir les cheveux blonds pis elle est repartie avec les cheveux bleus. "j'ai pas bien compris ce que vous avez dit, madame. blond et bleu ça se ressemble." elle avait un accent fucké. je suis passée derrière avec mon balai et j'ai rigolé. elle a failli me foutre une baffe.

à la maison, j'entends les bruits de la télé et les bruits de dehors. le klaxon des voitures. lio est passé tout à l'heure pour jouer à mario kart pis il est parti travailler lui aussi. j'ai l'impression que tout le monde part travailler. tout le monde part pour aller travailler. comme rex. comme ren. comme lio. j'me demande si je devrais pas me faire des plus petits amis pour pouvoir les garder plus longtemps jusqu'à ce que ce soit à mon tour d'aller travailler. j'entends quelqu'un toquer et j'me lève d'un bond en foutant tous les papiers de gommes par terre. je crache celle que j'ai dans la bouche en direction des poubelles et j'me précipite à la porte, des billets dans la main. "OUAIS J'ARRIVE. C'EST COMBIEN LA PIZZA ?" j'ouvre mais je regarde pas tout de suite. j'ai la tête qui compte et les doigts qui additionnent. pis je relève la tête et je bogue de tout mon être.

Invité

Bam bam et grand bam sur le visage cerné de la poupée en papier. C'est la vitre qui tape la tempe, qui fracasse les souvenirs, qui réveille les soupirs. Tu gémis comme un animal égaré, comme une touriste sans papiers partie visiter le Byzance de son enfance. Tu te demandes, tu t'interroges, tu te dis « et si Remie était fâchée », « et si Rex avait changé » et tu espères ne pas avoir raté l'essentiel de leur vie, les aventures, les péripéties. Tu t'attaches au tissu usé du bus qui branle sur la route du village de ton coeur, qui t'annonce les retrouvailles sacrées et tout ce que t'es pas capable de justifier. T'es misérable, à te sentir coupable d'avoir abandonné les héros de ta destinée ; tu te sens petite et pathétique parce que t'es incapable de pas être heureuse. Heureuse de retrouver les paysages refuges, la maison salvatrice, les bouquets de fleurs. Heureuse de plonger de nouveau dans les yeux azurs de la gamine arc-en-ciel ; heureuse de sentir son parfum de lait et de sucre, de pastille à la menthe, de pull usés. Mais toi, t'es pas certaine qu'elle soit heureuse, t'es pas certaine qu'elle aille bien et puis s'il faut, la broche n'est plus là, et peut-être que, l'âne de son cœur a fondu sous le soleil de ton absence.

Ca te fait quelque chose, quand tes pupilles épousent les courbes du portail. Ca remue à l'intérieur, comme une volcan qui s'évanouit, comme une averse sans pluie. Ca tonne mais rien ne se passe ; sensation forte sur peau douce, sourire sincère et poings fermés. Tu te demandes si maman Banks est là, si Rex est là, si tu vas déranger, s'ils vont se fâcher, peut-être que tu t'imposes, peut-être que t'aurais du téléphoner avant de leur infliger ton air béat et tes valises de voyageuse tout juste arrivée. Ta peau sent la transpiration ; la cascade de tes cheveux charbons encadre ton visage encore balafré par la marque de l'oreiller. T'as pas l'air fraîche, t'es délavée, tu sens le vieux doudou et les toiles d'araignées. Mais tu t'y engages, dans l'allée interdite, celle que t'as franchi, dix ans plus tôt, pour te cacher dans les entrailles de ta nouvelle tanière. Tu souris, tu trembles un peu ; t'es l'émotion à l'état pure, une orpheline aux portes de ce qui a jamais été sa seule famille.

Toc toc toc, tes doigts pianotent, ton air se fige, et tu entends la vitale qui s'approche, les bruits de pas, et enfin, la voix. Elle parle de pizza, et tu te dis que t'es peut-être pas la margherita qu'elle attendait. Mais toi, elle t’apparaît comme un soleil quand la porte s'ouvre à la volée. T'as le sourire tremblant, les yeux qui fouillent à la recherche de tout ce qui a pu changer pendant l'année volée, les mois scolaires, les jours glacés. T'as tout le visage qui s'illumine mais tu restes statique, oblique, léthargique. Miroirs merveilles, amour timide, puis mains qui s'invitent dans l'antre galactique pour serrer l'astre contre toi. C'est quelque chose d'occidentale, qu'on ne faisait pas beaucoup dans ton pays coloré ; c'est quelque chose d'elle et des feuilletons américains des soirées mortelles. « Je suis rentrée à la maison » tu annonces, et tu la serres un peu plus fort, comme ton bébé, comme tes fleurs, comme ton propre coeur. j'espères que tu me laisseras toujours de la place pour y entrer, tu pries.

le sac de voyage lui scie l’épaule, il a l’impression d’avoir tout le poids du monde qui se balance en cadence au rythme de ses pas. c’est atlas le titan, dans sa version moderne. c’est pas la sphère céleste que ses épaules soutiennent mais un globe où s’entassent tous ses échecs. il a envie de balancer son sac par terre et de le faire avancer à coup de pied, laisser le bitume l’éventrer et voir se déverser toutes ses affaires. il ne lui resterait plus qu’à immortaliser l’image sur une pellicule qu’il mettrait dans un album pour le balancer à la tête de ceux qui oseraient croire que la vie nous envoie des rayons de soleil tout doux alors qu’en fait c’est des fucking éruptions solaires qu’elle nous balance en pleine face. elle nous crame toujours pour mieux laisser ce qui restent de nos os pourrir dans le caniveau. rex il est morose, il a un nuage orageux qui tempête au-dessus de sa tête, s’entortille dans les mailles brunes qui lui parcourent le crâne. il en veut au reste du monde et surtout, il s’en veut d’avoir cru que boston serait son paradis perdu. il a plus eu le sentiment de plonger dans le sixième cercle de l’enfer de dante. les flammes infernales lui léchaient l’échine chaque fois que le téléphone sonnait pour lui annoncer qu’il n’avait pas décroché le poste à pourvoir. il a abandonné sa mère et sa soeur parce que son désir d’ailleurs était trop important. il a laissé une sirène sournoise l’emporter avec lui sur des mers saphirs étincelantes pour mieux pouvoir le noyer et laisser des vagues de désastre le culbuter jusqu’à ce que la mer le recrache sur son banc de sable, retour à la case départ.

lorsqu’il regarde son quartier, il voit que ses déboires n’ont rien changé à l’aspect des maisons. il pensait que le chaos le suivrait, exploserait les maisons sur son passage, tracerait des tranchées dans les jardins émeraude mais non. y a tout qu’est pareil. il tourne à l’angle d’une rue et une moue boudeuse lui barbouille le visage lorsqu’il voit sa maison. il n’est parti qu’un mois mais pour rex, ça se compte en décennies. ses pupilles se resserrent un faisant un focus sur ce qui se passe à l’intérieur de son jardin. il voit deux têtes émerger des palissades. il reconnaît les cheveux brouillons rattachés à une tête opaline et y a un soleil qui lui naît entre les côtes, il voudrait graver cette image de remie dans le fond de ses rétines pour ne jamais l’oublier. mais elle n’est pas seule et rex n’arrive pas à reconnaître la personne aux cheveux d’ébène qui lui tourne le dos. “ salut la compagnie !” qu’il crie depuis le trottoir, au dessus de la haie de laurier. il sait pas encore s’il va se recevoir un câlin ou une chaussure. mais il pousse le portail et ses pieds manquent de passer par dessus sa tête lorsqu’il reconnaît enfin la seconde fille. il ne s’en aperçoit pas mais ses lèvres s’étirent en sourire à la vue de ren. elle, son départ se compte bien en décennie et pourtant, rex a l’impression qu’hier encore elle était toujours coincée entre les deux armoires, à dévorer les gaufres que remie et lui avaient faites. elle a gardé ses traits moelleux, avec son regard aussi réconfortant qu’un feu de cheminée. “ deux retrouvailles pour le prix d’une, faut qu’on joue au loto, la chance est de notre côté aujourd’hui ! câlin collectif pour fêter ça ?” il balance son sac par terre et étire ses bras, déployés comme un étendard.

T H E M E

je pensais que la télé et les mauvais shows américains allaient pouvoir m'agripper la tête assez longtemps dans la journée je pensais pouvoir passer la journée amorphe su'l divan à mâcher des gommes ballounes au goût rose je pensais pouvoir devenir aveugle face aux couleurs. mais ça c'était avant je pensais que j'étais beaucoup de choses c'était avant d'appeler pour la pizza avant d'ouvrir la porte en pensant qu'c'était ma pizza avant de me rendre compte que non c'est pas la pizza c'est ren. et c'est toute une flopée de souvenirs qui divaguent qui viennent comme les vagues sur ma tête qui m'assomment presque parce que je pensais qu'elle était partie pour de bon, je le pensais vraiment je m'étais dit elle va pas revenir elle va devenir grande peintre et retrouver son âne aquarelle et plus jamais revenir me voir. mais elle est là un peu à contre-courant elle s'approche et me serre et je fais la même chose je serre donkey dans mes bras parce que je sais pus quoi dire. et c'est peut-être la rage qui bouillonne dans mon ventre c'est peut-être ça qui me fait la lâcher pour la regarder droit dans les yeux les mains sur ses épaules pour pas qu'elle regarde ailleurs que dans les miens.

"tu sais que j'étais triste ? j'ai été triste longtemps et après toi c'est rex qui est parti et après c'est lio qui a disparu, tu savais ça ?" et ça fait beaucoup de gens qui me laissent toute seule et ça fait beaucoup de gens qui m'amènent pas en voyage avec eux ça fait beaucoup de gens qui pensent que ça va aller que je suis pas toute seule que c'est pas la fin du monde. ben c'est presque la fucking fin du monde. c'est long toute une vie. pis toute une vie avec pas personne c'est encore plus long.

"j'étais toute seule."
pis j'entends une autre voix que je connais bien que je connais par cœur à force de m'amuser à l'imiter quand je m'ennuie. rex à moitié là encore parti dans ma tête il est pas vraiment là elle est pas vraiment là ils sont tous partis. j'ai du mal à tout digérer. rancunière. chus presque égoïste su'les bords. presqu'aveugle c't'une presqu'île flottante dans mon ventre un volcan en éruption :

"VOUS M'AVEZ MENTI !!!!!! TOUS !!!!" j'claque la porte qui manque de s'décâlisser en entier et j'donne même un coup de pied dedans et ça fait mal mais je sens rien. je reste derrière un peu perdue un peu en colère un peu de tout qui donne un mélange fucké en osti. toute pognée dans mon cafard je fais le tour de la maison pis j'reviens en courant pis j'rouvre la porte les larmes dans les yeux. chus pas triste juste fâchée. pis chus pas égoïste c'est juste que tout l'monde me laisse toute seule à faire mes affaires toute seule alors que j'ai toujours besoin d'eux. "vous m'avez manqué..." pitoyable presque même pas chuchoté, rien que des petits mots pour exprimer mes grosses pensées.