Elle grimace, il esquisse un sourire, comme si il détenait là quelque chose d’exceptionnel, le premier présent empoisonné qu’il s’offre dans sa matinée merdique. Le fracas de son arme résonne sans le faire ciller, il sent la chaleur d’une peau sous ses doigts, le mouchoir en rempart, avalant le sang qui s’est échoué de son nez. Sensation nouvelle, étrange, son corps se crispe quand elle attrape son poignet, du lierre s’enroulant autour des os saillants, s’y moulant avec force. Il ne recule pas car il ne l’a jamais fait. Fuir, il le fait quand les sentiments s’emmêlent, viennent foutre leurs saveurs là où on a jamais rien demandé. Dans sa tête, une tempête alors qu’un claquement significatif attire son attention. Sûrement qu’il est mis à pleuvoir, le ciel pleurant ses gouttes en les laissant s’éclater, mortes ou vives, sur les vitres de la bibliothèque. Endroit parfait. Silence sans trous, juste assez de places pour leurs mots, assez d’espace pour supporter leurs corps habillé de colère. Chacun son monstre tenu en laisse au fond de l’esprit. Ca ronge et renifle la surface sachant parfaitement que si chacun se lâchent, du sang coulera toujours plus, formant de jolies corolles sur le sol déjà bien abîmé. Elle ne le lâche pas et Nox ne compte pas retirer sa main, pas tout de suite, ses doigts glissent le long de sa main. A vif, c’est dans un quasi sursaut qu’il retire sa main, geste sec, montrant tout son agacement malgré lui.
Comme pour laver ses doigts de ce qu’il vient de toucher, il effleure sa blessure, retire bien vite ses doigts, l’envie de ne rien empirer, se demande bien comment il fera pour rentrer chez lui sans que personne ne se demande ce qu’il a foutu cette nuit. Rien qu’une connasse ayant signé de son pinceau sur sa face. Aucune réponse à sa question. Il n’insiste pas, connait ses silences dans lesquels on se mure pour mettre des briques entre les gens, doublé du béton armé de la crainte d’entrer en contact avec l’autre. Elle l’emmerde toujours plus, fille sans nom, sans racine, à surfer sur la vague de sa curiosité malsaine. Il est un gamin avide de feu, tournant autour des flammes qu’elle représente, y mettant carrément le corps entier. Partir, il va sûrement le faire finalement. Il a déjà trop d’incendies à gérer, pas assez d’eau pour les éteindre, asséché jusqu’à la moelle de toute son empathie et de tout ce qui aurait fait de lui un bon être humain. Façonné dans la cruauté, l’égoïsme … l’affreuse solitude.
Un dernier ordre. Timbre qui grince toujours étrangement à ses oreilles. Les filles autour de lui ont une voix qui sonnent bien, certaines ont du velours au fond de la gorge, d’autres des mélodies qui chantent déjà le cul à plein poumon alors qu’elle ne fait résonner qu’une force dont il n'a pas l’habitude, l’impression d’être tombé dans un monde inconnu, dont les décors et les règles sont différentes. Il déteste ça autant que la haine qu’elle lui inspire. Sa main se pose contre lui, son myocarde douloureux se crispe, perds des pierres au fond de lui. C’est automatique, il attrape le cahier qu’elle lui tend, la regarde s’asseoir sur sa chaise, retournant à son existence déracinée. Il dérive vers le bordel qu’il a foutu, le fixe, sans avoir même l’intention d’y toucher. Nox s’abaisse un instant récupérant l’arme ayant servie à laisser une trace dans sa peau, coloriant sa joue d’un joli rouge. Dans un dernier coup de rage, une effluve qu’il laisse sortir, il plante le coup-papier dans la table, niquant le bois. “J'te laisse ramasser, t'es un poil moins laide quand tu lèches le sol. Merci pour tes charmants services, j’reviendrais peut-être.” il glisse le poison du doute, espère qu’il fera effet et c’est dans tout ce mot, espérer, qu’il baigne en sortant, faussement nonchalant, des pierres coincées au fond de la gorge. Tout est normal dehors, le temps n’a pas bougé, le ciel pleure toujours, de la rouille en plus dans son esprit déviant.
Elle se doutait qu'il l'enverrait chier mais Sin a ce besoin viscéral d'avoir le contrôle. Peu importe que ces mots soient ignorés, balancés à la poubelle, cramés de son mépris. La môme se fout de sa colère, de ses méchancetés. Elle est déjà trop loin dans son oubli pour entendre réellement ses mots. Sinéad redresse le nez de ses papiers uniquement lorsque la porte se ferme derrière lui. Son corps se redresse, mécanique, elle attrape sa serpillière pour effacer les preuves de leur violence. Son regard s'accroche un instant à sa silhouette, à ce ciel aussi grise que lui qui l'accompagne dans la ville. Elle se perd dans sa contemplation, sent une partie de ses sens s'anesthésier alors que ses mains nettoient sans conviction le plancher en attendant que les premiers ados se ramènent pour faire semblant de s'intéresser aux livres.
Une fois seule, Sin pénètre à l'arrière, dans cette réserve, minuscule pièce sans fenêtre ni aération d'où elle sort sa trousse de secours pour soigner ses blessures. Son reflet dans le minuscule miroir ne lui fait rien, elle a la sensation de voir une inconnue qu'elle pourrait saluer par politesse avant de tout laisser tomber et revenir à son bureau où la première personne de la journée lui rend visite. Une vieille dame au dos courbé s'avance, la salue de derrière ses lunettes teintées tandis que Sin répond d'un simple mouvement de tête. Plongée dans ses papiers, elle oublie déjà la portée de ses sentiments sur ces dernières minutes et redevient ce bloc de glace inatteignable. Seuls ses yeux naviguent encore sur le sol brillant de l'eau de la serpillière. Elle imagine le sang qui était là avant qu'elle ne le chasse dans un élan de lucidité. Son nez la fait souffrir. Elle n'était pas dans un cauchemar. Tout autour d'elle est tangible, même sa douleur.
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Sujet: Re: aphasia | sinéad 
