› identité: mads miller, un nom d’taulard, un blase qui t’colle trop bien à la peau.
› âge, date de naissance: t’as aspiré ta première bouffé d’air le 8 mars 1995. ouais, vingt-trois ans d’conneries à enchaîner les déboires comme les cigarettes qu’tu grilles une derrière l’autre et l’éthanol que t’ingurgites sans r’prendre ton souffle. vingt-trois années à faire des allers-retours entre l’bar au coin d’la rue et l’poste de police. et, l’pire, c’est que t’en as même pas marre d’mener une vie d’débauche.
› signe astrologique: poisson.
› lieu de naissance, origines: t’as vu l’jour à détroit, dans l’michigan. la ville du crime. à peine t’ouvrais les yeux sur le monde qu’on t’attribuait déjà l’étiquette d’un futur taulard. et, putain, ils s’étaient pas trompés. pour c’qu’est d’tes origines, t’en sais foutrement rien. américaines, t’imagines. p’t’être que t’as du sang de
tu sais pas quoi du côté d’ton vieux. t’en as rien à branler, en fait.
› emploi, études: toi, t’es un enfant d’la rue. t’as jamais eu d’boulot légal, si c’est qu’pour dire. tu voles, tu triches, tu vends, tu mens. tout c’qu’implique pas qu’ton nom se retrouve sur un quelconque papier administratif. pour c’qu’est des études… t’arrives même plus à te rappeler quand t’as mis les pieds dans un établissement scolaire la dernière fois. ça remonte à bien trop longtemps, trop loin dans ta mémoire. un souvenir qu’ton cerveau a pratiquement effacé. voir, carrément.
› orientation sexuelle: t’as pas eu besoin d’tenter l’expérience pour savoir qu’t’es cent pour cent hétéro. t’as d’yeux qu’pour la gent féminine et, pourtant, y a un tas d’mecs qui t’abordent. faut croire qu’t’as une tête d’pédé.
› statut civil: victime d’ta propre solitude, t’as arrêté d’croire à la possibilité de t’caser l’jour où ta flamme s’est éteinte. t’as l’myocarde qui vacille entre ton amour pour le crime et des souvenirs qu’tu refuses d’oublier, d’effacer.
› traits de caractère: une langue bien pendue qui caresse une vulgarité assumée, des paroles excessives crachées au visage, un regard provocateur accompagné d’une démarche insolente, un comportement violent qui frôle l’immoralité, des gestes impulsifs trop souvent regrettés, un caractère agressif, des coups d’poings impatients écrasés contre des mâchoires, une arrogance innée, une colère indomptable et un entêtement sans fin. y a qu’pour nier qu’tu t’appliques.
( la tête tournée vers les étoiles )—
hey, miller! t’as d’la visite. magne-toi.tu détaches enfin tes iris du plafond pour pivoter l’menton vers l’gardien qui cogne sa matraque contre les barreaux d’ta cellule. cinq mois aujourd’hui. cent cinquante-deux putains d’jours à fixer c’même foutu ciel bétonné d’puis ton incarcération. t’es toujours en vie, c’plutôt bon signe. enfin, t’as eu une brève altercation y a que’ques jours, dans la cours, avec deux ou trois types. rien d’grave. un
blackeye, la lèvre fendue et que’ques égratignures superficielles. c’pas ça qui t’fait chier, d’avoir la tronche massacré. c’plutôt qu’ils ont prolongé ta sentence pour inconduite qui t’fous les boules et t’appréhendes d’jà
sa réaction. tu t’redresses néanmoins pour sauter en bas d’ton pieu. ouais, t’as choisi celui du haut et t’as dû t’battre pour l’obtenir, mais ç’en valait la peine. t’façon, ton compagnon d’cellule, il frappe comme une gonzesse, pire qu’ta nana. et y a justement c’dernier qui s’fout d’vant toi pour t’bloquer l’accès vers la sortie d’ta cage.
—
dégages, connard.—
c’est ta meuf? baise la pour moi.—
ferme ta gueule. putain. sale fils de p-—
vos gueules, merde! miller, bouges ton cul sinon j’te fais porter pâle et tu pourras pas causer à ta gonzesse!tu dévisages l’déchet qui brime ton intimité d’puis trop longtemps maint’nant. c’t’enculer! toujours là pour t’mater, tu peux pas t’branler en paix avec c’te vieux pervers dans les parages. c’t’à croire qu’il avait jamais vu une bite avant la tienne. heureusement qu’t’es plus costaud qu’lui, autrement, tu s’rais vite dev’nu sa pute. y a ton r’gard qui s’accroche au tien, te ret’nant d’pas lui en coller une d’vant l’gardien. t’as suffisamment merdé ces derniers jours, t’dois apprendre à t’contrôler s’tu veux pas rester ici indéfiniment. une fois à l’extérieur d’ta cellule, l’gardien t’passe les menottes et t’guide jusqu’à la salle des visites. elle est là, assise derrière c’te vitrine, un léger sourire au coin des lèvres. lèvres qu’t’as pas goûté d’puis des lustres et, putain, ça t’manque. son r’gard croise l’tien et y a son visage qui s’décompose. adieu sourire. elle a d’suite r’marqué ton coquard. après, c’qu’il est plutôt difficile à raté, aussi évident qu’un nez d’clown dans l’visage. tu t’installes en face d’elle et tu décroches l’combiné, elle t’imite en t’quittant pas des yeux.
—
putain, mads! qu’est-ce que t’as branlé?pas une quéquette, en tout cas.
—
c’est rien.ouais, presque rien. si c’est qu’t’as tout l’côté droit vachement amoché. faut dire qu’t’as pas la langue dans ta poche et qu’t’as la réplique facile. pas bon mixte. et, pour couronner l’tout, ba t’es en taule, quoi. elle s’attend à quoi? à c’que tu fasses d’la peinture aux doigts? elle t’fusille du r’gard. comme une mère qu’interroge son sale mioche après qu’il est fait une connerie et tu décèles une légère lueur d’inquiétude dans l’fond d’ses prunelles. exactement comme la futur maman qu’elle s’apprête à devenir.
—
c’est rien, j’te dis!t’insistes. pas vraiment pour la rassurer, mais plutôt pour qu’elle arrête d’te faire chier et d’te r’garder comme si t’étais l’pire des trous d’cul qu’existent. et tu changes de sujet.
—
comment il va?—
mieux qu’toi, en tout cas.tu bronches pas. c’t’à peine s’tu bats des cils. t’façon, qu’est-ce qu’tu peux répondre à ça? et c’pas comme si elle t’laisse la chance d’en placer une.
—
t’as pas l’air d’te rendre compte qu’t’es en prison. on dirait qu’tu prends ça comme si c’tait une blague.t’hausses les épaules. t’es conscient qu’c’en est pas une, c’juste qu’tu vois pas vraiment où il est l’problème. t’as rien fait d’mal. t’as brandit un gun sous l’nez d’un mec, c’tout. il avait qu’à pas t’emmerder, qu’a pas t’chercher. t’as pas appuyé sur la détente, t’voulais juste l’effrayer pour qu’il pisse dans son froc. ç’a marché. seize mois pour ça, t’trouves ça exagéré. t’as tué personne à c’que t’saches.
—
t’crois qu’ça m’fait plaisir d’être là, loin d’toi et d-—
oh, ta gueule putain! t’l’as cherché. t’avais qu’à pas faire l’con!ok. ç’a l’mérite d’être clair. t’soupires alors qu’elle jette un coup d’œil vers la droite, ensuite la gauche, gêné d’avoir gueulé, t’imagines. p’t’être qu’elle a honte d’être ici, aussi. d’être enceinte d’un taulard. t’en sais rien. t’as jamais compris comment son cerveau fonctionnait. c’tait moins pire quand vous étiez gamins. elle t’suivait dans tout c’que tu faisais, les yeux fermés, une confiance aveugle. les choses ont bien changé d’puis l’temps, d’puis l’époque où c’tait vous vs le monde. c’t’à son tour d’soupirer avant d’planter ses iris dans les tiens.
—
y ont rallongés ta peine?—
ouais.—
d’combien?t’réponds pas. elle s’énerve.
—
combien d’temps, mads?—
six.—
quoi?—
six mois putain!t’serres la mâchoire, agacé par toutes ses questions. elle est avocate ou quoi? non parce que t’as l’impression qu’elle est en train d’te faire un procès. qu’elle t’lâche la grappe un peu, merde! et tu t’dis qu’c’est p’t’être les hormones qu’la rendent aussi désagréable. sauts d’humeurs flagrants puisqu’elle s’met à chialer. t’fronces les sourcils pour pas lui montrer qu’ça t’affecte, d’lui faire d’la peine. mais c’est l’cas et tu s’rais menteur d’prétendre l’contraire.
—
pleure pas, bébé. s’te plait.—
mais t’es con ou quoi? on a plus quinze ans, bordel, j’suis enceinte! on attend un bébé et toi t’fous tout en l’air!ouais, c’tait prévisible, elle t’sort la bonne vieille chanson, celle qui s’répète sans arrêt. tout est toujours d’ta faute, miller! t’as l’habitude.
t’assumes.
—
je sais.—
non. non! t’sais pas. t’en as rien à branler, en fait. tout c’qui t’importe, c’toi et ta p’tite personne. pas une s’conde t’as pensé à moi dans c’t’histoire-là et j-—
ta gueule… ferme ta gueule! qu’est-ce qu’tu crois, que j’m’éclate ici? qu’je fais la fête tous les soirs? mais t’es complètement conne ou quoi?elle raccroche.
—
hey, j’ai pas fini! r’viens ici! r’prends c’putain d’téléphone ou j’te jure qu-t’assènes des coups d’combiné contre la vitre qui t’sépare d’elle et d’ton gosse qu’elle a dans l’bide alors qu’elle s’éloigne. c’maint’nant au tour d’tes paumes d’s’écraser contre la vitrine, gueulant à plein poumons parce qu’t’as pas envie qu’elle parte. et y a ta langue qui claque contre ton palais, bug d’cerveau qui t’fait dire exactement l’contraire de c’que tes pensées t’soufflent. trop d’fierté, trop d’conneries. trop d’tout. excepté un peu d’amour propre.
—
c’est ça, dégage connasse! j’veux plus jamais t’revoir! t’entends? j’veux plus jamais qu’tu r’mettes les pieds ici!tes hurlements alertent les gardiens qui s’ruent vers toi. l’un d’entre eux pose sa main contre ton épaule pour t’calmer ou t’en sais trop rien. il aurait pas dû, grosse erreur.
—
mais lâche-moi putain!tu t’dégages violemment et ils tentent d’te maîtriser. t’en cognes un et, en dix s’condes, tu t’retrouves à plat ventre, plaqué au sol, les bras croisés derrière l’dos alors qu’t’hurles d’toutes tes forces. et c’est l’isolement qui t’attends. là où t’pourras rien faire d’autre qu’te rapp’ler c’te scène déchirante, celle où t’as vu la femme d’ta vie et son ventre rond t’tourner l’dos, s’éclipser, s’échapper. image qui, d’ailleurs, s’ra la dernière d’elle qu’tu garderas en tête, étant, aujourd’hui, plus qu’un souv’nir qu’tu tentes d’pas oublier.