-- le jour s'efface, la nuit s'écrit.

( la tête tournée vers les étoiles )
Tout cogne. Le moindre recoin est douloureux. C'est une paupière après l'autre. Elle comprend pas. Pourquoi il y a de la lumière ? Les rideaux. Ils ont pas été tirés. Ding-dong. Elle passe sa main sur ça tête. La sonnerie résonne dans sa tête. F*ck off. A-t-elle envie de crier. Mais elle n'a pas la force de. Ding-dong. Encore. Elle balance son oreiller à travers la pièce comme s'il pouvait éloigner la personne sur le pallier. Derrière une porte. Dans le hall d'entrée. Après le couloir. Qui était derrière la porte de sa chambre. Peut-être que ne rien dire, ne pas bouger, dissuadera ce visiteur indésirable ? Ding-dong. Elle agite les jambes dans un râlement se rapprochant du grognement plus que du cri de colère. Elle repousse les draps d'un geste brusque. Elle a mal au bras. Mais ça, elle se doute que ça vient d'un des clients. Un de ces habitués qui malgré le Sinner en cendres continue de la contacter. Elle, la beauté exotique. La peau douce. Le regard félin. Et surtout, la bouche écarlate. Une séance un peu plus sauvage que d'autres. Toujours moins gratifiante qu'avec d'autres. Elle est debout, maintenant. Mais nue. Non pas que ça la gêne d'accueillir un homme en tenue d'Eve, mais les voisins n'aimaient pas trop cette tendance. Elle enfila un rapide déshabillé, histoire de. Pas de quoi cacher trop de peau, cependant. Tant que ce n'est pas le locataire.
Elle grommelle sur le chemin. Trop de whisky la veille. Elle devrait lever le pied. Mais il est de ces clients qui nécessitent plusieurs grammes pour s'allonger et écarter les cuisses. Enfin, heureusement qu'il y avait internet, de nos jours. Deux mois. Deux mois que ce foutu repère à péchés a brûlé et elle n'a toujours pas d'autre boulot. Enfin, de boulot stable.  Si Crescent Heights est un trou à rats, il n'y a que trop peu de lieu de débauches aussi emblématique. Le chômage ne lui réussit pas, à Demi. Alors bon, pour quand même assurer une rentrée d'argent, elle sait ce qui marche. Louer son corps. Avec un peu de coke, parfois plusieurs bouteilles, c'est comme si elle faisait un tour de vélo. Ding-dong.
-- J'arrive bordel de m*rde!
La sécurité toujours bien en place, elle entre-ouvre la porte. Ses yeux noircis du mascara de la veille ne voient rien. Rien à sa hauteur.
-- Salut. T'es bien Demi ?
Elle baisse le regard, les sourcils bien haut sur son front. La voix fluète, presque féminine l'interpelle. Elle ne s'occupe pas des enfants. Certains la demande pour dépuceler les fils d'un tel ou d'un tel, mais elle refuse. Trop de problèmes. Non pas qu'elle s'encombre de ceux-ci, des problèmes, elle en a mille à la journée. Mais elle s'est fixé un petit code de conduite qui mets hors du coup les mineurs. Ou peut-être est-ce sa conscience qui laisse quelques traces, en souvenir du passé ?
-- Qu'est-ce tu lui veux à Demi ?
-- Mama m'a dit que tu habitais ici.
Mama. C'est qui mama ? Les seul(e)s "Mama" qu'elle connait sont ou des passeuses ou des vieilles du quartiers qui s'amusent à cracher aux pieds des passantes à talons rouges. Elle le regarde, le mioche. En plissant les yeux. Il y a quelque chose qui la travaille. Quelque chose qui la fait retenir la porte. Quelque chose...
-- Tu aurais du lait. Mama m'a dit que t'adorais le lait plus petite.
C'est lent. Ca monte au cerveau, mais c'est lent. Ca met le temps. Elle a beau être vive, le cerveau est encore noyé dans l'alcool.
-- Ma-mama ?
Les mots se heurtent sur sa langue. Elle commence à comprendre. Ces yeux bien trop bruns pour être innocents. Ces pommettes bien hautes. Ces cheveux bien noirs.
-- Je suis Devon. Ton fils. J'aimerais entrer, maintenant s'il te plait. Le bus était atroce.
Sa mâchoire se décroche. Le môme est tellement maigre qu'il passe presque dans l’entrebâillement. Presque. Il lui faut un temps à Demi pour réagir. C'est autre chose que les propositions de ses clients ce qu'il se passe ici. C'est plus glauque. Son gosse. Ce bambin qui chialait toute la nuit y a neuf ans. Il est haut comme trois pommes. Il tient pas de son père, c'est sur. Comme un automatisme, elle ferme la porte pour défaire le loquet. La gueule de bois s'estompe. La baffe psychologique a tendance à faire cet effet. C'est violent. Elle ouvre la porte et le mioche rentre sans tarder, son baluchon qui traîne par terre. Elle le regarde mater les lieux. Il a ce regard. Ceux des enfants qui en ont bien trop vu. Neuf ans, putain. Qu'est-ce qu'on peut apprendre à son enfant après neuf ans.
Elle referme la porte sans rien dire. Lui, il est déjà comme chez lui.