BODYBAG // SKALA

Invité

un chat errant, les yeux pétés en croutes très foncées comme du sang séché, et j'le regarde sauter d'poubelle en poubelle. un peu comme si on était les seuls au monde, il vise mes yeux avec les siens un peu comme si on avait vu des choses immenses, nous deux, un peu comme si on avait partagé d'quoi, des blunts, un mot, des rails, un lit. j'attends l'dealer qui ne viendra pas. celui qu'on s'imagine qu'on fantasme. pis ça fait des jours et des jours et des nuits qui ressemblent à des jours que j'reviens à même place en sachant qu'il viendra pas. chus juste con et stone au bout. pas là pantoute. ailleurs. la tête dans le verre pilé. verre qui fêle. verre bleu des néons du dance floor. verre cassé par terre derrière la salle de danse. verre dans mon ventre j'arrive plus à digérer les mots les eaux usées des bouteilles d'alcool j'arrive plus à déglutir me racler la gorge jusqu'à détruire mes phrases plus à vomir à désintégrer tout le reste. le verre pilé c'est les ongles que je ronge. et j'caresse le menton du chat sauvage et j'agrippe sa gorge et il me mord et j'le lâche et il s'en va.

j'sais pus quel jour on est, lequel, celui qu'on attend avec impatience à force de s'décâlisser la mâchoire à coups de bassin trop fort et d'ongles plantés dans des cuisses qu'on connait pas. le jour où ça s'arrêtera. j'sais pus compter mes doigts ça fait longtemps qu'ils s'occupent à cutter les rails à rouler les joints à échanger billets contre papier buvard contre pilules contre gélules et j'arrive pus à dormir. il fait jour ou nuit. il fait du tonnerre. comment savoir si c'est un chat ou un chien ou un serpent qui se balade dans les poubelles qui me lance des regards qui se dessine dans cette ruelle. les yeux pétés en croutes, c'est cobra que j'vois derrière mes centaines de fenêtres imaginaires. et j'ai peur et j'me dis non que c'est pas possible. mais il est là et j'ai peur ça fait longtemps que j'ai eu peur au moins quelques années, au moins les drogues douces et dures font leur magie dans ma tête, au moins je tremble pas. je suis le prévenu à force de trop prévoir à force de m'imaginer et de me mettre en scène. j'arrive à ravaler ma peur comme j'arrive à ravaler le verre pilé mes ongles et les morceaux de métal qui me brouillent la salive. "t'es tout seul ?"

Invité

yeux disent le contraire

Le pied pèse sur le tail. Au coin d’une rue, la tête baissée le temps d’une étincelle, le temps d’allumer sa clope. Le regard suit la silhouette qui traverse de l’autre côté du carrefour. À des dizaines de mètres il reconnaît sa gueule de déf, reconnaît dans le flou de ses yeux la lueur du drogué. Y’a des mois qui les ont séparés, et pourtant c’est comme s’il avait vu cette démarche bancale hier matin. Comme si ce qu’on déteste le plus au monde a toujours un goût de quotidien. Sa planche sous le bras, une clope dans l’autre main, il compte lentement jusqu’à neuf avant de suivre la même trajectoire que l’autre, sur le trottoir opposé.

Il le voit pas parce que lorsqu’ils ne sont pas portés sur le mamba, ses pupilles regardent sans regarder. Ils voient seulement. Alors, lui ne voit pas que croiser son chemin baisse les mentons et yeux . Pas un ou une pour supporter le vert de ses iris. Ils sont pas cons. L’est pas armé le gamin, mais il transpire la violence. Ça passe pour un ado turbulent, un de ceux qui se bourrent la gueule et qui insultent des mères dans des skateparks. Lui s’en fout, lui s’en branle, lui ne pense qu’à ses phalanges qu’il va abîmer. Qu’il veut tuméfier.

C’est cliché de finir dans une ruelle, qu’il pense. L’autre se fait chiquer par un félin miniature. Se demande si, avec la lumière qui s’affadit dans les lacs rosés et perlés du ciel, il va le reconnaître. L’autre lance des regards brouillés vers lui, mais rien. Il devrait pourtant, parce que y’a qu’un cobra pour porter un bonnet de marin en cette saison. C’est un écho d’yeux tournés vers l’avant et l’arrière, vers le passé qui rattrape et le futur qui s’écarte. Alors Timofeï lâche sa planche, et le bruit des roues qui rencontrent l’asphalte suffit à ce que le camé se retourne pour de bon. La face déstructurée qui se fige. Le gamin tire une dernière tafe sur son cancer et jette le mégot aux pieds du mamba. Il pue la crainte. Pas son corps, mais son esprit. Ça lui plaît.

« T’es tout seul ? » Pour toute réponse Timo se tourne et se retourne, à la recherche de personne. Il fait un pas, deux, puis trois puis assez pour tourner autour de lui. « Et toi, tu l’es ? » Il est comme le reptile qui rôde. Qui se dresse et qui toise sa proie. « J’ai pas de balles à te coller mais si tu me dis où il est, j’te promets de frapper vite et fort ». Il provoque, il se plante droit devant lui, il ressent l’air méta qu’expulse ses narines. C’est le cobra qui déploie sa coiffe. Qui cherche la bagarre.