faire des chansons d'amour homicide (fergie)

Angie elle a l’ventre qui grogne et l’cœur qui danse la javanaise, parce qu’elle a faim sûrement, pis froid aussi un peu, pis l’estomac contracté pour surtout pas laisser échapper le moindre accès d’euphorie incontrôlé, pis des milliers d’autres trucs aussi. Elle est agacée, et satisfaite, et emmerdée, et amusée. Tour de contrôle cérébrale dans le brouillard, moue boudeuse pour cacher ce joyeux bordel. Tout juste la lèvre inférieure qui s’agite un peu face à la langue tirée de Ferdie, et le rictus douloureux contenu juste à temps par des dents plantées dans la joue droite. Le mélange est étrange entre l’inconfort de sa tenue minimaliste et l’envie familière de lui coller le nez dans le plancher, comme on le ferait à un cadet un peu trop envahissant, comme elle l’aurait fait à un aîné dans une autre vie. Elle se dandine maladroitement sur sa chaise, gosse gênée et gênante, qui rend les coups comme elle peut depuis son trône inconfortable. De toute façon il lui laisse pas beaucoup de répit le sauvage, à peine le temps de caser un meme (cool motive, still voyeurism) et une protestation plus formelle (pis tu m’as jamais…) dans la conversation qu’il plaque un tee-shirt sur sa tête blonde, la réduisant à une demi-seconde de silence perplexo-indigné. Elle s’résigne finalement, extirpe ses bras de la cagoule de fortune, s’heurte au sourire de mioche de Ferdie, oublie ce qu’elle voulait dire. N’a pas le temps d’y cogiter outre-mesure non plus, puisqu’il attrape encore sa main et fait en sorte de la traîner derrière lui, poupée de cire récalcitrante mais dépassée. La bourrasque est telle qu’il est impossible de sauver les meubles (et les apparences) – Angie parvient péniblement à attraper son portable et son badge au vol, pas à repêcher la serviette providentielle. Le flot qui s’échappe de ses lèvres est instinctif, frustré et injurieux. Non mais eh Ferdie mais la lumière et putain mes clés et j’ai rien rangé et merde faut que je dise que je m’en vais oh on peut pas partir comme ça EH mais ça va pas du tout lâche mooooooooi bordel, qu’elle s’époumone jusqu’à l’embrasure de la porte, avant de baisser brutalement d’un ton de peur de tomber sur quelqu’un dans le couloir des loges. Petits pas pressés pour pas provoquer d’esclandre, puis la panique qui la rattrape. Elle a le palpitant qui bat la chamade comme dans ces cauchemars d’angoissé existentiel où on se retrouve à poil au boulot – peut-être parce que c’est précisément ce qui est en train de lui arriver, à peu de choses près.
Alors elle freine des quatre fers, bourrique têtue misant tout son poids vers l’arrière, enfant grognon qui attrape Ferdie par le tee-shirt de sa main libre et le tire dans sa direction de toutes ses forces. C’est comme un retour dix minutes en arrière, mais avec une cassette mal rembobinée. Parce qu’elle a encore le mur collé au dos froid, un autre estomac trop proche du sien, une main emmêlée à la sienne, le regard assassin. Mais c’est différent parce que c’est plus tant la proximité qui importune Angie (au contraire, on s’y habitue un peu trop vite). Elle libère sa main d’une torsion du poignet, pointe un doigt accusateur sur la poitrine du sauvage, continue à s’agripper au tissu étranger – toujours accusatrice mais dans un autre registre, irritée mais occupée à s’accrocher plutôt qu’à rejeter, huit pas de charge en avant quand y a de la place que pour un ou deux. Nan mais tu crois que je vais aller montrer la couleur de mon tanga à tous les sharks du coin ? File-moi ça ! Elle a le feulement sifflant et les pieds (nus) résolument plantés dans le sol moquetté, les yeux qui le fusillent sans se lasser. C’est quand même plus facile que de se retenir de rire. Et ce serait quand même vachement plus facile s’il la regardait pas comme ça.
Heureusement qu’il se passe des trucs pour la convaincre de lui faire la guerre. D’abord c’est une serveuse, qui sort des toilettes deux portes plus loin et la scanne de la tête aux pieds. Angie elle bout, gamine pas foncièrement pudique mais qui supporte pas d’être dévoilée sans l’avoir choisie, jugée sans l’avoir demandé. Alors elle penche la tête vers le torse de Ferdie, y donne un petit coup de crâne rageur en guise d’avertissement, souffle les dents serrées. J’te jure que dès qu’il y a plus de témoin je t’arrache les yeux avec mes dents p’tain mais t’es une blague comme type c’est pas possible je… Deux secondes plus tard et déjà la deuxième vague de chaleur – portable qui vibre contre sa poitrine (faute d’avoir des poches), Ronny le chauffeur qui grogne à l’autre bout du fil parce que les cerbères du lagon le regardent d’un sale œil, puis qu’il a pas que ça à faire hein. Angie elle soupire, obligée de délocaliser la bataille à contrecœur et donc de perdre du terrain. Ça devrait la soulager de plus avoir à repousser des spasmes joyeux d’une torsion des boyaux, ou de pouvoir se concentrer sur ce qu’elle va bien pouvoir écrire une fois perdue dans l’antre du sauvage. Mais c’est pas vraiment suffisant, parce qu’elle sait maintenant que sa colère est juste temporaire, qu’il va encore l’embobiner avec son air de gamin faussement innocent et son rire à la con, puis parce qu’elle est plus si enflammée que ça par ses doigts de sauvage sur sa peau d’ange, ou peut-être plus pour les mêmes raisons. Autant dire que dans les montagnes russes émotionnelles de sa petite tête elle est haut haut haut là. Soupir, paupières fermées pour une demi-seconde. Ça la fatigue toute cette lutte, qui s’joue finalement plus contre elle-même que contre Ferdie.
Nouvelle vibration dans sa main. Angie elle perd tout sens commun quand elle reçoit autant d’information, ça explique bien des décisions d’abruti qu’elle a pu prendre dans sa vie. Alors elle les lève les bras, défait Ferdie de son haut, le noue grossièrement en paréo discount. Y a même pas de loi du Talion derrière tout ça, juste Angie et son obstination de môme, ses lubies d’adulte à peine majeure. Et p’têtre que c’est ridicule, p’têtre que Ronny va avoir foutu le camp ou va s’barrer en courant en les voyant arriver, sûrement qu’il les acceptera jamais, mais c’est pas de sa faute d’abord, tout ça c’est à cause de… Bruit d’un, puis deux, puis trois SMS. Regard qui retrouve celui du sauvage. Tu veux jouer au porte-vêtements, Ferdie ? Alors joue au porte-Angie, aussi. Grommellement qui contraste avec ses bras tendus, qu’elle justifie par un refus catégorique de fouler le macadam sans chaussures à ses pieds alors qu’affublée comme ça elle ressemble juste à un enfant sauvage égaré depuis trop longtemps. On prend l’issue de secours au fond à gauche, bouge un peu. Aucune amabilité, aucun sourire, si loin de la Angie qui roule des hanches dans la fosse aux lions, si loin de la Angie de la loge aussi qui s’laisse aller à l’argot des rues et aux sourires sincères. Pourtant faut bien dire qu’elle a quand même fait huit pas de charge en avant et que même si elle grogne beaucoup, ça commence à faire un petit moment qu’elle en a plus fait un seul en arrière.