adieu bientôt -s.l.

( la tête tournée vers les étoiles )
√  Loup solitaire, fils d'avocats, il est gardé par une foule de baby-sitters, petit prince sur-gâté, il disparaît quand le père rentre, pleure silencieusement quand il l'entend rugir et déchirer les dessins. "Mon fils n'est pas une tapette." Modèle de virilité bien ancré, il est discret, monte dans la chambre très vite aux repas, ne parle déjà pas beaucoup, et déteste voir les larmes de sa mère. "Qu'est-ce que j'en ai fait ?"

√  Hypersexuel, il connaîtra sa première aventure charnelle à quatorze ans, donc en avance sur les autres garçons de son âge. "Viens par là chaton." Une baby-sitter un peu trop jolie, vite renvoyée par la mère quand elle comprend ce qui se trame. Le père est fier de son garnement. "T'es un vrai bonhomme, c'est bien, fiston." Toujours aussi absents. Il se découvre des attirances, exige des baby-sitter masculins pour voir s'il peut répéter l'expérience de séduction. Sur les quatorze hommes venus le garder, du haut de ses quinze ans révolus, seuls deux céderont.

√  Sportif accompli, sa chambre est divisée en deux. D'un côté, les machines de sport, de l'autre le lit. Une salle de bain immense, une baignoire qui dépense plus d'eau qu'il n'y en a dans certaines rivières. Il vit dans le luxe. "Sale gosse de riche !" Il connaît l'arrogance de ceux qui la lui reprochent, les premiers coups. Dix-sept ans et il vend son premier sachet, soucieux de sortir un peu des sentiers battus, de se construire une réputation. Toujours aussi muet, les psychologues employés par la mère défilent pour comprendre ; rien de possible. Shawn est juste buté, décidé à ne plus jamais ouvrir la bouche, ou en tout cas le moins possible.

√  Dix-neuf ans, le diplôme obtenu avec un an de retard, trop de cours ratés il avait dû tout recommencer. Seul à la maison pendant l'hiver. "On va au ski, tu veux venir ?" Refus évident. Il erre sur Internet, se prend des cuites monumentales dans le bureau du père, écrit des lettres à des inconnus qui lui ont plu, et il reste aussi muet. Un sifflement de temps en temps, pour suivre le rythme de musiques. Une bibliothèque entière de vinyles, du rap contemporain, du hip-hop, et de la musique française, parce qu'il adore les voix d'outre-Atlantique.

√  Le déclic vient le soir de Noël. Une vidéo simple, une musique un peu lourde qui l'assourdit, et il comprend enfin. Il adore la magie. Une semaine de solitude lui donne lieu de s'entraîner, sur fond de jazz, et il se rend compte qu'il est doué. Mars venu, il sortira dans la rue, les yeux rougis par le pollen mais le moral d'acier, et il fera quelques tours. Toujours aucun mot. Il est taciturne, ne parle que quand il est obligé. Quelques aventures sexuelles dans des ruelles sombres, sans aucune classe, ou sur le tapis de chambre d'hôtel. Le défilé des corps, la passion, il succombe facilement, aux hommes, aux femmes.

√  Jamais quelque chose de sérieux. Il vit la vie au jour le jour, à l'aide des milliers encaissés par ses parents, partis vivre à New York, sans lui, lui laissant un duplex à Orange Grove. Il aime cette solitude, il aime se blottir dans les draps blancs de son immense lit, écraser ses cigarettes sur les tableaux luxueux du père, se promener dans des galeries d'art, aller boire un milk-shake, ordinateur portable sous le bras, écrire des poèmes, élaborer de nouveaux tours. Il se produit de moins en moins souvent, et il est de plus en plus tenté par l'hypnose, un domaine qu'il a déjà pratiqué et dans lequel il s'en sort pas mal. Le matin, toujours les mêmes joggings, et les mêmes selfies envoyés à ses rares amis sous le soleil baîllant, fraîchement réveillé.