jill - girl gone wild

- la tête tournée vers les étoiles -
Y’a maman et papa encore en vadrouille, tu ne sais où. Tu ne poses jamais la question, dans ta tête de petite fille, ils partent travailler ou se promener, parfois longtemps quand même. Mais maman, elle t’a toujours appris à te débrouiller seule, au moins une chose qu’elle a bien voulu t’enseigner. Alors tu t’en fiches, et tu t’occupes de Jordan, dans sa chaise haute avec ses couettes mal proportionnées. Toi, tu rêves d’aller de l’autre côté de la ville, là où c’est beau, là où on ne dit que du bien dans les journaux. Tu te dis qu'un jour, tu emmèneras toute ta petite famille là-bas, et que vous serez plus heureux qu'ici. Peut-être qu'enfin, maman et papa seront plus souvent à la maison, et que vous vivrez comme une vraie famille.

Mais les années passent, et rien ne changent. T’en as marre de ce merdier. Quand ils rentrent jamais sobres à la maison, alors qu'après les cours, t'as fini la journée avec les tâches ménagères et les devoirs de la petite, histoire de t'achever. Ils sont pas méchants ; ici, c’est à la bonne franquette. Même trop. Ils vous aiment, t’en es certaine, mais sûrement plus comme des potes que comme leurs propres filles. Alors tu préfères partir, dire que tu feras de grandes choses, leur faire espérer qu’un jour, oui, tu leur offriras leur super frigo à bières comme ils te le demandent tous les jours, parce qu’ils pensent vraiment que tu deviendras millionnaire un de ces quatre. Ils ont de l’espoir au moins. Tu pars comme si de rien n’était, alors que t’en a gros sur le cœur. T’as toujours tout fait dans cette baraque, quitte à laisser ta propre vie de côté. Tu ne reviendras sûrement que pour Jordan, ou juste histoire de boire un verre pendant qu’ils te raconteront la dernière beuverie avec le vieux Charlie, alors que toi tu crèves la dalle dehors. Ça t’emmerde pour Jojo, tu l’as élevé cette gosse, tu l’aimes à en crever, mais les responsabilités que t’as dû avoir trop jeune te paraissent trop étouffantes aujourd’hui. T'as besoin d'être libre, de voler de tes propres ailes, malgré que tu sois un peu trop jeune pour ça. Rêve d'adolescent inconscient, dont tes parents ne se soucient guère.

Alors tu les laisses sans dire un mot de plus, tu squattes un peu partout, parce que t’as pas énormément d’économies de côté, mais t’as jamais eu peur de ça. T’as jamais vraiment pensé à l’avenir, c’est le cadet de tes soucis. T’as toujours vécu au jour le jour avec tes parents, pas vraiment des personnes très prévoyants. T’as rencontré Ike, un mec sympa qui a bien voulu t’aider dans la rue. Il t’a trouvé un squat pas mal, dans un des vieux wagons de la gare. Alors tu fais ton petit bout de vie avec lui. Il aime pas trop la vie Ike, tous le temps il tire la gueule ton pote. T’essayes de lui rendre les nuits moins froides, les jours moins tristes. T’es bien contente qu’ils soit là, de savoir que tu as toujours quelqu’un sur qui compter, même si parfois il t’énerve et que t’hésites pas à lui montrer, toujours en riant. Parce que tu vois des trucs plutôt glauques, des sales affaires dont t'échappes de près. T'as du mal à te retenir de vomir tes tripes certains soirs quand tu flippes trop ou que tu vois des trucs sorties tout droit de l'enfer. T'oublies au fur et à mesure, mais ça te hante certaines nuits quand t'arrives pas à dormir. Et t’es rassurée de pas être seule, qu’il soit à tes côtés quand tu te réveilles d’un vieux cauchemar.

Tu sais même plus combien de temps t’es restée dans cette situation, même si vous avez réussie à vous faire votre cocon bienveillant. Tu commences à enchaîner les petits jobs mais c’est pas trop ça. Ton caractère est pas tellement compatible à certains endroits, même si pour toi, c’était simplement tous des cons. Tu tentes même de l’autre côté de la ville, celui qui te faisait rêver quand t’étais encore qu’une gosse. Et tu détestes. Tu haïs ces bourges et ces pétasses coincées. Ils te renvoient tous chier quand tu proposes ta candidature, te jugeant seulement sur ta tenue et ton quartier de naissance. T'es pas la meuf parfaite, mais t'as le droit à ta chance. T’aimes bien ton quartier pourri finalement, ça a toujours été chez toi, là où t’as vécu dans la misère, mais où tu t’es toujours bien sentie.

Ike, il t'a proposé ce boulot qui pourrait sûrement mieux te convenir, un job de barmaid au Sinners. On t’a toujours dit du mal de cet endroit apparemment trop malfamé. Mais tu t’en fous, tu veux simplement un peu de fric. Tu sais pas trop dans quoi tu t’es embarquée, quand tu sais les trucs pas nets qui s'y passent. T'as quand même toujours un peu peur pour Ike et Sil, qu'ils leur arrivent quelque chose de mal. Mais tu ne fais pas plus attention que ça au reste, tu récupères juste ton salaire et tu te casses. On t’a aussi proposé de remplacer une de tes collègues, de celles qui dansent sur la scène devant des mecs qui bavent et transpirent la perversité, au sous-sol. On t’a donné plus, alors t’as dit oui, histoire d’un soir, puis de deux, puis de certains jours dans le mois. Ce n’est pas si grave, alors tu dis rien, et t’espères ne croiser aucun de tes amis quand t’es à moitié à poil sur la barre.

Puis le boss revient à la charge, comme si c'était déjà pas assez. Il te demande d'autres faveurs pour un de ses gros clients, ce genre de choses où tu ne peux définitivement plus être une sainte. T’as des remords depuis quelques temps envers ta petite sœur, celle que t’as laissé tomber pendant des années alors que tu l’as élevé. T’as pas été la voir autant de fois que tu l’aurais pensé. T’y as repensé quand t’as vu Nora s’approcher un peu trop dangereusement de ce bar bizarre. T’as tout de suite pensé à Jordan, que t’as pas envie de voir si proche du diable, autant que Nora. Tu veux pas qu’elle finisse comme toi, à devoir galérer pendant des années avant de trouver un boulot pas vraiment recommandé. Elle te rejette mais tu lâches pas, et tu mets un peu de côté chaque mois pour pouvoir l’aider. Alors t’hésites pas vraiment à accepter la proposition, surtout quand tu vois les quelques liasses qui viendront s'ajouter à ton salaire. En soi, ça t’embête pas vraiment, parce que c'est pas souvent. T’as juste pas envie que tout le monde découvre ton petit secret, encore moins ceux que t’aiment bien. Tu sais qu’un jour, il y aura au moins une personne que tu côtoies qui balancera tout. Mais tu souris, et tu fais comme si tout se passera bien. T’es pas consciente du danger, encore moins de ce que t’es en train de faire. Que tu rentres finalement dans les sales histoires que tu voulais éviter à tout prix à ton arrivée ici. Mais tant pis, tu récupères le pognon, tu tires sur ton joint avant de dormir, et tu verras demain.