cours ! - jessil

Levé quatorze heure. Pas mal. T’aurais pu faire pire. Clairement. Faut dire, hier, tu t’es pas éternisé au Sinners. T’as rangé et tu t’es cassé. T’as même pas attendu que les filles se cassent. Flemme. Faut dire, t’avais quasiment pas dormi depuis la nuit d’avant. Alors t’avais qu’une envie, c’est d’te foutre au lit. La gueule encore décalquée, tu mets du temps à émerger. Mais après une douche et un bon petit déjeuné du midi, t’as envie d’bouger. T’es de ceux qui détestent rien faire. T’as besoin de bouger. Quitte à faire n’importe quoi. Et quitte à faire n’importe quoi, autant que ça ait un peu de sens. T’envoies un petit message à Jess. Jess que t’as pas vu depuis la dernière fois. Depuis cette soirée où vos lèvres se sont retrouvées sans que tu comprennent vraiment le pourquoi du comment. Pourtant t’avais pas prévu ça. C’baiser. T’avais pas prévu de jouer sur ce tableau. Toi, tu voulais juste le faire sombrer dans tes conneries illégales. C’est tout. Le rendre moins lui et plus toi. Tu sais pas trop quoi en penser. Surement juste un nouveau moyen de l’faire tomber. Pourtant, y’a ce petit doute. Quelque part. Ce petit avertissement à l’intérieur. Tu t’lances dans un jeu dangereux.

Tu souris en l’voyant là. Cheveux trop bien coiffés. Vêtements trop bien repassés. Il est trop sage c’gamin. A croire qu’il a réussi quelque chose le padré. Un putain de gamin parfait. Ca rattrape l’autre. Celui qu’il a abandonné à la société. Il aurait du savoir que la société était trop fucked up pour faire un gosse qui tient la route. Y’a c’gout acide qui remonte. Celui de l’amertume. D’la colère contenu. Pourquoi lui et pas toi. Il avait quoi d’mieux hein ? C’est même pas son vrai gosse. Il avait quoi d’mieux qu’un gamin de 5 ans ? Ses yeux se posent sur ton visage. Là. De loin. Tu remets ton masque. Un sourire. Vague geste de la tête. Tu t’approches encore, observant sa gueule angoissée. T’as envie d’le faire flipper. Tu vas l’amener un peu plus dans ton monde. Celui où la limite de la légalité est controversée. Avant d’arriver jusqu’à lui, tu passes à coté de ces tables en terrasse. Ces tables où les touristes laissent toujours leur téléphone trainer en profitant d’un café. Sourire. T'en as repéré un. Bien en évidence. C'est beau putain. Alors tu l'chopes, le téléphone. Tu l'chopes avant d’te mettre à courir comme un dératé. T’attrapes la main du gamin au passage « COURS ! », l'attirant une nouvelle fois dans tes conneries. Et tu ries. L’adrénaline éveille déjà tous tes sens. T’es plus rapide. Plus fou aussi. Derrière toi, l’gars vous court après. Et ça ne fait que rendre le jeu plus amusant. Toi, c'est comme ça que tu vis.

Tenter de se concentrer depuis quelques temps est devenu difficile. Son esprit vague ailleurs pour revenir si vite à cette réalité si ennuyante. Pourtant depuis quelques temps c’est différent. Cette dose d’adrénaline devenue si nécessaire arrive par période pour repartir comme un souffle. C’est une sensation étrange qu’il ne parvient pas trop à comprendre, qu’il ne cherche pas à comprendre. Y’a comme un changement qui fait du bien mais qui le paralyse à la fois. Il sait pas trop à quoi s’attendre Jess quand le message arrive, il sait d’avance qu’il va y aller, qu’il va délaisser l’essai qu’il doit rendre pour le lendemain, qu’il va foirer de toute façon même s’il va tenter de rattraper l’coup pour au moins rendre quelque chose de potable même s’il ne doit pas en dormir de la nuit. Ça l’a jamais empêché de faire bonne impression, ce manque de sommeil pourtant visible, qui les inquiète sans qu’ils aient quelque chose à redire de sa façon d’être, juste un sourire pour lui promettre de faire attention avant de dévier facilement sur ce qu’ils ont prévus ce weekend, des discussions sans grand intérêt mais détendent facilement l’atmosphère tant que la conversation dévie sur autre chose comme ils le font tous lorsque l’sujet devient un peu trop personnel. Cette réserve ridicule. Ils ne peuvent s’en empêcher, ça a toujours été comme ça alors personne ne parle vraiment même s’ils s’entendent bien, c’est vrai. Pas une ombre au tableau dans la famille Byers depuis qu’ils sont trois.

Il le reconnait facilement, se dirige simplement vers Sil comme si ce qu’il s’était passé la dernière fois n’avait rien changé, comme s’il l’avait mis entre parenthèse, cet événement qu’il repousse dans un coin de sa tête comme s’il ne s’était jamais produit, comme si ce manque de sommeil ces derniers temps ne venait pas de là. Ce qui l’intrigue c’est la raison de sa venue, ce qu’il aura prévu pour eux aujourd’hui, ce qui fera que son quotidien un peu plus morne aura pris des couleurs pour quelques heures. Jess l’observe parce qu’il est curieux de ce gamin si différent. Il a envie de comprendre comment il fonctionne mais en même temps y’a comme un avertissement qu’il envoie bouler dès qu’il est en sa présence. Alors il se contente de tenter d’anticiper sans réellement y parvenir même si y’avait pas trente-six raisons à sa venue dans ce lieu si touristique. Il l’avait bien vu lorgner ces tables mais ce téléphone, c’est de justesse qu’il le voit le choper avant que ces malheureux ne comprennent ce qu’il leur arrive, qu’il parvient  à ne pas être trop pris de court lorsque la fuite est leur seule option. C’pas l’meilleur coureur de sa génération, c’est certain qu’il aurait pu se rétamer s’il n’avait pas eu le regard alerte, tentant de décrypter comme à chaque fois celui qu’il ne connait qu’à la surface. Il ne peut que le suivre, lui faire confiance dans ce lieu qu’il connait beaucoup mieux que lui. Ils sont plus loin, aucun risque que quelqu’un ne se soit amusé à les rattraper pas si sur aussi qu’ils les aient remarqué même si c’est certain, Sil fait partie de ceux qu’on ne parvient pas à oublier si facilement. Sa méfiance lui dirait que c’est ce charisme les trompe tous, qui fait qu’il est toujours dehors. Il l’ignore comme souvent ces derniers temps, jette un coup d’œil à Sil, ressent cette bouffée d’air frais comme à chaque fois qu’ils se retrouvent. « Tu passes ton temps à fuir. » C’est lui qui dit ça, l’seul truc qu’il a trouvé à dire pour qu’ils ralentissent un peu, qu’il retrouve cette respiration qui finira par lui manquer s’ils continuent ainsi. Cette interrogation à l’allure d’une affirmation de celui qui ne peut s’empêcher de tenter de le comprendre. Déformation professionnelle, qu’ils disent.

Tu regardes régulièrement derrière toi pour vérifier qu’il est toujours là. Et ça t’fait rire. De voir sa gueule trop rouge et son souffle trop court. Alors tu continues encore un peu. Comme pour l’amener plus loin. Toujours plus loin. Mais sa remarque vient interrompre ta croisade. Tu hausses un sourcil, finissant par ralentir. Parce que t’es surement assez loin de toute façon. T’aurais même probablement pu t’arrêter bien avant. Les touristes, tu les connais, ils abandonnent facilement. Il t’fait bien rire, Jess. Lui et son monde parfait. Il sait pas c’que c’est lui, de devoir piquer des trucs pour s’en sortir. Il sait rien l’gamin. De ta vie qui tourne pas rond. Il connait que son monde à lui. Le beau. Le parfait. Celui avec une maman et un papa. Une jolie maison et dl’argent pour acheter tout et n’importe quoi. Surtout n’importe quoi. Tu t’arrêtes complètement, l’observant simplement. Tu reprends ta respiration avec plus de facilité que lui. Faut dire, t’es beaucoup plus habitué. T’aimes pas tellement sa remarque. Sa remarque et ses insinuations. Tu passes ton temps à fuir ? Aux dernières nouvelles, c’est pas toi qui embrasse des mecs en se disant hétéro. C’est pas toi non plus qui revient à chaque fois malgré les trucs interdits. Et t’as cette envie brulante de lui faire comprendre. De lui montrer. Tu récupères le téléphone que t’avais fourré dans ta poche avant d’attraper la main de ton complice. « Qui ? Moi ? Je fuis moi ? » Tu remarques pas le trouble qui passe un instant dans son regard, te contentant de foutre le téléphone dans sa main avant de la lâcher. Et avec ce sourire qui ne vaille rien de bon, tu te recules d’un pas avant d’interpeller l’homme qui vient de passer à coté de vous. « Monsieur ! Il a piqué votre téléphone ! » Eclair de panique. Chez Jess. Chez l’homme. Et il ne prend même pas la peine de vérifier que c’est vrai avant de commencer à prendre en chasse le gamin. Il va surement t’détester tient. Ca lui apprendra à t’dire que tu fuis tout l’temps.

Tu t’assois sur un muret, attendant quelque temps avant d’lui envoyer un message. « T’es où ? Toujours vivant ? » T’sais même pas si il va répondre. P’tète pas. Mais y’a ce petit doute quand même. Parce qu’il a beau grogner un peu Jess, il revient toujours. Et puis, y’a ce truc dans ce regard lorsqu’il enfreint les règles. Ce mélange étrange de peur, de honte et d’excitation. Cette impression de liberté. Ptete qu’il s’est fait chopper par les flics ? Ca f’rait les pieds à ton père tient. D’aller chercher son gosse parfait derrière les barreaux. C’était ptete même ce que tu cherchais à faire sans le réaliser. Ou c’était juste l’adrénaline. T’en sais rien. Et puis merde.