- la rythmique qui tourne dans la tête -(règle numéro 1 : ferme ta gueule.) Te taire à l’école, à la maison. Bander les nuées cosmiques et balancer les bouteilles vides à la poubelle - ça pue l'éther. La fermer sur le paternel impulsif, le gang, maman qu'a jamais les couilles pour s'interposer, les trafics en tous genres. (règle numéro2 : tu faiblis t’es mort.) Jamais flancher. Même quand Kozlov Senior se fait arrêter avec le sang de sa femme sur les mains et que les familles d'accueil se révèlent toutes plus viciées les unes que les autres. Jamais flancher. Pas là pour jouer aux tapettes. Trouver c’qu’il faut en toi pour continuer, les conneries, le fric sale, les morveux qui s’croient rois de la rue. (règle numéro 3 : toujours avec les tiens.) Loyauté indéfectible, le gamin flanqué de sa bande, les poings qui s’déchaînent par paires. Cracher au visage de l’assistante sociale. Jamais moufter à personne ni abandonner quiconque. Les secrets, ça s’garde jusqu’à la tombe ; les frères aussi. (règle numéro 4 : dignité jusqu’au bout.) Et, surtout, ne jamais faire honte. Faire en sorte que votre nom sonne avec fierté, respect, crainte dans chacun des esprits.
Règlement à la con. On s'y raccroche, sans s'rendre compte du vide dans lequel on croit.
T’as la majorité tout juste atteinte, le gang te donne assez de répit pour te planter dans une piaule minable près du centre-ville. Le bonnet rouge, tu l’rencontres dans un bar de rue. Il a vaguement l’air d’un
kid paumé, cercles noirs encrés dans les bras, englouti par tous les clients avares de retenue et de sobriété. Ça fait un moment qu’tu le fixes, distraitement peut-être, intrigué surtout. C'est lui qui s'approche en premier. C'est lui encore qui débute la conversation, lui qui cherche à te revoir.
Après c'est plus facile, vous restez en contact, des années durant, bières plates et soirées-défonce, la mécanique de la vie quotidienne qui s'emboîte à celle de l'autre. Les têtes des filles s’effacent petit à petit, remplacées par ce mec aux aiguilles de toutes tailles et de toutes utilités. Tatoueur et ami et dealer et tentation et incroyable bordel ambulant. Il a cet effet sur toi, t’oses pas te l’avouer, avec sa galaxie dans la tête que t'as toujours admirée. Peut-être un peu trop. Peut-être trop pour rester loin. Quand t’essaies de combattre, ça finit toujours mal, avec les poings et les menaces, et c'est souvent lui qu'tu finis par battre. Y'a son incompréhension qui fait souvent place à la résignation, mais tu t'en préoccupes pas trop, parce que tu sais que de toute manière tu reviendras le lendemain. Queue basse et semi-excuses à la bouche, la croyance que tout peut être effacé. Et puis tu t’accroches à ta dignité pour pas craquer. Pas craquer.
Pas craquer.
Et puis. Finalement.
Craquer. Fuck.
(règle 4)
Ça s’passe peu de temps après. Quand tu te saoules et te re-saoules par-dessus sans dessaouler entre temps. Mêlée de dix poivrots en fin de nuit, à s’disputer pour une traînée qui s’est depuis bien longtemps taillée. Y’a cette ambiance électrisante qui guide vos poings, et vos insultes, et tout un tas de blessures qu’on inflige à la volée. Mais toi, t’es probablement le plus sauvage. Tu pètes pas un mot et pourtant tu continues à taper et passer ta rage. Comme le gang t'a toujours dit de le faire. Tu
détruis parce que t'es doué à ça. C'tout ce que tu peux faire. Tu décomposes la gueule d'inconnus pour oublier les miettes de ta relation. Les messages s'émiettent par dizaines dans ta boîte vocale sourde. Alors, tu continues à taper. Tu continues jusqu’à ce que les sirènes rouge-bleu envahissent la nuit et que trois paires de bras viennent maîtriser les tiens.
Y’a cinq, six silhouettes couchées qui ne se relèveront pas. Semblerait bien que ce soit ton œuvre.
Cette fois-ci, le gang ne te suivra pas jusqu’au bout du monde.
(règle 3)
Elle pue, la cage. L’ignoble cage à rats. À trois, quatre, cinq, dix entre les barreaux pour s’étriper tous en cœur. Vous n’attendez que la fin du jour pour recommencer à l'aurore suivante votre danse macabre. Mains liées derrière le dos. Pas grand-chose d’autre à faire. Jouer aux cartes avec les violeurs, voler les voleurs, tuer le temps avec les tueurs.
Et puis un moment, t’es tout seul dans ta cage. Les liens ne sont plus relativement imaginaires, mais bien réels, fixés à tes pieds, tes mains, ta bouche parfois. Quand on comprend que le danseur de jigs folles est guidé par une certaine gangrène dans la tête, on a tôt fait de le séparer des autres. On enfonce des aiguilles dans ton bras qui ne sont pas celles de Bonnet Rouge. Celles-là sont destinées à te faire taire,
c'est pour calmer le rat.
Au bout d’un temps, ça devient une habitude. Tu t'enfonces dans un silence éthéré. On ne t’entend plus. Enfermé dans ta tête. Y’a plus que les geignements d'autres pauvres fous en arrière fond.
(règle 2)
L’espoir naît d’un sursaut de bruit inespéré. Ce sont les verrous de la cage qui sautent au milieu du blanc aseptisé, et tu as tôt fait de reconnaître l’intrus dépouillé de son habituel couvre-chef. Vous partez à deux grâce à un plan d’évasion foireux, et pourtant réussi Dieu sait comment. Ou plutôt, ton ami le sait, parce que toi, t’es toujours hébété par leurs menottes chimiques.
C’est pas grave qu’on te souffle à l’oreille, la bête va revenir. Suffit de lui laisser un peu de temps.
En attendant, vous fuyez. Toujours plus loin.
Par les routes et les chemins de fers, arrêts dans des planques désertes ou chez des dealers de seconde zone. Et on repart sur le quai de la gare.
Tu jettes un coup d’œil devant toi alors que le train vous bringuebale de villes en villes. Y’a des faux papiers dans tes poches, et ton ami t’offre un petit sourire. Le genre qui rassure un gosse tout en haut d’un vertigineux grand huit. Ça va aller.
Ouais, ça va aller.
(règle 1)