making words making sounds making songs (camden)

Pour la cinquième fois, Lilli remonte la bretelle de sa salopette en jean sur son épaule. Puis elle rehausse la toile roulée qu’elle tient sous son bras, vérifie d’un geste qui trahit sa nervosité l’état de son chignon, puis quitte l’appartement. Elle y revient une seconde plus tard, tambourinant à la porte jusqu’à ce que Jo lui ouvre, un sourcil interrogateur levé, qui ne rencontre pour tout réponse qu’une Lilli tempête, courant d’air, qui attrape ses clés échouées dans le pot à clés et disparaît à nouveau dans les rues de Crescent Heights. Elle trotte sur le pavé, le bitume, le béton, et le rouleau de toile cogne sans arrêt l’arrière de son épaule. Elle court presque, comme pour cacher son stress en faisant croire que son rythme cardiaque élevé n’est du qu’à son effort physique.
Elle s’arrête devant une voiture roulant bien trop vite, elle sort son téléphone de sa poche. En quelques mouvements, son GPS s’affiche à l’écran, lui indiquant l’itinéraire à suivre pour se rendre à l’adresse qu’elle a rentré bien auparavant, Lilli organisée. Elle suit le trait bleu, la flèche bleue, le point bleu – c’est elle, il se déplace sur la carte à chaque pas qu’elle fait réellement – et elle arrive devant une porte bleue. Un signe qui fait sourire Lilli, qui lui permet de sonner sans angoisser trop longuement, qui lui souffle à l’oreille qu’elle a bien fait de mettre des chaussettes bleues assorties au jean de sa salopette, même si ça jure avec le blanc de ses baskets, le blanc de sa chemise, le blanc du ruban qui maintient ses cheveux en l’air, le blanc de sa culotte en coton et du soutien-gorge un peu trop petit qui lui sert la poitrine cachée.
Quand Camden ouvre la porte, Lilli sourire forcé lui tend la main, bien droit, et se prépare mentalement à ce que sa peau entre en contact avec celle d’autrui, un inconnu, un homme, un autre. Elle ferme les yeux quand ils se serrent la main et elle retire ses doigts d’entre ceux du jeune homme un peu trop vite, un peu trop sèchement, sans s’en rendre compte. Elle se racle la gorge, et rouvre ses yeux qu’elle ignorait avoir clos pour détailler son futur collaborateur. Il est grand, bien plus qu’elle ne l’imaginait, mais ses yeux sont aussi perçants que ses mots le promettaient, et ses mains calleuses témoignent du travail qu’elles fournissent. « Lilli, » se présente-t-elle comme s’il ne le savait pas, juste pour confirmer que c’est bien elle, parce qu’on lui a dit, aussi, que c’était poli de se présenter quand on rencontre quelqu’un, et que compte tenu de leur relation, elle ne sait pas s’ils se rencontrent pour la première fois ou pas aujourd’hui.