là où le soir embrasse les confidences (logan)

Logan observe ses mains encore pleines de sang. Les pupilles sont fixes. Il ne cille pas. Les mains ne tremblent pas. Elles pourraient mais elles ne tremblent pas. Les battements de son cœur sont calmes. Il ressent ce semblant de paix auquel il aspire tant et qu’il n’a pas ressenti depuis… Depuis des mois maintenant. Et il est fou de penser que cela se produit maintenant juste parce que Logan a sauvé la vie d’un gosse. Les circonstances ont fait qu’il était au bon endroit au bon moment. Tout est allé très vite : le gosse courait dans la rue, il est tombé et est passé à travers une baie vitrée. Des cris et Logan qui était sur le trottoir d’en face a foncé jusqu’au rassemblement car bien sûr, les gens étaient autour, certains filmaient. Il a par ailleurs hurlé sur ceux-là, leur a intimé de ranger leur téléphone et d’appeler les secours. Quand il s’est approché du gosse dont le cou saignait avec abondance, la mère en larmes du garçon a repoussé Logan. Il faut dire qu’avec son allure et ses yeux injectés de sang, il n’inspirait pas confiance mais il a menti Logan. Il a dit qu’il était interne en chirurgie. Il a l’a juste dit. Ce n’était qu’un demi-mensonge dans le fond puisqu’il avait été interne, qu’il ne l’était jamais plus que depuis quelques mois et qu’il avait les connaissances pour s’occuper du garçon en attendant la venue des secours. Alors il a placé ses mains au niveau de la plaie, a fait un point de compression correct en prenant soin de ne pas comprimer la trachée du petit et il est resté là, les mains empêchant le sang de couler jusqu’à l’arrivée des secours. Il a fait un bref topo aux ambulanciers quand ils sont arrivés puis s’est éclipsé le plus discrètement du monde. Et le voilà là, à la maison, à regarder ses mains pas encore nettoyées. Ce qu’il a ressenti quand il fait ce point de compression, quand il a parlé à la mère pour la rassurer, quand il a expliqué la situation aux ambulanciers… Lui qui n’avait plus goût à rien et certainement pas à son métier, se surprend à s’être senti de nouveau vivant. Pourtant, il n’a pas l’impression d’avoir l’envie de tenter de reprendre son travail. Pourtant, il n’est pas sorti des abysses, il le sait. Alors quoi ? Est-ce Augustus ? Est-ce sa présence à lui dans sa vie qui éveille tout ce qui était mort en lui ? Peut-être… Sans doute… Il n’est pas certain de vouloir savoir. Pas certain d’être prêt à savoir Logan. Et certainement pas prêt à reprendre une vie plus… Non. Pas prêt. Mais c’est sans doute un début.

Un soupir et Logan se redresse pour enfin aller se nettoyer les mains. Là encore les gestes sont ceux du chirurgien, cette façon de se nettoyer les mains, cette habitude collée à la peau. Et ce qui tout à l’heure lui a apporté une once de paix commence à le ronger, à l’oppresser, preuve qu’il n’est définitivement pas prêt à tenter de reprendre ce morceaux-là de sa vie en main. Non. Besoin soudain de prendre l’air alors il sort Logan, en profite pour s’allumer une cigarette, jette un coup d’œil vers les étoiles. Ses étoiles. L’ombre d’un sourire vient étirer ses lèvres alors qu’il pince la cigarette entre ses dernières et qu’il tire longuement sur le petit rouleau de papier rempli de nicotine, de goudron et de tabac.

« Augustus… »

C’est murmuré, soufflé au moment où il se débarrasse de la fumée. Un profond soupir et voilà qu’une silhouette détourne son attention des étoiles. Il l’aperçoit et l’observe un instant. Juste un petit moment. Juste le temps suffisant pour se rappeler qu’il a voulu aller lui parler et qu’il n’a pas osé. Juste assez pour lui signifier qu’il est temps qu’il y aille. Parce qu’en vérité, depuis Lio a mis les pieds à la coloc’, il est inquiet Logan. Très inquiet. Pour lui, pour les raisons qui ont pu le conduire à se retrouver là, pour sa famille s’il en a une, à moins que sa famille ne soit la raison de sa présence ici. Beaucoup des questions, beaucoup d’incertitudes, beaucoup de crainte qu’on lui ait fait du mal aussi. Et peut-être est-ce parce qu’il a sauvé la vie de ce gosse aujourd’hui mais il trouve enfin le courage d’y aller Logan, de s’approcher de la chambre de Lio pour cogner à la porte. Et il attend Logan. Peut-être va-t-il regretter cette décision prise sur un coup de tête, peut-être que cette intrusion soudain dans l’existence de Lio va l’éloigner. Peut-être mais il prend le risque. La voix de Lio s’élève finalement, l’invitant à entrer, ce qu’il fait. A peine la porte est-elle ouverte que la bonne odeur de l’herbe envahit agréablement ses narines. Il prend une profonde inspiration Logan. Ah oui, ça aussi c’est une des raisons qui ne peuvent que l’empêcher de renouer avec son ancien emploi : il apprécie trop l’herbe qu’il fume, l’effet qu’elle lui procure et est incapable de s’en défaire pour le moment. Il referme la porte derrière lui et observe Lio, esquissant un petit sourire qui se veut amical, agréable. Il l’espère en tout cas.

« Salut. » Ou bonsoir, peu importe dans le fond. « Je venais juste voir si ça allait si… Tu t’es bien installé… » Un silence. Il songe brièvement Logan. « On s’en roule un ? » qu’il ose soudainement. Quel exemple… Proposer à un ado de se rouler un joint et de le fumer avec lui… Oui, vraiment brillant. En même temps, la confidence se fera peut-être plus facilement autour d’un joint partagé.

Peut-être.