starry eyed

- la tête tournée vers les étoiles -

Roxane Lawlet n’aimait pas les hommes, hormis dans son lit. Elle n’aimait pas les hommes, mais désirait depuis toujours d’avoir son bébé à elle comme tous ses frères et sœurs. Alors, Roxane fit un effort et se lança dans une relation monogame afin de le concevoir. Le premier homme fût inutile, le deuxième également et cela continua jusqu’au septième, suffisamment têtue pour ne pas écouter les conseils de ses proches et d’aller voir un gynécologue pour vérifier si elle était fertile. Pour Roxane, le septième fût le bon, qu’elle quitta également après avoir obtenu ce qu’elle désirait ; son propre enfant. Misha était né.

Et parfois, la vie ne semble pas vouloir être ce qu’on espérait qu’elle serait. A faire passer les meilleures moments le plus rapidement possible, et ralentir aux moments les plus gênants, ennuyants, humiliants. Misha, lui, laissait juste le temps passé sans commenter. Les souvenirs défilaient beaucoup trop vite, au point de se demander si c’était les siens. Qui était-il, que faisait-il, pourquoi n’avait-il aucune inspiration, aucun rêve ou désir ? Il laissa la vie le berçait et le ramenait là où elle l’emmènerait.

On vie, on meurt et on survie au milieu. Misha, lui, n’avait jamais connu la survie, obtenant tout ce qu’il souhaitait à porter de main s’il en avait envie.  Misha se souvenait de réunions de famille dans chaque coin du Royaume-Uni qui ne voulaient pas se terminer, de sa mère constamment à ses côtés qui passait son temps à lui caresser les cheveux, lui disant de toujours sourire pour obtenir tout ce qu’il désire. Et il l’écouta, comme ton enfant écoutant sa mère. Il n’avait jamais senti un manque de pas avoir de père à ses cotés, il était tellement entouré qu’il n’avait jamais senti une quelconque absence.  Seul le nom de famille subsistait, une vie qui n’aurait jamais eu lieu tandis que sa mère était dans les bras d’un homme différent chaque jour. Une distance se creusa, la petite faille devenant un fossé sans que sa mère ne s’en rende aperçoive. Après tout, Misha grandissait, il était poli mais en plus il devenait petit à petit indépendant, il n’avait plus besoin d’elle, n’est ce pas ? Elle le réalisa seulement le jour où son fils partit aux Etats-Unis pour ses études universitaires.

La mémoire lui jouait souvent des tours, pourtant c’était cette même mémoire qui l’avait guidé dans son choix de carrière alors qu’il n’avait strictement aucune idée de ce qu’il voulait faire de sa vie. Les verres en trop, les centaines de pages de cours qu’il devait rentrer dans sa tête, la clope constamment au bord des lèvres, les lendemains dans des chambres dont il ne connaissait à peine l’existence. L’université fût un vrai bordel pour lui, et sa fibre sociale semblait empirer la situation. Puis, il y a eu Cassandre. Elle, bibliothécaire comme passe-temps, elle, qui avait dix ans de plus que lui. Elle était comme toutes les autres, mais le destin en a décidé autrement.

« Si je ne suis toujours pas casé à mes vingt-huit ans, je demanderai ta main. » Un rire cristallin résonna dans la pièce. « Je t’attendrai alors. » Un sifflement amusé y répondit. « Je t’attendrai toujours, Misha. » Un baiser, puis des paroles qui se concrétisèrent quelques années plus tard. Il regrettait souvent beaucoup de ses choix, mais pour la première fois de sa vie, jamais il n’a été aussi sûr de lui. Elle était magnifique, elle avait accessoirement payé tous ses frais d’études universitaires et leurs deux personnalités collés suffisamment bien pour vivre ensemble jusqu’à la fin de leurs jours. C’était un fait. Ils vécurent heureux, jusqu’à la crise des 7 ans. Au sens propre du terme. Un avc emporta Cassandre. En 35 ans d’existence, Misha sentit son cœur se briser pour la première fois de sa vie.

On vie, on meurt et on survie à nouveau. Le deuil est flou, plongé dans son travail ou plongé dans son verre, il refuse d’émerger. Puis un jour, il décida de changer d’air, changer de ville. Il lança une aiguille sur une carte des Etats-Unis. Crescent Heights.

C’est le début de la fin, Misha.