« Oh allez Tim, tu peux bien rester juste une nuit nan ? »J’fais comme si j’avais pas entendu et continue à me rhabiller dos à elle. J’ai déjà la clope collée entre les lèvres prête à être allumée. Caleçon, jean, T-shirt, j’suis prêt en deux temps trois mouvements. Nonna me lâche pas et continue à m’travailler au corps.
« S’te plaît… » Bordel, qu’est-ce que j’peux détester quand elle prend cette voix geignarde.
« J’te ferais le p’tit déj’ ! »J’ai les mâchoires qui se crispent, les dents serrées à les fissurer. Inspiration, expiration.
On va quand même pas mettre une mandale à la nana qu’on vient d’baiser juste parce qu’elle est un peu casse-couilles hein ? J’me retourne avec mesure, sans geste brusque. J’prends un ton patient en détachant bien les syllabes pour que ça lui rentre dans l’crâne une bonne fois pour toute.
« Non j’peux pas. Tu sais que j’fais pas ça. »J’récupère dans la foulée mon blouson que j’enfile, et me dirige droit vers la sortie.
« On s’téléphone Nonna. »Y a pas d’embrassades, pas de mots doux. Juste un vague signe de la paluche, au loin, comme si j’chassais une mouche.
La porte claque fatalement.
Maintenant que j’ai évacué un d’mes bas instincts il m’reste plus qu’à m’occuper des autres. J’fais d’abord cracher les étincelles pour me repeindre les poumons de goudron. J’fouille mon manteau du bout des doigts. Putain.
Putain putain
putain !Impossible de remettre la main sur mon pochon remplit de coke. J’viens juste de l’acheter.
« Mais quelle salope ! »La semelle part craquer contre le mur le plus proche. C’est Nonna qui a fait l’coup, pas besoin de chercher plus loin. Elle a cette drôle de manie de tout l’temps me piquer un truc quand on s’envoie en l’air chez-elle. Une sorte de rituel. Ça peut tout aussi bien être une liasse de p’tites coupures, un paquet de cigarettes, une place de ciné. Ou dix grammes de blanche en l’occurrence.
J’sais aussi qu’elle me laissera pas remonter.
J’m’apprête à taper un scandale sur le porche quand mon téléphone vibre. Elle a d’la chance ; Kamil sait exactement comment m’amadouer.
« Pas dsouci y a un qqch pas loin »J’disparais dans la nuit pour le rejoindre.
La silhouette de Kamil se dessine en ombre chinoise, croisement improbable entre l’homme et le banc sur lequel il est adossé. Les coins de mes lèvres s’envolent. Le basané c’est l’assurance d’une soirée tranquille. Et j’en ai
vraiment besoin d’tranquillité.
« Salut mec. » Les jointures claquent les unes contre les autres dans un salut purement masculin.
« T’peux pas savoir à quel point tu tombes à pic… Et j’ai un spot juste à côté. »L’endroit en question se trouve en haut d’un immeuble. Un peu décrépi certes, et avec des dalles couvertes de mousses : il est plus tout jeune. Mais ses proprios m’ont à la bonne depuis que j’leur ai rendu service avec une bande de p’tits branleurs qui avaient saccagé leur café en rez-de-chaussée. Cette petite sauterie les ayant débarrassés de tout emmerdeur, j’y ai gagné un accès illimité au penthouse.
J’commence à allonger le pas. Y a l’dealeur attitré d’un côté. Mendiant d’bonheur synthétique de l’autre.
C’est à cinq minutes à peine et on tarde pas à s’faufiler par l’escalier de service jusqu’à la porte du toit. C’est pas dur : les clefs restent constamment planquées sous une statuette à l’effigie d’une fée aux couleurs fanées. Un objet totalement ridicule qui trône fièrement sur le rebord d’une fenêtre.
« Après vous monsieur. » Le ton est totalement paradoxal à la dégaine de bandit que trimballe Kamil.
Ça m’fait marrer.
Je l’aime bien, l’narco des bas-fonds.