drink a bit of wine we both might go tomorrow (Eden)

Tes charnues s’obstinent dans ce sourire à moitié nostalgique donnant un peu de gaieté à ta peau diaphane. Tes pieds, précédemment en mouvement, s’arrêtent d’un coup alors que tes yeux émeraudes scrutent depuis quelques minutes, l’établissement devant lequel tu te retrouves. Une église. La maison du tout puissant. Le pansement des péchés, la faiblesse de l’homme. Ta révélation. Cet endroit a une grande signification pour toi non pas pour ce qu’il représente mais pour la réminiscence qu’il a un jour ingurgité dans ton esprit. Tu ouvres les portes à ces images d’un passé lointain. A des souvenirs tellement translucides et ravageurs. T’avais à peine dix années d’existence. Dix années de silence faramineux, de mal être consistant t’empêchant même de te regarder dans la glace. Très introverti, très différent comme t’étais considéré dans les prunelles de tes parents bouffés par la foi. Tu n’avais pas ton mot à dire. Dimanche est sacré, la messe est exigée. La rater ne constituait qu’un profond blasphème que tes géniteurs ne pouvaient pardonner. Alors tu les suivais, à l’instar du pantin effarouché que t’étais. Tu prenais toujours place au même rang, te sentant en sécurité dans ce petit siège alors que l’odeur des cierges te martelait les narines. La chaleur qui se dégageait des lieux ne t’offraient qu’une froideur démesurée tandis que que tu éloignais tes cheveux ébènes de tes grandes billes craintives. Ces cheveux que tu détestais garder longs, ça ne te ressemblait pas, ça ne correspondait pas au petit garçon tentant de sortir de ses abysses. Tu observait les autres, ces étrangers à l’image même de tes parents qui te demandaient continuellement de rester tranquille. Tu ne ripostais pas, c’est une notion totalement absente de ton vocabulaire. Toi tu faisais seulement ce qu’on te demandait de faire. Quand ton père t’ordonnait de te relever après les paroles baroques du pasteur, tu t’exécutais, le suivant à la trace vers le bassin de l’eau bénite. Une substance translucide qui, selon ta mère, rachète tes imperfections, te purifie de toutes les tentations. Seulement, tu n’étais pas un pêcheur. Tu n’étais pas une abomination. T’étais tout simplement incompris et ce dieu tant vénéré s’est trompé. Oui, il s’est trompé en t’attribuant un mauvais corps dans lequel t’avais été prisonnier. Mais derrière les barreaux de cette enveloppe charnelle, il y a eu un semblant de lumière que tu as pu trouver au fond de ses prunelles claires. Teddie ou le synonyme d’une amitié naissante. Une union que tu pensais passagère et qui s’est révélée essentielle à ta survie. Si au début vos rencontres se limitaient à des petits regards timides et des conversations en micro syllabes, Chronos a fait en sorte de vous unir pendant des années entières à travers la technologie, derrière un écran vénéré. Tu trouvais ton salut dans ses mots, baume réparatrice, te poussant à oublier pendant un instant ta condition de l’être singulier que t’avais été. Tu parlais de tes journées, il te parlait de ses nuits. Tu lui communiquais ton amour pour les images mouvantes et il t’encourageait à continuer sur ta lancée. Sujets fort intéressants certes mais banals. Ce qui compte, ce qui compte réellement, tu n’en parlais pas. Honte, peur d’être rejeté comme une atrocité malsaine. La réalité est simple. Il connaissait Oria, la petite fille aux allures timides et adorables. Il l’avait côtoyé pendant des années entières sans se douter une seule seconde qu’elle n’a jamais existé et qu’Eden avait été là depuis le premier jour de ton existence.

Tu détournes la tête. La vision de l’église est bien derrière toi. Tu avances comme tu l’as toujours fait. Tu enfonces davantage les écouteurs dans tes oreilles et tu marches. Tes pieds sont fatigués à l’image de ton myocarde ratant un battement à la représentation qui se dessine devant tes prunelles. Ta maison ou disons plutôt, ces formes dessinant un lieu de vie dans lequel tu as grandi. Derrière ces fenêtres fermées, tu te revois silencieux, des larmes muettes rigolant sur tes joues rosées. Tu n’aimais pas cet accoutrement offert par tes parents. Une robe longue verte alors que ta soeur a hérité de la bleue. Tu la revois heureuse Avery. Elle tournait sur elle-même, tenant le tissu entre ses doigts graciles. Elle était contente de ce qu’elle portait alors que toi, toi tu refusais même de baisser les yeux sur cette texture te grattant la peau. T’aurais aimé porter ce petit costard cravate que t’avais préalablement pointé du doigt. Ce n’est pas une tenue pour une jeune fille, t’avait-elle dit, cette mère, cette étrangère à ta peine. Tu n’avais pas envie de sortir de la maison et aller à ce mariage. T’avais honte d’être un garçon habillé comme une fille. Tu n’avais rien d’autre à faire qu’engendrer cette eau salée tombant de tes prunelles suppliantes. Cependant, derrière l’incompréhension de tes parents, un sourire attendrissant s’était dessiné dans les horizons de ton mal être. Elle avait attendu qu’ils partent jusqu’à la voiture pour se rapprocher de toi. Pour s’agenouiller devant toi et entremêlés vos doigts ensemble. Avery était et restera ton havre de paie, ta résine rassurante. Tu sais ce qu’on va faire ? Interrogateur, tu l’avais regardé alors que elle, elle n’a jamais failli à t’offrir cet étirement de lèvres sécurisant. Tu viens avec nous et demain, on achètera le t-shirt que tu voulais. Deal ? Accepter de porter cette maudite robe encore une nouvelle fois. Accepter de faire plaisir aux autres en mettant en cage tes propres besoins. Encore une fois, une fois de plus. Silencieux, t’étais contenté de hocher la tête alors qu’elle t’avait pris dans ses bras. Avery t’as toujours pris dans ses bras et par ce simple geste, elle écrasait tes peines, te poussant à imaginer un monde meilleur. Une dimension dans laquelle tu n’avais pas à t’afficher dans un aspect erroné. Elle avait toujours compris qu’en réalité, elle n’avait pas hérité d’une soeur mais d’un petit frère. Et si tu as eu le courage, quelques années plus tard d’affronter la société, de barrer les conventions conformistes pour être toi-même, c’est grâce à elle. La clarté de tes ténèbres. Elle t’avait épaulé et elle avait fait en sorte que tu embrases enfin la personne que tu es. Tu as pu voir l’amour que tu quémandais dans la profondeur de ses yeux azurés, au fond de ses bras rassurants, dans chaque mot quittant son palais. C’est elle qui t’a serré la main alors que vos pieds vous ramenaient vers le cabinet du psychologue. C’est sa voix qui s’est mêlée à la tienne lors de ta première injection de testostérones. Oui, cette jeune femme t’avait redonné le sourire, avait guéri tes blessures les plus accablantes. Elle t’avait appris à être plus confiant, à aimer ta vie, à apprécier cette chance que tu as d’avoir une femme si brave et aimante à tes côtés. Quand tout avait bousculé, Avery n’avait jamais lâché ta main au contraire, elle avait serré tes phalanges te promettant une seule et unique réalité ; jamais elle ne te laisserait tomber.  

Maintenant, là, tout de suite, cette maison est un spectre de ton passé. Une ancienne prison de laquelle tu t’es enfin libéré. Tu reprends ta marche et tu ne regardes pas en arrière. Plus jamais. Ton avenir est devant toi, ta transformation est au seuil de cet établissement devant lequel tu t’arrêtes et tu souris. Tu souris tellement Eden. Si tu es là aujourd’hui, c’est pour une dernière visite. Tu as préalablement fait toutes les procédures pour t’emparer enfin de ta réelle identité. Tu as fait du chemin Eden pour en arriver là. Pour changer de derme et renaître de tes cendres. Pour enfin avoir le corps dans lequel tu devais être dès ta naissance. Ce n’était pas facile non, pas du tout. Ta mère avait été effondrée et ton père fatalement enragé. Qu’avaient-ils fait de mal, t’avaient-ils répété comme si leur peur a fini par éclater au grand jour. Comme si leurs espérances de te voir accepter ton corps de fille sont tombées en miette, croyant à une phase bientôt terminée. Pourtant ils savent. Tu n’as jamais été un garçon manqué. Si tu refusais de porter des robes, si tu as toujours aimé avoir les cheveux courts, si tu détestais qu’on te maquille, c’est parce qu’Oria n’était qu’une illusion si parfaite, si bien ficelée. Ils t’avaient laissé le choix, ce fameux choix méphistophélique. Soit tu renonces à la procédure, soit ils te renient. Un choix qui n’en est pas un en réalité. Une décision sur laquelle toute ta vie se repose. Accepter de plaire à tes parents ou quitter cette écaille mensongère. Tu n’as pas réfléchi Eden. Pour une fois, tu n’as pas pesé le pour et le contre, tu as foncé. Tu as marché vers la clé de te libération et tu as entamé le processus de changement de sexe. Tu te rappelles encore de l’angoisse que t’avais ressenti sur ce lit d’hôpital. Tu es prêt ? Tu lui as souri à Avery. Tu lui as souri comme si pour la première fois, tes lèvres s’étirent dans une réelle euphorie. Tu n’as jamais été aussi prêt de toute ta vie. Maintenant, ils te verront comme toi tu t’es toujours vu ; un garçon, un jeune homme. Tu soupires à ces réminiscences et tu entres à l’hôpital. Ils te connaissent dans ses lieux vu le temps que tu as passé là-dedans. Ils ont eu aussi témoigné ta métamorphose. Ils ont pu entendre ta voix changer d’une tonalité fluette à une beaucoup plus grave. Tes rondeurs n’existent plus, ta poitrine est telle que tu l’as toujours imaginé. Tu es enfin bien dans ta peau et ça t’a coûté des moqueries, du dégoût et un abandon. Seulement, tout ça est minime face à ton épanouissement personnel. Tu es venu ici pour récupérer ta dose de traitement hormonal, une routine dans ta vie de transgenre, pour le reste, tu es un garçon comme les autres. Tu travailles pour payer tes études et ton loyer. Tu côtoies des personnes comme toi, ayant clamé leur différence contre toutes les conséquences possibles. D’ailleurs ce soir, une amie à toi t’a proposé de sortir et même si tu as hésité au départ, tu as accepté loin d’imaginer ce qui t’attend dans ce bar. Loin d’imaginer que dans toute cette foule, une présence accoutumée te regarde, se demande si tu es celle avec qui il converse tous les jours. Si tu es cette personne à qui il a avoué ses tourments et ses aventures. Derrière ton air assuré, tu es terrorisé Eden et pourtant, tu fais un pas. Deux, trois jusqu’à arriver devant lui. Et de ta voix basse, tu murmures. Bonsoir Teddie. Est-ce le début ou la fin, tu l’ignores et tu comptes sur ton étoile pour te le révéler.