CRISSE DE FOLLE

( mais brûle, fais semblant d'être reine )

— c'est pas moi.
— moi non plus.
— fuck you rex, t'es un fucking menteur !
rex me crisse un coup de coude dans les côtes. sauf que rex est plus grand que moi, ça fait qu'il me cogne dans le sein. rex, c'est pas son vrai prénom. il s'appelle alexander. pis rex, c'est pas mon grand frère pour vrai, mais on fait comme si pareil. on a pas le choix, on est pognés l'un avec l'autre dans la même maison avec la même maman. elle a fini par nous forger presque pareil. nos deux papas ont crissé leurs camps. ils étaient pas ben méchants. juste trop enfants dans leurs têtes pour s'occuper de vrais bébés pleurnicheurs. faire des gosses et les laisser, c'est un peu comme faire du mac n' cheese et pas le manger. le laisser pourrir. forcément, faut pas rester à côté, sinon ça pue. j'hurle grand comme un vautour en croisant mes bras tout autour de moi et je bondis loin. les coups de coude dans les tits ça fait crissement mal. rex comprend pas ça, parce que rex a pas les seins qui poussent. maman me rattrape par le bras et me replace à côté de lui. elle joue au jeu des dix milles différences. c'est facile de les spotter. on se ressemble fucking pas, rex et moi. lui c'est un sapin, moi je suis un palmier et j'ai un cœur de palmier. on a l'écorce pas pareille. mais dans le fond, ça veut rien dire toutes ces sortes d'arbres. si on nous épluche, on est jumeaux. en face de maman, on dit plus rien. on sait qu'elle va partir dans un dédale de gronderies confuses, que ça va passer du linge mal rangé, aux poubelles qu'on a oublié de sortir et qui vont rester derrière sur le porche pendant encore une semaine. ça a pas rapport avec la bouteille qu'elle a trouvée dans une des chambres, mais elle aborde jamais le sujet. elle aime mieux les quêtes secondaires.



— et j'ai réussi à avaler, hier soir ! c'était-
— ON S'EN FOUT, JANET.
janet me regarde mal derrière ses lunettes gucci plus grosses que sa face. fucking face de boeuf. janet et moi on était amies à un moment donné. elle me prêtait ses colliers brillants et ses chaussures chères à talons hauts que ses parents lui achetaient à toutes les semaines. mais une fois, j'ai sali ses talons en jouant au foot. maintenant, j'ai appris la leçon, je mets des vieilles baskets et je crisse les pieds sur mon bureau en me balançant sur ma chaise. janet et moi on se parle plus que pour s'envoyer des vacheries. mon beuglement a fait réagir le prof amorphe assis à son ordi. il a levé vite fait les yeux, mais généralement, il checke son porn en mode silencieux, il s'occupe pas ben ben de ce qu'il se passe. je me replace sur ma chaise. les pattes du devant claquent par terre quand je repose les pieds au sol. les histoires de cul de janet, c'est tous les jours depuis le début de la semaine. on est presque quarante dans la même classe à cause des coupures de budget et on est quarante à plus pouvoir blairer janet.
— t'as quelque chose à dire, remie ? tu sais comment avaler, toi ?
elle se croit smart avec sa réplique de conne.
— ça m'intéresse fuck all. par contre, toi t'as l'air ben bonne là-dedans. faque fuck off sinon c'est mon poing qu'tu vas avaler.
c'est rex qui s'occupe de moi quand la direction appelle à la maison pour dire qu'il faut venir me chercher. il arrive avec un sac de glace pour mettre là où j'ai mal. c'est quelque part dans la face la plupart du temps. il dit pas à maman que c'est moi qui pars les batailles. il dit que c'est parce que j'suis tombée en pilant sur le ballon dans la cour de récré que j'ai les yeux beurrés de croûtes de sang. rex et moi on se protège comme on peut. on est comme des frères loups. on est des arbres et des chiens sales.



je suis en crisse contre rex. en crisse contre le monde. mon taux de teen angst a sauté jusqu'au plafond. fuck. fuck fuck fuck. dans la cuisine, je me balance d'un pied à l'autre, la tête baissée. il me parle comme s'il était grand, tout d'un coup. petit buisson devenu fucking gros peuplier. ça lui va pas cette fausse allure adulte. c'est pas son genre de vouloir déménager, de faire ça dans le dos de maman, dans mon dos à moi. fuck, c'est quoi ça déménager ? ça existe pas quand t'es pogné ici sans argent. je le regarde plus. j'aime mieux regarder mes pieds. mes orteils crispés sous les chaussettes dépareillées. je sacre le camp dans ma chambre avec des gros pas. je lui écris que je l'aime en morse. je lui ai pas dit au revoir. engueulades au petit matin. maintenant je me trouve conne. j'vais faire un tour de bus pour me calmer et je reviens, je me mets en colère contre maman, je fais des gros pas jusque dans mon lit. je tourne en rond, la couverture toute mêlée dans les jambes. ça me gosse d'avoir le chaos dans le corps. toujours en crisse contre tout le monde. rex me manque.