bad day, dark night. (nikos)

Un jour de plus ou plutôt, une nuit de plus, durant laquelle il va falloir travailler. Piétiner des pieds derrière le comptoir. Adresser de larges sourires à de parfaits inconnus complètement ivres. Faire les yeux doux aux beaux jeunes hommes pour qu'ils consomment davantage. Faire semblant de ne pas être blaser lorsqu'un relou vous drague sur vos heures de travail. Balancer des hanches au rythme de la musique pour gagner la table tout au fond de la salle afin de servir les clients. Les clients chiants qui n'ont pas compris qu'afin de vous économiser, ils feraient mieux d'occuper les tables près du bar. Tout le monde s'en fiche de toute façon, de votre santé, de votre bien-être. Telle est la société de consommation dans laquelle vous vivez. Un monde égoïste, égocentrique qui use un peu plus chaque jour. Tant pis. Les lèvres de la demoiselle s'étirent lorsqu'elle aperçoit sa collègue franchir la porte d'entrée. Ce n'est pas à elle de fermer la boutique ce soir. Travailler jusque tard dans la nuit n'est pas un problème. Croiser des types bizarres sur le chemin du retour la désespère toujours autant. C'est plus le fait de ne pas avoir assez d'heures de sommeil au compteur qui pose soucis ces derniers jours. Alors Inès, elle cherche pas à comprendre, à batailler ou à discuter. A la place, elle trace vers l'arrière boutique, dans la réserve afin de récupérer sa veste en cuir. Elle va pouvoir se tailler. Respirer l'air pur de la nuit. Admirer les étoiles en réfléchissant à l'avenir. A ses désirs et ses rêves oubliés. Mais voilà, les choses ne se déroulent pas toujours comme on l'espère. Certes, elle aurait pu appliquer ses plans la jolie brune or, un élément perturbateur s'ajoute au tableau. La silhouette du boss apparaît dans son champ de vision. Elle n'est pas là depuis longtemps la gamine. Quelques jours, quelques mois. Elle n'en sait plus rien. En tout cas, il est rare qu'elle le croise Nikos. Ça, c'est une certitude. Il a une mine affreuse. Un teint livide. Des yeux explosés ou rougies, peut-être même les deux. Et puis, il a un verre à la main. Ce n'est pas elle qui la servit. Du coup forcément, elle se demande à combien il en est. Elle fronce légèrement les sourcils. Est-ce que ça se fait ? Sans doute pas. Haussement d'épaules. Courte hésitation. Finalement, elle se lance à sa rencontre. Hey, salut ! Ce n'est surement pas comme ça qu'elle devrait le saluer. Sans doute faudrait-il y mettre plus de forme. Sauf qu'elle sait jamais vraiment comment on fait Inès. Ce n'est pas son truc, discuter. Du moins, elle discute lorsqu'on l'y invite.

C'était peut-être ça le plus alarmant. Ce désintérêt soudain pour le Roaring Lion, lui qui tenait le bar à bout de bras depuis qu'il avait officiellement hérité de ses parts à vingt et un an. Lui qui s'occupait de faire les comptes, de gérer les arrivages, de virer ceux qui foutent le bordel et de s'assurer qu'ils sont dans le verre. Le Lion c'était toute sa vie, sa porte de sortie, son échappatoire et sa prison en même temps. N'importe qui cherche à la trouver sait qu'il est ici. Et pourtant ça fait un mois que Nikos a déserté le comptoir. Le temps de recruter deux serveuses pour venir en aide à Deva qui commençait à en avoir marre de tout se taper toute seule. Paradoxalement depuis la mort de Cece, la fréquentation du Lion avait augmenté. Sans doute une sorte d'effet kiss cool morbide. Mais Nikos n'est pas là pour compter les billets verts qui s'amoncellent dans la caisse. La seule chose qui l'intéresse c'est son bon vieux potes Jack Daniels et de temps en temps Gemma, quand son cerveau embrumé parvient à murmurer autre chose que le nom de Cece. Le soulagement de la vengeance n'a pas le temps de l'étreindre entre les volutes de l'alcool, le fait est qu'il ne trouve le repos que dans le fond de son verre couleur ambré. Depuis que le meurtrier de sa meilleure amie a expiré son dernier souffle sous la pression de son avant-bras, le grec a du mal à trouver le sommeil. Alors il hante le Lion comme un fantôme dont les chaînes raclent le sol. Quand l'heure de la fermeture approche, il descend dans la réserve, met un peu d'ordre. Il n'est pas encore prêt à se confronter de nouveau à la routine pourtant presque rassurante qui l'attend de l'autre côté de la porte. Mais il a décidé de se remettre bientôt pour elle(s), il s'est donné jusqu'aux prémices de l'été pour réussir à respirer de nouveau normalement. En attendant il s'envoie du 'sky entre les caisses de bière et les affaires entassées des serveuses. Il est en train d'accrocher leur planning sur le mur quand une fait son apparition. Un prénom français, des grands yeux et une crinière chocolat incroyable. Il avait hésité à l'embaucher parce qu'elle lui rappelait un peu trop Mila. Et trop penser à Mila c'était clairement la dernière chose dont il avait besoin. C'est peut-être pour ça qu'il a tendance à fuir la jolie serveuse, à tout sous-déléguer à Deva. Mais elle est là et l'interpelle. Nikos se doute bien que sa gueule de zombie alcoolique slash fresh murderer n'est pas franchement un tableau très dépaysant par rapport à ce qu'elle voit de l'autre côté de la porte de la réserve. Nikos n'a jamais tant ressemblé à ses clients. Salut, alors comment ça se passe là-bas ? Il se doute qu'elle doit trouver étrange qu'il ne soit jamais derrière le comptoir. Il est quasi-sûr que Deva lui a chuchoté qu'il traverse une passe difficile ou un truc du genre. Un putain d'euphémisme en comparaison du gigantesque bourbier qu'est sa vie actuellement.

Ce qu'elle a entendu la jeune femme, le boss est présent. Souvent présent même. Il tient à son bar comme à la prunelle de ses yeux. Inès, elle l'admire en secret pour cela. Sans doute parce que de son côté, elle n'a jamais rien eu à quoi s'accrocher. Alors, elle n'a pas hésité une seule seconde et elle a tenté sa chance. Elle aussi désirer participer à quelque chose de grand, quelque chose de beau. Ou alors, juste faire partie d'un autre groupe que celui de son oncle. Un groupe plus fiable. Quelque chose de légal et de vrai. Pas un de ces groupes qui s'en va en poussière, qui se détruit à la moindre difficulté. Inès, elle veut travailler dans quelque chose de vrai, avoir un véritable job pour assurer ses arrières. Et puis, elle veut montrer qu'elle est douée dans ce qu'elle fait, peu importe ce que c'est. Inès, elle a été reçu. Elle a eu le job haut la main. Aujourd'hui encore, elle tente de faire ses preuves. Elle veut montrer à Nikos qu'elle est à la hauteur de ses attentes. Seulement Nikos, il n'est pas là. Il n'est plus aussi présent qu'avant. Ce qu'on a dit est à son sujet est peut-être faux. C'est ce à quoi elle pense la demoiselle en servant un dernier client. Normalement, elle devait finir dans quelques minutes voire même quelques secondes. Elle restera surement pour donner un coup de main si le besoin se fait ressentir. Elle gagne donc la réserve afin de récupérer sa veste et son regard se pose sur Nikos. Inès, elle était loin de se douter qu'il allait être présent ce soir mais, c'est justement au moment où elle pensait à lui qu'il est apparu. Tel un ange échoué. Les yeux rougis, sans doute par l'alcool. L'allure courbée, peut-être fatigué. Inès, elle imagine un tas de trucs or, elle voit bien que ce n'est pas le comportement d'un homme clean. La pression du poste ? Elle ne sait pas Inès et, elle hésite un instant. Est-ce qu'elle peut se permettre de l'accoster ? Après tout, il reste son patron. Elle prend tout de même le risque. Elle part à sa rencontre. Elle l'interpelle, sourire aux lèvres. Ouais, ça se passe super bien. Et Deva est géniale avec moi. Elle hoche la tête positivement pour appuyer ses propos. C'est vrai qu'elle n'aurait pas pu rêver mieux comme équipe. Ils sont tous présents et prêts à l'aider en cas de besoin. Inès, elle ne sait pas trop s'il parle de son intégration, des clients ou de la soirée en cours mais, elle tente de trouver la réponse la plus adaptée. Elle s'empresse aussi de rajouter, peu sûre d'elle : Merci, pour le job.

Nikos n'est pas un boss comme les autres. Ses débuts comme co-gérant du Lion ont été catastrophique. Aucune autorité, les gens réclamaient Stavros Senior. Le bar était dans un état lamentable quand il avait officiellement hérité de ses parts. La clientèle était constituée à 80% de repris de justice, d'ivrognes et de connards mal fagotés. Le reste correspondait à la jeunesse perdue de Crescent qui avait compris depuis longtemps que le patron n'était pas très regardant sur qui consommait de l'alcool dans son bar. Ca aussi ça avait changé avec l'arrivée de Nikos, finis les mineurs qui se torchent à la Tequila au comptoir. Il ne tenait pas franchement à ce qu'on lui ferme boutique alors qu'ils avaient des dettes colossales. Aucun doute, le Lion n'était pas un bar lounge branché fréquenté par les hipsters du quartier mais il avait le mérite de tenir encore sur ses murs. Le chiffre d'affaire avait augmenté depuis qu'il avait promu Deva manager et c'était sans doute sur cette idée qu'il s'était reposée lorsque sa vie avait volé en éclats et qu'il avait perdu pieds. Le soir où il avait étouffé jusqu'à la mort le mec qui avait descendu sa meilleure depuis. Depuis y'avait plus grand chose de pareil mais Nikos savait qu'il ne pourrait pas éternellement fuir le Lion. Déjà parce qu'il habitait juste au dessus, mais aussi car il devait garder les reines du business. Et ça commençait par entretenir des bonnes relations avec ses serveuses, même si Nikos n'était pas le genre de patron à épingler le portrait de l'employé du mois et à distribuer des primes de Noël. La nouvelle recrue le remercie pour le job et Nikos s'esclaffe. Je sais pas si c'est un cadeau de bosser dans ce trou à rat mais ça a le mérite de remplir le frigo. Les clients t'emmerdent pas trop ? Hésite pas à venir me chercher en haut si y'en a un qui se montre un peu trop insistant. Certains ont les mains baladeuses et je veux pas de ça ici. Y'a eu assez d'agressions, crois moi. Deva savait gérer ses clients, mais certains étaient plus tétus que d'autres, depuis la bagarre qui avait éclaté au bar au cours de laquelle Nikos s'était fait poignardé en voulant séparer un groupe d'hommes, les clients du Lion était un peu moins belliqueux. Mais Inès était d'une beauté rare, sûrement presque aveuglante pour ces gros porcs d'alcooliques et nul doute qu'elle devait faire un sacré effet à tout ceux qui croisaient son regard. Tu rentres comment le soir à la fermeture ? La sécurité de ses serveuses étaient sa priorité, il était hors de question qu'il arrive quoique ce soit à l'une d'entre elle. Ca, il ne l'accepterait pas. Pas encore une fois.

Elle s'est pas vraiment comment se comporter avec son chef Inès. Faut dire qu'elle ne le connait pas vraiment. Certes, il l'a embauché mais après ? C'est rare qu'il traîne dans le coin et lorsqu'on le voit, c'est davantage du côté du client que du boss. Elle ne sait pas trop quoi en penser Inès. Ce ne sont pas des affaires qui la regarde. Pourtant, elle n'apprécierait pas le fait qu'il laisse couler la boutique. Ce n'est pas un job de rêve qu'elle a obtenu en travaillant ici mais, elle ne pouvait guère demander plus sans diplôme en poche. Elle faisait donc ce qu'elle savait le mieux faire. Elle servait des verres tout en écoutant les malheurs de chacun. C'est l'une de ses spécialités après tout. Surtout depuis qu'elle ne peut plus danser. Bref, tout ça pour dire qu'elle fait avec et qu'elle n'a pas franchement de quoi se plaindre. Les clients sont sympas, pour la plupart et l'équipe n'est pas trop mal, si on met entre parenthèses quelques éléments. En tout cas, Deva a été parfaite sur toute la ligne et encore aujourd'hui, la jolie brune sait qu'elle peut coûter sur elle si elle a le moindre problème ou une quelconque question. Du coup Inès, elle remercie Nikos pour le job mais lui, il ne trouve pas cela génial. Il lui demande comment ça se passe en haut, surtout avec les clients. La jeune femme esquive un petit sourire au haussant les épaules. Non, ça se passe bien et puis au pire, je sais me défendre. Ouais, elle préférerait se défendre par elle-même que de risque fermer boutique par sa faute. Inès, c'est le genre de filles qui s'est toujours débrouillée par elle-même et ce n'est pas aucune qu'elle va avoir besoin d'un mec pour se défendre. Ils ne sont pas méchants dans le fond enfin, j'ai connu pire ! Qu'elle préfère ironiser avant de se dire qu'elle en avait sans doute dit trop. Ça va ? Je veux dire, pour de vrai... Ouais parce qu'il a une sacrée mine quand même et elle ne voudrait pas qu'il lui arrive quelque chose de grave.

Depuis qu'un de ses employés s'était tapé Gemma, il avait du mal avec l'idée d'embaucher de nouveau un homme. Alors d'accord, ce n'était pas officiel entre eux à l'époque mais le fait est qu'Adam était parfaitement au courant de la nature de sa relation avec celle qui lisait dans les planètes. Un traumatisme minime comparé à celui qui le hantait ces derniers jours mais ça avait le mérite de lui avoir fait embaucher des nanas aussi belles que badass. Deva n'avait tari d'éloge sur Inès et c'était pour ça qu'elle avait passé la période d'essai. Contrairement à ce qu'il avait toujours été, Nikos n'était pas ce qu'on appelait un patron modèle ces derniers temps. Ses démons personnels avaient pris possession de son emploi du temps et les brèves apparitions qu'il faisait derrière le comptoir jetaient systématiquement un froid dans le bar. Les clients s'arrêtaient de parler ou se mettaient à chuchoter. Tous étaient au courant que la gamine qui jadis venaient boire dans leur verre et piquer leur cacahuète s'était fait descendre dans le hangar à quelques blocks d'ici. Tout le monde savait à quel point cette chipie brune aux yeux noirs avait compté pour Nikos. Qui aurait pensé que les alcooliques notoires de Crescent pourraient faire preuve d'autant de compassion à l'égard de celui qui remplissaient leurs verres. Nikos osait espérer qu'ils n'en profitaient pas pour malmener les serveuses et Inès lui confirma que tout se passait bien. Elle rajouta qu'au pire elle savait se défendre et à ses mots Nikos la fixa longuement. Croyait-elle vraiment à ce qu'elle disait ? Se pensait-elle invincible ? Le visage de Cece s'impose de nouveau à lui. Elle aussi se targuait de savoir se défendre, la dernière fois qu'il l'avait vu elle était allongée dans un cercueil. Je te demande juste de venir me chercher dès que ça commence à hausser le ton, un drame est vite arrivé dans ce quartier de merde. Il a envie d'un joint maintenant, n'importe quoi qui pourrait calmer ses nerfs. Il sait que son ton est dur, agressif et que c'est pas franchement le ressenti à idéal à donner à Inès avec qui il a pas eu beaucoup l'occasion de discuter. Son désespoir et sa rage sont visibles, puisqu'elle lui demande si ça va. J'ai... J'ai perdu quelqu'un d'important il y a quelques semaines. Et j'ai un peu de mal à m'en remettre. Et j'ai tué son meurtrier qui me hante maintenant, qu'il aurait pu rajouter en guise de version non censurée mais il s'abstient. Je suppose que Deva a du t'en parler, ça a fait les gros titres... Il n'a pas envie d'en parler. Il ne peut plus en parler. Ca lui rappelle trop de choses, trop  de moments difficiles. Il ne veut pas paraître faible ou susciter de la pitié, c'est vraiment la dernière chose qu'il souhaite. Surtout devant un membre de son staff. Mais je vais revenir, tôt ou tard faudra que je reprenne une vie normale n'est-ce pas. Son ton est las, résigné. Reprendre le Lion comme avant serait sûrement salvateur. Je t'ai pas demandé d'ailleurs mais... T'es originaire d'ici ? Tu rentres comment le soir après tes shifts ? Nikos savait que proies et prédateurs se confondaient à Night Falls. Aucun trajet était anodin. Encore moins sous le clair de la lune. Il était bien placé pour le savoir puisqu'il avait profité d'une ruelle sombre pour faire disparaître un corps.