de ronces et de tulipes.

( la tête tournée vers les étoiles )

(LARMES DE CROCO) La première fois qu'elle a vu son père pleuré, elle a eu envie de gerber. L’envie sortie de nul part, celle qui vous saisie en pleine gorge, comme pour vous étrangler. Serre. Serre. Serre encore jusqu’à ce que y’ait plus que le choix d’abandonner, lâcher prise, s’laisser couler. Un père ça pleure pas, normalement. Un père ça sourit, ça cogne dans les murs parfois, ça cri trop fort quand c’est ivre et ça embrasse sa femme avec possessivité. C’est comme ça qu’elle a toujours vu son père; fort, digne mais pas effondré. Là, sur la table de la cuisine, il avait l’air misérable, des relents du dîner de la veille serpentant encore dans l’air et une Maxym terrifiée cachée dans l’ombre du couloir. Son regard a coulé vers sa mère, s’arrachant les ongles à coups de dents féroces. Nerveuse. Maman était le calme incarnée avant ça, une sorte de force tranquille, l’égale de Papa avec toute la douceur qu’il lui manquait. Elle a pas compris tous les mots qui sont sortit de leurs bouches tremblantes, elle a juste saisi que le lendemain et comme tous les lendemains ensuite, ce serait la merde.

C’était calme à la maison. Si calme. Le papier peint vieillot lui allait, elle le fixait parfois, y dessinait des moutons à la craie avant de les effacer brièvement pour que sa mère ne se rende compte de rien. Les cris des voisins, chaque vie autour d’elle était son décor, stable. Pas une famille idéale pourtant. On a longtemps tue le départ précoce de la grande soeur, partit en road-trip, le coeur mis entre les mains d’un pseudo-rockeur qui sentait l’eau de cologne et les gitanes. Depuis, Maxym s’était promis de ne pas tomber amoureuse, ça avait l’air de rendre con puis aveugle et les roads-trips, c’était mieux entre amis. Maxym, enfant rêveuse, papillon, elle avait tout le temps l’esprit dans le brouillard, des étoiles pleins les yeux et des gentils mots sortit de nul part dans le silence qui planait parfois à la maison. Plus les années coulaient et plus elle sortait de son joli cocon pour devenir plus bruyante, fracassante sans être méchante, un lutin qui percutait les murs en glissant sur le carrelage encore humide du ménage, les fringues souvent écorchées de ses chutes à l’école, les cheveux emmêlés, ses boucles en laine de moutons qu’elle avait parfois, souvent, envie de couper. Maxym, d’enfant des nuages, elle est devenue gosse pleine de flammes, de la fouge à cracher, épuisant sa mère des phrases qu’elle crachait en salves discontinue, racontant ses journées sans même que ça intéresse qui que ce soit, des détails, beaucoup de détails mais jamais l’essentiel. Une routine s’est installée de son école élémentaire jusqu’au collège et ainsi de suite. Jusqu’à ce que ce fameux soir. Papa, en larmes, sur la table de la cuisine.

(DIVINE IDYLLE AVEC LA NUIT) Elle sait jamais ce qu’elle doit répondre quand on lui demande ses ambitions futures. Peut-être que les gens trouvent ça étrange ou trop idéaliste. Pour elle, c’est simple, c’est clair, elle deviendra détective privée. Elle s’écorchera la tête pour des affaires qui semblent impossibles à résoudre, fera triompher la justice et ramènera l’honneur dans un pays qui porte le poids d’années lourdes de crimes. Jolie utopie que sa mère a abandonnée de lui enlever. Elle l'encourage, pensant que ça passera, lubie d’enfant vorace. Maxym reste sur ses positions, plus convaincue que jamais que c’est le chemin qu’elle doit se creuser, sans rien lâcher. Même si maintenant, elle claudique, tombe, trébuche, dans sa tête, sa voie est toute tracée.

(REVENGE) Le couperet est tombé le jour où elle s’est fait pousser des ailes, avec l’impression furieuse d’être capable de venger sa famille. Elle a vu l’Enfer s’infiltrer dans leur foyer, pourrir plantes, nourritures et sourires. Ses parents ne rient plus avec autant d’entrain qu’avant, essaie de se peindre de la joie sur les lèvres alors que Maxym n’a plus envie de faire face à leur peine, détourne parfois les yeux pour ne pas voir les larmes au bord des fenêtres qui servent de prunelles à sa mère, ni les rides d’amertumes qui ce sont creusées sur le visage de son père. Elle lui en veut, autant qu’elle en veut aux autres. A ceux qui ont raflés le bonheur de sa maison pour l’emporter. Elle hait l’argent et tout ce qu’il amène comme emmerdes avec lui. Y’a deux années de ça, elle a prit les reines d’une mission qu’elle s’est donnée toute seule, suivant des corps maudits et aux âmes affreuses dans les bas-fonds d’une ville qui semble parfois tellement belle de l'extérieur, faisant oublier que sans ombres, il n’y a aucune lumière. Son appareil photo à la main, elle se figeait dans le noir pour fouiller, fouiller, poser parfois des questions aux mauvaises personnes, jouant l’enquêtrice comme une enfant sauterait sur une marelle, avec l’inconscience du piège dans lequel elle avançait. Stupide, naïve, inexpérimentée, elle a foncée tête la première dans le trou qui allait se refermer sur elle. Des mois à chasser le gibier sans se rendre compte qu’elle était devenu le repas principal. Une nuit avec son père, le moteur de sa voiture en fond sonore, elle est brutalement devenue aveugle, des phares dans la gueule, des hurlements avant le grand choc. La ferraille crispée et l’inconscience pendant des semaines. Ses yeux ce sont finalement ouverts, pour la laisser brutalement retomber en Enfer.

(CŒUR DE ROBOT) L’effet d’un immeuble qui s’effondre. Les échafaudages craquent, se pètent, explosent, font couler le béton en énormes morceaux et révèlent un néant bordélique. C’est comme ça qu’elle a tout ressenti pendant des jours. Maxym s’est lentement éteinte, murée dans son silence de mort, fixant toujours le même point de sa chambre d’hôpital. Une moitié de sa jambe gauche s’était barrée, sûrement plus utile dans un frigo qu’attachée à son corps. Elle a maudit le monde entier avant de se maudire elle-même. La culpabilité s’est attachée à son cœur comme un cancer, l’empêchant de parler et de respirer convenablement. Malaise sur malaise, alimentation chaotique,ses parents ont vus leur enfant appuyer sur le bouton off pendant des mois. Elle a à peine tournée les yeux vers sa grand-sœur, revenue de son road-trip amoureux. Elle a entendu ses mots, les a enregistrés sans répondre. Des gens sont passés, certains lui ont fait relever les yeux une seconde, d’autres ce sont simplement lassés et ne sont plus jamais revenus. Gosse de 16 ans qui n’a plus voulu voir le soleil jusqu’à ce qu’un déclic se fasse. Elle l’expliquera pas, évite de repenser à cette période où tout lui semblait nuageux, perdus, de la cendre coulant entre ses doigts et le temps si long. Elle a juste espérée quand on lui a proposé de lui faire pousser une “seconde jambe”. Même si c’était pas la sienne, même si elle ressemblerait à la moitié d’un robot et que marcher deviendrait un sport pendant quelques temps, elle a dit oui sans réfléchir, ses parents ont suivis, peu importe le prix que ça pourrait coûter. Six mois de plus et on pouvait entendre son pas irrégulier résonner dans les couloirs de l’hôpital.

(SANS NOM) On parle d’amour, elle vous parlera de passion. Celle qui vous décroche les tripes et vous empêche même de manger. Elle s’est nourrit de ses sourires à la place, de ses mots, même de ses regards, soupirant presque à chaque fois qu’elle pouvait le croiser dans le hall de son collège. Elle l’a idéalisé, vu comme un prince, le mec parfait sur qui tout le monde pose son regard, qu’on imagine être l’élu autant que l'inatteignable. Le crush a duré des années, des siècles il lui semble quelques fois, agaçant les amis dont elle s’était entourée, s’attirant les moqueries des filles qu’elle admirait de loin. Ce n’était un secret pour personne et elle n’avait pas honte de l’aimer. Sans-nom n’a pas de blase, elle ne prononce jamais les lettres qui composent son prénom, même dans sa tête, par peur de le faire réapparaître, par peur de chuter. Il a achevé de faire de son cœur du carbone, de la lasser de l’amour comme elle l’avait été quand sa sœur s’était barrée. Elle et lui, elle y a cru, longuement. Des centaines de sms échangés, des rencards qui la faisaient rêver, elle a cru qu’elle aurait droit aux rêves de cotons, elle a finit par vite percuter la Terre quand il a piqué sa première crise de colère. Il se calmait juste après, des excuses et toujours pas de coups envers elle. Jusqu’à ce que vienne les piqûres de clopes. Elle est devenue un cendrier vivant pour lui, il lui murmurait qu’il lui tatouait son amour, sa possessivité, elle acceptait en retenant ses cris, pleurant dans son silence. Quatre mois épuisants avant qu’elle ne craque et s’échappe de son emprise, en se rendant compte, douloureusement, qu’elle n’avait jamais aimé qu’un monstre avec un joli sourire et une voix en velours. A partir de là, il n’est devenu que Sans-Nom, emportant avec lui les poussières d’espoir d’une gosse trop fleur bleue.

Ensuite est revenue le soleil et l'enfant intrépide, courant les tulipes, passion étrange, marchant sur les pas de sa vengeance, riant au nez des passants, cherchant la vie où la mort est passé quelques fois, dans la beauté ou la laideur, elle cherche.