VIVI & REED - Garde à vue

Garde à vue
@Vivi Margoton & Reed Taylor



18 heures.

Tu viens de finir ton service et t'as une dalle pas possible. Dans la salle de pause, tu prends le pique-nique que quelqu'un de l'équipe de nuit vient de laisser au frigo et en fais le tien avant de te diriger vers le couloir qui fait face aux cellules de garde à vue. Peut-être la seule chose que tu aimes dans ce bled pourri : des cellules à l'ancienne, digne d'un film de cowboys, pas ces conneries de portes en plastique qu'on utilise à Chicago. Tu aimes manger en regardant les bêtes aboyer derrière de vrais barreaux, cela te rappelle pourquoi tu fais ton métier, pourquoi tu te coltines des collègues aussi cons que procéduriers. En te voyant passer, l'un d'eux te dit de ne pas exciter les suspects, qu'il n'a pas que ça à faire de les entendre grogner. Il n'a vraisemblablement toujours pas compris que tu t'en fous complètement qu'il passe une garde de merde. Tu ne le fais pas spécialement pour l'emmerder, tu le fais pour ton plaisir. Ici, avant de rentrer chez toi, tu t'accordes une visite au zoo.

Ceux que tu as toi-même enfermés jouent bien leur rôle, se mettent à gueuler tandis que tu avances en mangeant sous leur nez. Ils n'ont rien avalé depuis la veille, tu as donné l'ordre qu'on les affames. Plus il y a d'agressivité en eux, plus leur vrai nature se révèle ; l'état de nerf idéal pour un interrogatoire. Les connards violents, tu te fais toujours un plaisir de leur casser la gueule à coups de chaise. Ce sandwich est putain de bon ! Probablement un truc vegan, préparé avec amour par une nana auprès de laquelle tu accuseras un collègue à ta place, feras-les yeux doux ou la baiseras pour t'excuser. Gagnant-gagnant. Rien ne se passe jamais mal dans le monde de Reed Taylor : il n'y a que des adaptations aux situations, beaucoup de réactivité et un peu d'opportunisme.

Dans la dernière cellule flotte un visage qui t'est inconnu. Tu t'arrêtes à sa hauteur, observes l'occupant en silence puis t'assieds face à lui, à bonne distance de la grille pour éviter les crachas (on l'apprend d'expérience). Qui t'a foutu dans la cage ? Drôle de question, mais tu sais très bien ou tu veux en venir, c'est le principal.

(tu t'es fais arrêter!) la dalle. la faim. le truc qui grogne au dessous d'ses seins. elle gigote à droite à gauche. ses mains se posent sur son ventre. trop de temps sans bouffer. ça lui fait bizarre. ventre qui déambule dans les rues de sa ville. l'habitude de manger à sa faim. l'habitude d'avoir toujours un truc à grignoter dans le fond de son sac à main. des barres chocolatés. des miettes toujours bouffables. un truc qui croque sous la dent. elle a pensé à se ronger les ongles, histoire de remplir l'estomac qui crie famine. burk. miss vivi, pas trop princesse, mais y'a des limites qui casse la crise. elle tente d'ignorer l'avachis en face. deux grilles les séparent. mais il l'a fixe. vivi, qu'est-ce qu'elle fait là. vieux porc à la peau calciné. il s'est fracassé la tête contre son pare-brise, ou bien l'homme (ou la femme tsais jamais) qui lui a fait ça woa. chapeau. balaise. elle discerne à peine son regard avare. le genre de mec à lui demander son 06 ou une ptite pièce entre deux briques blanches. elle sens son alcool et l'humeur fétide d'ici. un pas de plus et un crachas serait à éviter. vivi elle se courbe pour rester dans son coin. rien à foutre d'être là. une garde à vue qui va bientôt se terminer.

elle a déjà usée de sa voix. à gueuler aux passants que s'est pas sa faute. il n'avait qu'à pas griller la priorité. ouais elle s'emmêle les pinceaux de la réalité à son imaginaire. l'invention d'une nouvelle vie. vivi dans son monde. elle gambade le sourire aux lippes. là elle le porte pas. fait chier. la dalle consume son humeur. elle reste au fond. ses cheveux blonds qui cache la moitié de son visage. lui faut un style gansta pour faire fondre les bonhommes. ces durs à cuire. ces types qui l'ont bien matés quand elle roulait du cul dans le couloir. ils auraient jamais crachés sur un aussi beau visage. sur un aussi beau cul. elle avait tenté la technique du stylo qui tombe à terre. elle se demande si elle en ressortira vivante demain. garde à vue interminable. elle voudrait rentrer. se doigter. embrasser son père sur la joue. cheers pour son équipe de poussin trop choups. boire une bière avant de recommencer sa journée.

la ola semble à l'héritage. ça gueule. ça gueule. ça crache. ça rigole. ça gueule. ça gueule. et vivi, elle attend son paquet de kinder bueno. ça arrive vers elle. elle s'apprête à lever haut les bras en gueulant le plus fort possible. viva brasil, qu'elle pense. son excitation retombe. pas de maillot de foot. pas de chant patriotique. pas d'entrée fracassant. juste un vieux pivots qui se pointe. la reluque de haut en bas. check-moi ces seins fraté, et il fait comme chez lui. petite chaise. petit sandwich en bouffe. la politesse semble lui manquer. pas de bonjour, pas de cc tvas bien? juste une question. elle crache un sourire. engagement de la discussion. vivi marque le deuxième but. un petit con qui a grillé la priorité à une vieille dame. la pauvre. à bord de sa 206, à ses côtés son caniche. elle braille, elle freine. j'ai cru elle allait lui rentrer dedans. il s'est pas arrêté. j'me suis jetée sous ses roues. m'voyez bien que, j'me suis quasi jetée sous les roues. je l'ai descendu. paf paf. trois petits coups bien placé. on m'dit que j'ai réagit de façon excessive. but like, who the fuck ya talking about? j'ai juste voulu sauver le caniche moi. j'ai rien fait d'mal. elle croise les bras sous sa poitrine -elle ajuste en scred son décolleté, histoire de se demander si ses attributs peuvent jouer en sa faveur. et j'ai la dalle sa race. fille du ghetto. fille de rien du tout. elle absorbe l'énergie de la pièce. ces vagabonds la transforme en fille agrafe. elle plante ses crocs d'un coup. et impossible de la retirer sans gueuler sur ses grands morts.

Garde à vue
@Vivi Margoton & Reed Taylor

Tu l'écoutes raconter son histoire comme un caïd raconterait sa dernière virée en Colombie. Elle a quoi ? Vingt ans ? Les bruits de mastication font que tu n'entends qu'un mot sur deux. Ton attention décline au fur et à mesure qu'elle te raconte ce qu'elle prêtant être son histoire. Tu as l'habitude de n'écouter que d'une oreille tant qu'aucune baffe n'est tombée. C'est bien connu, un coupable essayera toujours de se trouver des excuses s'il n'a pas conscience que celui qui se trouve en face de lui n'en a rien à faire de lui casser les dents pour entendre la vérité. Ce n'est que lorsqu'elle souligne qu'elle a faim que tu reviens dans la conversation, n'essayant même pas de cacher que tu n'as pas écouté la moitié de sa réponse.

- J'ai demandé qui t'a mise dans la cage, pas pour quelles raisons. Froid, distant, d'une franchise redoutable.

Des rires gras s'élèvent de toutes parts. Maintenant qu'ils se sont cassée la voix à te traiter de tous les noms, les charognards dressent l'oreille, preuve qu'ils ne te méprisent pas assez pour t'ignorer. Parfois, tu te surprends à aimer ça : te dire que l'autre en face ne peut pas t'encadrer mais qu'au moindre dérapage de sa part, c'est prison assurée. Car, s'il est vrai qu'on te laisse casser la gueule aux suspects sans rien oser te dire, il n'en va pas de même dans le sens inverse. Tous ici savent bien que frapper l'inspecteur revient à perdre toute chance de clémence auprès du jury. Sans te connaître, juste parce que tu portes son insigne, la Justice narcissique t'adore. Tu es l'un de ses enfants chéris, l'un de ses défenseurs et tant pis si tu te disputes un peu trop souvent avec tes frères. Maman a tellement d'enfants qu'elle ne se rend même pas compte que son Reedou est aussi mauvais que ceux qu'il arrête, qu'il est juste plus malin pour le cacher. La brute épaisse dont tout le monde sous-estime l'intelligence. Il n'en est rien. T'es pas con, t'as juste pas envie de le montrer. Quand on te pense con, on te pardonne plein de choses. Personne n'accepterait de laisser un sauvage intelligent manipuler une arme et avoir la permission de tirer à vue. God Bless America  !

(tu t'es fais arrêter!) son discours politique (sans aucune opinion sévère dans ses paroles) semble faire mouche. il mastique son sandwich. jette un drôle d'regard sur son visage. l'assemblée semble se foutre de sa gueule. elle en a maté des gosses. des gosses qui pensent qu'ils sont assez grands pour lui répondre de façon désobligeante. ils n'avaient pas plus de dix ans, mais elle les connait. ces regards foudroyants. les majeurs qui tremblent à être tendus. les jambes qui frétillent avant de se laisser retomber par terre en pleures. position fœtale sur la pelouse. il n'en a rien à foutre. c'est triste. ça laisse les mots de vivi en l'air. flottant à qui veux bien écouter ses mots. les avaler. les suçoter. les cramer. vivi qui délie ses bras parce que son décolleter n'aide pas. son joli visage se tend. son corps et son fessier semblent se ramollir en même temps que le sandwich disparait. atouts beautés pour plus tard. ses mots qui la cinglent. qu'on la foute au goulag ça serait la même (pas trop la même, voir pas du tout, mais un petit peu quand même).

les railleries s'élèvent. elle se croit dans une porcherie. les rires gras. les mains grasses. les corps graisseux. poisseux. ça pue le mâle en manque de femme. de maman pour les remettre dans le droit chemin. vivi se lève, impatiente de leur répondre. elle se colle aux barreaux. woah, dpuis quand ils ont pas été nettoyés??? elle s'en détache un peu du coup. elle fait passer ses mains à travers les grilles. majeurs tendus aux gorilles voisins. prête à leur péter la gueule. prête à les confronter sur une piste de course. ses yeux bleus tremblent sur son assaillant. foutue gamin. elle le voit comme ça. un pauvre gamin qui se joue de ses camarades. ceux avec des lunettes, appareils dentaires, acnés. et allez que ça pointe du doigt devant la tribue d'la cours d'école. j'en sais rien moi. c'était peut-être toi. ou un autre. une miette et je te répond. elle hausse un sourcil. qu'est-ce que ça peu bien lui faire. qui qu'il l'a foutue ici. elle réfléchis. sa mémoire flanche. sa mémoire brille. ah ouais, c'est vrai. sa patience atteint déjà ses limites. même pas dix secondes se sont écoulées. c'était un petit jeune. celui avec un cul bien moulé dans son uniforme. il te ressemblait pas. mais un peu quand même. des lunettes. un binoclard à la navaro. tu me files une miette, please ? les yeux doux. la main tendue. une pièce stp. une miette por favor. son ventre qui grogne. si elle ne se nourrit pas, c'est ses canines qui vont souffrir. elle se mettra à grogner d'elle-même. se pliant en quatre. cherchant un insecte à se mettre sous la dent. vivi, numéro de cirque. elle tape des pieds, comme si ça pouvait aider. t'as pas l'air complaisant, allez quoi. une miette. et j'me la ferme, frère. frère. d'où ça sort ça. des mots qu'elle utilise, parce qu'elle a entendu ça deux minutes avant. elle prend exemple sur ces mecs. ces sauvages. vivi voudrait juste manger, et promis elle s'excusera pour le jeune désormais castré.

Garde à vue
@Vivi Margoton & Reed Taylor

La voir fucker ses voisins à travers la grille ne te choque pas - tu as vu pire - à peine si ça t'amuse. Attentif, tu gardes le silence tout en la regardant faire. Des flics de ce commissariat sans âge, tu es celui qui parle le moins et qui frappe le plus. A croire que tu ne peux pas arriver quelque part en faisant partie de la norme rassurante, de la banalité qui fait que l'on ne parle pas de vous en salle de pause où quand les portes des bureaux sont fermées.  Elle insiste pour la fin de ton sandwich, tu regardes ce dernier d'un air qui ne laisse pas deviner si tu songes répondre positivement à sa requête ou non. Il faut qu'elle enchaîne en te faisant le descriptif de Connoly pour savoir qu'elle ne ment pas. C'est cette tête de gland tout craché : moulé dans son pantalon, retranché derrière ses culs de bouteilles. Doucement tu te lèves et t'approches de la gamine dans un silence pesant. Les autres vous regardent, prêts à s'outrer que tu lui accordes à manger alors qu'eux crèvent de faim de depuis des heures. Suffisamment loin pour ne pas te faire agripper par un détenu désespéré mais assez proche pour qu'il n'y ait aucun doute quant au fait que tu ne t'adresses qu'à elle, tu brandis ce qu'il reste de sandwich afin de capter toute son attention. Les besoins vitaux sont de bonnes sources de négociation. Boire, manger, pisser ... Les suspects n'aiment pas qu'on les prive de leurs privilèges. Certains plus que d'autres. Enfoncer la tête d'un type dans un seau rempli d'eau, par exemple, et vous verrez qu'il parle beaucoup plus vite que lorsque le seau est vide. Respirer, ça aussi, c'est vital.

- Est-ce qu'il t'a dit tes droits ? Sous entendu : répond, et tu auras à manger.

Cela fait des semaines maintenant que l'on te les brise à propos de tes rapports bâclés où de tes arrestations bourrées de vices de procédures. La vérité, c'est que la paperasses et les protocoles te gonflent, que tu n'as pas besoin de ça pour reconnaître un coupable quand tu en vois un et agir en conséquences. Ce n'est pas que tu n'es pas doué pour les papiers - quoique - c'est plutôt que tu n'as pas signé pour ce genre de corvées en choisissant l'insigne. Tu serais ravi de pouvoir répondre au chef qu'il ferait mieux d'aller faire réviser ses basiques à Connoly plutôt que de s'acharner à pisser dans le violon qu'est ton cerveau concernant l'administratif.

(tu t'es fais arrêter!) il commence à les lui briser sévère avec ses conneries de parole. elle en devient insultante. vivi insultante. l'habitude d'insulter lui viendrait de sa mère. sa mère aux hauts talons. à l'allure femme fatale. au volant, sa langue se déliait. vivi sur le siège passager. et allez que madame criait. elle insultait chaque voiture. chaque couleur. chaque passant. avec ce vieux sourire aux lèvres. un truc pas très carmin. un truc pas très fou de joie. vivi la gamine faisait les gros yeux, cachait sa bouche sous ses petites menottes. elle en riait. répétant à ses camarades quelques nouvelles insultes. toujours nouvelles. toujours toutes fraîches. sa langue se démange, se bouge, se forme, s'agrippe pour ne rien sortir à ce flic. flic pas très commode. il s'approche. une allure grisonnante de plus près; le sandwich succulent de très près.

une nouvelle question, vivi lève les yeux au ciel. bien haut. bien roulé. elle en lâche un soupir. elle se recule fait un ridicule rond sur elle-même. elle joue avec ses cheveux. elle se met à sourire. ça l'arrangerait bien qu'elle réponde. ça l'arrangerait bien qu'elle parle comme un moulin à vent. ça l'arrangerait bien qu'elle vienne cirer ses pompes tous les mardis. elles en auraient bien besoin d'ailleurs. j'en sais rien. elle a les mots simples. sévères. elle s'approche de la grille. positionne ses yeux dans les siens. un sourcil remonte. bah ouais, j'en sais rien. elle fait claquer sa langue dans un sourire. ça l'embouche un coin, qu'elle puisse pas répondre. elle se marre toute seule. la flicaille qui doit fumer de son côté. manque plus qu'il bouffe ce sandwich d'vant elle. ses épaules se trémoussent, ainsi que tout son corps. en vrai, je sais. je pourrais vous répondre parce qu'à c'que j'vois, ça vous ferais plaisir. hein, pas vrai qu'j'ai raison ? vivi rigole encore. un petit rire de fouine. un petit rire de gamine. elle cache sa bouche derrière sa main. allez viens, on va parler dans la salle d'interrogatoire. j'te dirais tout c'que tu veux mon chéri. et allez, en échange, un sandwich et un sourire de ta part. ses sourcils remontent et redescendent dans un rythme parfait. elle rigole toujours. vivi qui se trémousse. vivi qui sautille sur place. elle voudrait appuyer sur un bouton pour le voir transpirer. s'énerver. fumer des oreilles. j'te dirais tout allez. elle se penche un peu, baissant d'un ton. et j'te laisserais voir sous mon t-shirt. un clin d'oeil. un rire. retourné en primaire, vivi montre son soutif en échange d'un bien matérielle. combien de stickers de football avait-elle gagné comme ça ? une collection panini entière. vivi elle a faim. vivi elle en a marre. vivi elle est prête à donner son soutif contre sa liberté. vivi, elle est quasi prête à tout. quasi.

Garde à vue
@Vivi Margoton & Reed Taylor

T'es plus en service, mais t'as quand même tous les droits. Dans ce couloir digne de l'école du cirque, tandis que cette gamine te promettrait sa culotte pour sortir prendre l'air et manger un morceau, tu restes un inspecteur en heures supplémentaires aux yeux de tes collègues. Personne ici ne viendra se plaindre qu'un membre de l'équipe reste un peu plus longtemps après ses horaires de travail, même s'il s'agit de narguer les suspects. Il y a trop de dossiers pour ce que la ville donne comme moyens au commissariat ; pas assez de bras alors que les tiens sont si efficaces pour régler les problèmes. C'est peut-être aussi pour ça que l'on te laisse casser des dents comme d'autres joues aux billes.

Silencieux, tu étudies sa demande, pesant le pour et le contre. L'entendre tout dire serait un bon moyen d'emmerder ton collègue sur ses vices de procédures mais cela induirait de l'avoir sur le dos demain, lorsqu'il réalisera que la petite est déjà passée entre tes mains. Cette même petite qui te promet de te montrer ses seins quasi inexistants si tu l'entraînes avec toi en salle d'interrogatoire. Peu impressionné, tu observes son décolleté et sourit de coin. Pas de commentaires, mais le regard dit tout : elle n'as pas la carrosserie nécessaire pour te tenter. Des suspectes prêtes à tout pour se être relâchées, t'en as vu passé à la pelle. A Chicago, les toilettes du poste de police gardaient secret le nombre de pipes échangées contre un peu d'indulgence de la part de certains des représentants de l'ordre. Tu en as fait partie, à un moment, quand tu étais jeune et con et tu l'assumes. De toute façon, aucun flic coupable de ce genre de dérive n'irait balancer ses semblables. Le secret est un accord tacite lorsqu'il s'agit d'abus de pouvoir. Cette fille doit vraiment avoir la dalle pour mettre le doigt dans cet engrenage là ou bien elle ne sait pas que, si elle se fait prendre à jouer de ses charmes, toutes les fautes seront forcément retournées contre elles. Entre collègues, même qui se savent coupables d'avoir abusé de leur statut, il y a des solidarités qui ont la peau dure. Pour le bien commun, les suspects ont souvent tort ...

Tendant le sandwich à travers les barreaux, tu le lui laisses avant de reculer et de te reprendre place sur ta chaise. Comme c'était à prévoir, les autres enragent de voir qu'une poulette récolte plus de grain qu'eux, les pseudos coq de la basse-cour. T'allumant une clope tu la regardes manger tout en tenant l'équilibres sur les pieds arrière de la chaise. Pendant qu'elle graille, elle arrête de te casser les oreilles. Pour l'en remercier, tu lui fais cadeau d'un conseil : Ton histoire ne m'intéresse pas. Nuage de fumée, s'élevant en direction des néons. Tes dossiers te suffisent, hors de questions que tu ne mettes à pré-mâcher le travail des autres inspecteurs. Par contre, les pieds de la chaise claquent lorsque tu les reposes au sol, le buste penché en avant, les coudes sur les genoux et un bâillement que tu ravales entre deux taffes. Si tu veux pas qu'il te traite comme une pute lors de l'interrogatoire, je t'invite à revoir ta copie. Nouveau coup d’œil à son décolleté. Avec un con pareil, ça ne jouera pas en ta faveur. Un outrage à agent en plus de sa garde à vue, voilà ce qui l'attend si elle lui sort le même sketch qu'à toi. Connoly est bien trop coincé pour apprécier la farce comme tu l'apprécies en imaginant ce binoclard se vexer d'être allumé de la sorte. L'aplomb de cette gamine t'amuse parce qu'il laisse présager que, demain matin, ton collègue s'arrachera les cheveux avec elle.

(tu t'es fais arrêter!) vivi n'avait jamais posée un pied ici auparavant. faut dire que la taule, la flicaille c'est pas son truc. elle tourne autour. en courant, en sautillant, en skate, en vélo, sur les mains; en se demandant c'est quoi leurs problèmes. aux flics. aux méchants. cette ville en est pourri. faut l'dire. toujours un pouilleux au coin de la rue pour te proposer pilule magique sur pilule boulimique. elle s'aime à répondre que son truc, c'est les smarties (combien d'fois on lui a sorti du spasfon en échange de quelques centimes). ouais, elle fait une belle poire vivi. mais elle arrive quand même à comprendre. que le monde tourne autour de ça. de la méchanceté gratuite. du plus justicier au plus crapuleux. vivi elle fait partie de rien. elle s'assoit dans son coin et elle attend (ok, y'a des jours elle fait preuve d'héroïsme; cf. la petite dame et son caniche) mais ça n'se finit jamais bien. toujours une gommette qui se détache de son tableau d'honneur. elle dira rien à daddy en rentrant. elle n'a pas besoin de l'dire. il s'en rendra compte de lui-même. une soupe et au lit, privé de baiser frontal pour un soir. quelle vie, vivi, quelle vie.

elle se surprend à hausser les sourcils quand monsieur penche ses yeux vers ses deux cerises. elle les cache à coup d'main. ok, elle était pas très intelligente de pencher sur ce chemin là. après, il est pas dégueu non plus. mais quand même vivi. vivi qui fait le tapin, c'est du nouveau. pour un sandwich en plus ? pour un sandwich. elle crève la dalle. elle a faim vivi. elle a super faim. au bord du gouffre (qu'est-ce qu'elle joue bien la comédie, n'empêche). faut croire que sa technique fonctionne. son précieux qui passe à travers ses barreaux. ses doigts délicats qui touchent cette peau dorée. l'odeur du pain. des œufs mayo. une tranche de salade (faudrait qu'elle check si c'est pas rester entre les dents de monsieur) et un doux jambon fraîchement sortit du frigo. elle graille. de ouf. grande bouchée. crise minime d’épilepsie en savourant ce bien fait. elle ferme bien sa bouche quand elle mange. elle oublie les gorilles monstrueusement jaloux de sa chance. elle roule des yeux au ciel, relâche un bon dieu entre deux bouchées. comme c'est bon. si bon, mais si bon. vivi elle mange alors vivi, elle revient à la vie. pourtant en pas moins de dix secondes, elle avait déjà finit les restes. plus rien. plus rien à avaler. elle a déjà tout gobé.

la voix du bon samaritain reviens à ses oreilles. elle l'épouse du regard. pouah, qu'il était bon cet entremet malgré le goût salé de la cigarette froide de la flicaille. elle a tout mangé vivi. et c'est pas le moment de faire réclamation sur la nourriture d'ici. vivi retourne à sa place, alors que l'autre ouvre sa bouche un peu plus. assise sur son banc de fortune, elle cache son sursaut similaire aux pieds claquant d'la chaise. il ose checker ses bouts cerises à nouveau. la vivi n'est pas moins à l'aise, son sandwich l'ayant remise d'aplomb. faire la fête toute la nuit, elle pourrait. ton collègue, il est moins séduisant qu'toi. avec ses lunettes et ses boutons d'adolescent, jamais j'aurai proposé un truc pareil. t'es malade toi. assise en tailleur, on pourrait voir vivi sortir des quartiers chauds d'la ville. sa voix matraque, ses mots délicats, vivi c'est une toute autre femme. mais y'a un truc qui cloche. c'est son sourire. son beau sourire. ses dents blanches, malheureusement tâchées par une feuille de salade ridiculement posée sur sa canine droite. elle perd de son charme, elle perd de sa posture. mais vivi reste vivi. on viens quand même la chercher quand il s'agit de sprinter après les voleurs. t'sais combien de temps j'vais encore rester ici ? non parce que, demain matin j'ai cours avec mes poussins. j'peux pas arriver en retard, ils savent toujours pas s'entraîner tout seul. en toute circonstance, les poussins d'abord. puis wesh, tu peux pas m'faire sortir toi ? j'ai rien fait d'mal. tu papotes gentillos avec ton collègue, tu lui dis que j'suis une meuf trop sympas et bam. on sort discretos toi et moi par la porte de derrière. c'est pas possible ça ? elle regarde trop de série policière vivi. de trop. faudrait qu'elle se calme. sur ça, et les sucres. encore trop excitée pour passer une nuit paisible.