cocktail molotov ☾ ryker

Ca fait l’effet d’une bombe lâchée dans les eaux sombres de sa tête. Ca dégouline par endroit sans pourtant jamais quitter le bord du gouffre que son ses yeux, si noir qu’on pourrait la croire aveugle du monde qui l’entoure, méprisant la réalité pour se perdre dans ses souvenirs devenus chimères. Les paroles qu’il lui balance en rafale sont des balles qu’elle n’arrive même pas à esquiver mais qui la laisse plus sonnée encore que ne l’a fait l’alcool ce soir. Ses yeux figés devant elle, elle écoute les mots lui couler dessus et brûler le coeur déjà racorni dans son lit de chair. Ses ongles se plantent dans la pulpe de ses doigts, comme pour la forcer à rester rationnelle, à ne pas devenir grenade et se dégoupiller devant lui et que tout sorte en un seul coup, salves de larmes d’hystérique ou vagues noires de colère. Elle ne sait pas, elle ne sait plus grand chose, finalement. “Tu … Tu m’as quoi ?” Et c’est la première fois qu’elle s’entend balbutier, ferme un instant les yeux pour retrouver une contenance qu’elle a finit par détruire quelques minutes plus tôt pour mettre à égalité la franchise dont il fait preuve envers elle. Sa voix et ses paroles auraient pu être un paradis à l’époque où elle quémandait encore férocement qu’il lui parle et cesse de quitter la maison pour se perdre elle ne savait où. Maintenant, elle imagine fortement bien les bras et les soupirs échangés, toute la liberté dans laquelle il se perdait pour se soustraire à elle, sa présence, sa femme. Elle prends toute la réalité en plein corps, tombe comme du plomb dans le ventre pour se souvenir de tous les mots crachés dans des élans de haine envers lui et ses absences, tous les pleurs lâchés dans le noir d’une chambre refroidie par le chagrin. Elle a détruit son mari et son mariage, l’a piétiné sans même s’en rendre compte. Ca ne l’empêche pourtant de continuer à s’enrouler dans ses mensonges, dans son déni aussi puissant que son amour pour sa fille à refuser la vérité qu’il lui fout sous le nez sans la ménager. Elle n’en a jamais eu besoin. Elle ne s’effondrera pas, elle ne s’est jamais effondré. Nephtys se pense faite de marbre, incassable, une pierre qui ne s’effrite même pas un peu alors que toutes ses fondations sont déjà faites de poussières.

Le changement de ton lui fait brutalement tourner la tête vers lui. Elle ne sursaute même pas, l’effet de l’alcool descendant peu à peu pour que l’ivresse de sa détresse prenne sa place. Nephtys se tait, écoute, pour la première fois, sans interrompre, digérant toujours difficilement l’aveu fait plus tôt. Au bord des lèvres se bouscule des bribes de mots qu’elle ne sait pas comment mettre les uns à la suite des autres et elle le déteste un peu plus de la rendre à son état de mère pleureuse, de femme aveuglée. “Je n’ai jamais voulu le divorce. Ce que je voulais c’était mettre un électrochoc, peut-être.” un rire nerveux semblable à un souffle brutalement relâchée lui échappe, l’ombre d’un sourire contenant toute son amertume s’imprégnant de ses lèvres “A vrai dire, je ne pensais pas que tu aurais signé les papiers.” détournant la tête, elle essaie de ramener en elle tout le calme dont elle est capable sans y arriver, essaie encore et encore, perdue dans son silence avant qu’il ne soit brisé par le moteur qui reprends finalement ses grognements, comblant le vide. “Si j’étais un tel fardeau, tu aurais pu me quitter bien avant mais en effet, j’ai connu peu d’hommes qui ont eu les couilles de s’en aller. A la place, ils vont voir ailleurs pour soulager leur conscience.” elle fronce les sourcils, voguant sur l’instabilité de ses émotions, la noyant dans un calme étrange, presque mélancolique avant de l’immerger de nouveau dans la colère qui remonte, en doigts arachnéens le long de sa conscience pour finalement l’attraper, ses yeux lui renvoyant toute sa rancœur “Comment tu as pu m’faire ça ? Ta salope en valait la chandelle, au moins ? Est-ce qu’elle t’as apporté la paix tant désirée ?” elle balance ses questions sans même vouloir entendre les réponses. Elle hait le corps sans visage contre lequel il est allé se perdre mais elle le hait bien plus, lui, à présent, l’affection s’écrasant doucement.

“Finalement, je préférais quand tu la fermais.” son corps tremble sous la tension, une main passant dans ses cheveux alors que d’un coup de pied plus vif qu’elle ne le voulait, elle rouvre la portière, sans sortir pour autant, rattrapant du bout de son pied l’escarpin qui manque de tomber. “Tu dis qu’on me prenait pour une folle ? Est-ce que c’est être en plein délire que de vouloir chercher son enfant ?” un coup d’œil vers lui, un haussement de sourcil impérieux comme pour le mettre au défi de répondre “J'emmerde tes collègues, profondément. Qu’est-ce que je deviens si je n’ai plus ça ? Je n’ai plus de mari, plus de fille. Si elle est morte … Je n’ai plus rien du tout Ryker.” l’aveu est douloureux, éraffle sa gorge de ses épines alors qu’elle secoue la tête “On aurait pu régler ça d’une meilleure façon. Sans divorce, sans tes absences répétées et oui, sûrement sans mon apitoiement sur moi-même. J’aurais pu t’écouter. Je ne demandais que ça et je n’ai pas su te le dire.” le volume de sa voix s'estompe doucement, s’alanguit sur toute la tristesse qu’elle fait peser sur ce mariage gâché. Elle n’a jamais été de celle qui sortait du lot, elle se gâchait à l’école jusqu’à la fac de droit où elle ne s’intéressait qu’à ses études, jamais au reste. Elle sentait les regards sur elle sans jamais chercher à les attirer à elle. Comme une femme de fer dont tout le reste avait été transformé en métal froid, rien qui ne puisse l’atteindre jusqu’à ce qu’elle le rencontre. “J’ai aimé être ta femme, j’aurais aimé pouvoir être aussi la mère de ton enfant et on ne nous a même pas laissé ça.” baissant finalement la tête, elle rattrape son sac, sentant toute la fatigue peser sur ses épaules, ses quarante-neufs années l’oppressant brusquement. “Je suis désolée.” et c’est bien tout ce qu’elle arrive à dire pour mettre un point à son bordel de paroles, mettant de côté son orgueil perforé.