- - - sweet disaster (gal)

Elle avait ses nouvelles petites habitudes. Des petits tics du quotidien qu'elle aurait bien évité. Pourtant, elle ressentait pas de peine. Ca lui pesait pas autant qu'il y a quelques jours. C'est juste là. Le quotidien et les habitudes. Une mécanique bien roulée dont elle prêtait même plus attention. C'était une petite partie de son âme qu'elle laissait le matin chez elle. Cette âme agitée qui avait besoin sans cesse de s'émerveiller, de s'éveiller et de découvrir autre chose. Crescent Heights avait commencé son travail. Il avait commencé à grignoter ce qui faisait d'elle ce qu'elle était. Le petit nid qu'elle n'avait jamais eue se formait. Une brindille après l'autre et elle ne se sentait même pas étouffer. Quel piège. Elle qui courrait toujours après de nouveaux lieux, elle était en train de s'isoler entre quatre murs dans une ville aussi délabrée que remplie de vieux démons. Ses vieux démons. Elle devrait déjà être partie. Parfois, elle se le dit. Elle a pas l'habitude de rester aussi longtemps. Mais elle se rappelle que l'argent ne coule pas à flot. Elle se rappelle qu'elle a un engagement envers Ikke et Ange quant à l'appartement. Elle se dit que la ville est pas si mal. Elle se dit qu'elle est plutôt confortable. Confortablement installée dans la routine. Et ça a beau ne pas lui ressembler, ça créé une sensation en elle, de petite chaleur. Comme au coin du feu, dans une cabane en plein milieu de l'Alaska. Une feu rassurant. Une petite bulle isolée de tous les problèmes du monde. Isolée de son problème principal.
Parfois elle regarde sa poitrine. Les gens plissent les yeux sans comprendre, à chaque fois. Mais comme toujours, elle ignore les regards. Elle contemple juste son sein. Elle pense à la petite boule qui gonfle dessous. Un peu plus et un peu plus. Elle a arrêté d'accorder de l'importance à son physique depuis que ses fesses ont été marquées au rouge. Elle s'est dit qu'il n'y avait personne pour s'en inquiéter, alors il n'y avait personne pour accorder d'importance à ce à quoi elle ressemblait. Hormis pour écarter ses cuisses. Mais voilà. Sa poitrine, c'était quand même imposant. A quoi ça ressemblerait de pas en avoir ? Ca ferait quoi d'être plate ? De perdre un bon de ... un bout de féminité. Car il s'agit bien de ça. Sa poitrine, c'est un atout féminin. C'est ce qu'elle possède de plus sensuel. C'est ce qui définit en partie une femme. Alors perdre cette part là, ça fait quoi ? Encore dans sa voiture, elle souffle en relevant le regard. La peur est pesante, parfois. Elle a chaud et a déjà commencé à suer. Elle n'est pas prête. Elle peut pas y penser maintenant. Elle a pas grand-chose. Pas d'argent. Plus de famille, après tout. Elle a tout quitté depuis sept ans. Alors, sans rien avoir de réel, peut-être qu'elle peut vivre sans un sein.

Elle sort de la voiture en claquant la porte. Elle a plus les yeux un peu humide. Elle a plus cette petite boule dans la gorge. Elle s'est libérée un peu du poids. Elle a effacé un peu le dilemme. Comme tous les dimanches matin, elle laisse le carillon de la porte indiquer sa présence et figure un sourire sur son visage en reconnaissant Bonnie, la serveuse. Elles se lancent un salut chaleureux avant que derrière le comptoir, l'employée s'attelle à préparer un milkshake à emporter. Elle connait la routine. Elle connait Micah, sans même avoir réellement échangée avec elle. Juste les banalités d'usage. Enfin, Micah, elle, sait que Bonnie a une petite fille qui malheureusement ne connaîtra jamais son père, car celui-ci s'est enfui en apprenant la grossesse de son amante. Ce genre d'histoire aussi cliché qu'habituelle, surtout dans cette ville.
Le carillon indique la venue d'un nouveau client. Au même moment, son milkshake est prêt et elle n'a qu'à déposer la monnaie sur le comptoir et partir avec toujours cet habituel sourire. Mais celui-ci s'efface aussitôt quand elle se tourne. Elle est moins belle quand elle sourit pas. Elle a cet air plus âgé de ceux qui ont des soucis en tête. Des soucis tout court. Et c'est bien au souci qu'elle fait face. Grande, fine. Juchée sur des talons de douze à la semelle aussi rouge que ses lèvres. Elle a tout d'une grande dame. Et Micah n'arrive pas à déterminer si elle a réellement grandit ou si ce sont les effets des talons. Ses lunettes de soleil se relèvent d'un geste aussi élégant que ceux de Micah. Elles se font face sans sourire. On pourrait entendre les battements de son coeur s'accélérer alors qu'il lui semble que le temps s'est figé. Elle détaille Gal en silence. A la fois prise d'un sentiment de joie et de soulagement, mais également de tristesse immense. Car elle le remarque bien. C'est dans ses traits tirés. Dans son regard froid. Dans sa posture tendue. Elle n'est pas ici en souvenir du bon vieux temps. Elle n'est pas ici amicalement. Elle n'est pas ici pour des retrouvailles chaleureuses. Elle le sent, elle est ici pour faire mal. Pour donner un grand coup. Alors lentement, un filet de sueur se forme dans son dos, glissant sur son échine, réveillant une peur qu'elle pensait avoir enterré très loin, il y a sept ans. La peur de son père.
Elle fait un pas vers Gal, mais celle-ci ne bouge pas. Micah sait qu'elle doit parler, mais après sept ans, on dit quoi ? On dit quoi à son reflet ?
-- Gal, je suis heureuse de te revoir.
Elle sourit. Mais pourtant, sa voix est faible, moins éclatante qu'à l'accoutumé. Même Bonnie les regarde du coin de l'oeil en sentant le problème. C'est comme si la pièce s'était assombrie. Comme si une ombre planait. Comme si l'orage s’apprêtait à gronder.
-- Qu'est-ce que tu fais ici ?
Une question anodine. Non. Une question lourde. Presque accusatrice. Elle redoute la réponse, comme elle a redouté les pas de son père dans l'escalier. Au fond, elle sait. Elle sait déjà ce que Gal fait ici. Mais elle aurait souhaité avoir tort. Pour une fois, elle voudrait se tromper.